13 - La Première Expédition

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Éveil sans problème. Entraînement matinal sur mon tatami. Deux cibles sur douze touchées en plein milieu dans mon champ de tir. Tentative de création d'une flèche à déviation grâce à la magie de l'air. Raté, une fois de plus. Ce jour allait s'annoncer classique.

Jusqu'à ce que je décide d'aller faire un tour dehors pendant mon petit-déjeuner, accompagné de mon maître... J'avais rencontré Falk en sortant de ma chambre. Il se dirigeait vers l'ascenseur gravitationnel, tout comme moi.

-Bonjour, maître ! Lui fis-je. Où allez-vous ?

-Bonjour, Witz, me répondit-il. Je descends vers les jardins, il y a un étrange attroupement vers la porte principale de la dimension, je vais voir ce que c'est.

-Je peux venir avec vous ?

-Bien sûr !

Lui et moi sommes donc descendus vers l'étage A. Etonnamment, les couloirs étaient déserts. A travers la grande porte, on entendait une vague rumeur. Je voulus ouvrir la porte pour Falk, mais celui-ci décocha une flèche de bourrasque pour le faire à distance.

Tous les élèves et professeurs étaient présents. Du moins, ceux qui étaient éveillés. Le bourdonnement incessant de leurs voix était tel que même en me frayant un chemin parmi la foule en suivant mon maître, je n'entendais pratiquement rien de leurs racontars. À peine quelques "Et c'est un élève qui a fait ça ?" interrogateurs, "Je le sentais pas, ce mec" méfiants et autres "qu'est-ce qu'il se passe ?" interrogateurs.

Nous avons enfin atteint la seule orée de cette forêt de gens. À la périphérie : les professeurs. Au centre : l'Ancien, accompagné du Baroudeur et du Duc, examinant un pauvre hère immobile et inconscient. Un trait rouge sanguinolent lui barrait la gorge.

-Ah ! Fit la voix tonnante du Baroudeur. Falk ! On t'attendait, vieux frère !

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

-C'est Atherach, fit le Duc. Il est parti de l'Académie en tuant quelqu'un.

-Qui est-ce ? Fit le héros Multiarch en pointant le cadavre.

-Ce n'est pas une grande perte, heureusement, fit l'Ancien. C'est un brigand des montagnes. Il a dû essayer de détrousser des randonneurs sur un flanc de l'Everest, mais il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment... Analyse-moi ses blessures et dis-moi ton verdict.

Falk prit une flèche de son carquois, l'enchanta et la tendit vers le corps de la même manière qu'on tendrait une torche pour analyser des hiéroglyphes enfouis dans une sombre tombe égyptienne. Après quelques instants, il la retira.

-Ça pue la Détermination, conclut-il. Atherach est-il un Déterminé ?

-Je ne saurais dire par son analyse, fit l'Ancien. Mais les faits nous l'ont confirmé. Je soupçonne quelque chose de grave...

Le vieillard signa à l'archer de s'approcher.

-Impossible ! pesta-t-il après une messe basse inaudible. Et qu'est-ce qu'on va faire ?

-On n'a pas le choix. Il faut enquêter. Vu l'importance de l'événement, il faut envoyer une équipe.

-Une équipe ? répéta Ferdinand.

Celui-ci s'était peut-être approché sans l'intention de ne pas se faire entendre, mais les bruissements alentours ont couvert le bruit de ses pas. Ne m'attendant donc pas à le voir surgir, j'ai sursauté, ce qui ne fut le cas ni de Falk, ni du Baroudeur, ni du Duc, ni de l'Ancien.

-Si on forme une équipe pour tuer Atherach, continua-t-il, j'en suis !

-On ne cherche pas à le tuer, lui fit remarquer le Duc.

-Pas dans un premier temps, compléta l'Ancien. D'abord, s'assurer de l'état des choses, ensuite aviser de ce qu'il faut faire. Si Atherach a suivi la voie génocidaire des Déterminés, il n'y aura pas de choix. Tuez-le. S'il est neutre, voyez ce que vous pouvez faire. Mais la mission première est de savoir s'il n'est pas manipulé ou sous l'emprise d'une illusion.

Puis, en direction du Baroudeur :

-Tu peux demander le silence, s'il te plaît ?

-Sans problème !

Le puissant orc dégaina son épée, la leva vers les cieux. Je vis un nuage noir se former au-dessus de nos têtes. Un éclair s'y dégagea pour frapper la pointe métallique de la lame, produisant une déflagration assourdissante. Puis un professeur, un Kytsimm terrestre, éleva une colonne de roche en-dessous de l'Ancien pour lui faire surplomber la foule.

Tous les élèves étaient pendus à ses lèvres avant même que l'Ancien n'ait commencé à parler, tel un mystérieux Cicéron du futur sur le point de dévoiler son plus beau discours.

-Chers élèves ! Commença-t-il. L'heure est grave ! Je mets d'ores et déjà fin aux on-dits : Oui, un de vos condisciple est devenu un meurtrier. Un meurtrier manipulateur de la Détermination. Nombre d'entre vous ne savent pas ce qu'est la Détermination et on vous en parlera plus tard, mais je me dois de vous informer au sujet de leur comportement. Dans certains cas rares, les Déterminés ont un comportement spécifique ; soit tuant tout ce qui bouge , soit répandant la paix sur leur chemin sans violence aucune. Le reste est neutre. Certes, l'hypothèse du pacifisme est rompue par la victime qu'il vient de faire, et celle du génocide ne peut en aucun cas être écartée. Néanmoins ! L'homme qu'il a tué était un brigand. Votre camarade n'a peut-être pas voulu le tuer, et aurait accompli cet acte par pure défense, par neutralité.

Il marqua une pause avant de reprendre :

-Cependant, en prévention d'un éventuel génocide, je vais nommer une équipe à ses trousses pour découvrir ses véritables intentions et le tuer si il n'y a aucun moyen de le raisonner. Je suis désolé d'en arriver à ces fins, mais un Déterminé Génocidaire ne peut être aisément confiné. Il faut tuer un homme pour en épargner des milliers d'autres, j'espère que vous me comprenez. Je vous prierai de nous laisser, nous devons discuter en paix. Les cours seront exceptionnellement retardés, profitez-en pour vous préparer.

Pendant que la colonne d'élèves rentrait à l'intérieur -en direction du jardin, pour la plupart-, celle qui soutenait le vieillard rétrécissait à vue d'œil. Seuls quelques-uns restaient plantés là, près de l'ancien, dont les professeurs, moi et... Xenthores et Thauroji.

-Vous avez pas entendu ? Fit Eskall, l'alterrien aux ailes de dragon qui enseignait le sport, en notre direction. Barrez-vous, on doit discuter entre profs.

-Pas ceux-ci, corrigea Entia. Ce sont les seuls qui sont encore plus au courant de l'affaire que toi.

-En plus, ajouta Thauroji, Atherach est mon meilleur ami !

L'Ancien approuva d'un signe de tête.

-Je n'ai pas tout dit aux élèves, avoua l'Ancien. Il faut que vous sachiez ce qu'il se trame. Vous n'êtes pas sans savoir que tous les Déterminés sont des disciples de Chara, mais... ce n'est pas un simple adorateur de la démone du Génocide qu'on a là. C'est Chara elle-même, ou, en tout cas, c'est ce qu'on essaie de nous faire croire.

-Mais... Chara a été tuée il y a cinq ans ! objecta Styrke -la prof naine de physique-. Il faut combien de temps à une Entité Supérieure pour se régénérer ?

-le record est détenu par Baal en personne, informa Redd -le prof Skärf du Culte de Läla-. Il a mis douze ans.

-À moins qu'un groupe de ses disciples accomplissent un rituel de résurrection, adjoint Octave -le professeur du Culte d'Arthus-. De cette manière, par la suite de l'avant-dernière tentative de Ragnarök, Odin lui-même est revenu à la vie après deux jours à peine.

-Si la résurrection d'un démon de la trempe de Chara avait été entreprise, les Grands Anciens m'auraient prévenue, infirma Trinae -une axolotl du Culte de Cthulhu-.

-En effet, confirma le vénérable vieillard. Voilà pourquoi je pense que Chara n'est pas revenue, mais que quelqu'un, qu'il soit dieu, démon, grand ancien, mortel ou autre, essaie de nous le faire croire. Soit il y a un Mystificateur, soit Chara a battu le record universel de réincarnation. Atherach est un Déterminé, il n'y a aucun doute. Mais il n'est en aucun cas Génocidaire : cela se serait vu dans son comportement dès son arrivée ici si tel était le cas.

-Alors il est Neutre ! Supposa le sympathique Dybder, plein d'espoir. Ou Pacifiste !

-Je rappelle, Dybder, qu'il a tué quelqu'un. Il ne peut pas être Pacifiste... Mais il y a autre chose : la Malédiction de Kris s'est à nouveau accomplie avec notre élève.

La surprise parcourut l'assemblée. Presque tout le monde l'avait compris : sous l'emprise d'une autre volonté que la sienne, Atherach avait balancé son âme dans la fameuse cage à oiseau.

-Ces jeunes gens qui se sont incrustés parmi nous sont les mêmes qui ont délivré Atherach de la malédiction. Ils ont rendu son âme à Atherach, ou bien ils ont cru le faire, sous l'emprise d'une morbide illusion. Supposons que Chara soit revenue ; elle aurait habité Atherach et, au moment où elle serait devenue suffisamment puissante, elle se serait débarassée d'Atherach en emprisonnant son âme en réitérant la malédiction de Kris. Xenthores aurait délivré Atherach, et à présent Chara se retrouverait en cavale, maîtresse de son nouveau corps, avec une âme parasite qui pourrait hypothétiquement reprendre le contrôle. Mais ceci est est peu probable ; je soupçonne plutôt une entité qui se servirait d'Atherach pour faire croire au retour de Chara...

Il toussa un coup puis reprit :

-Voici mes instructions : trouver le mystificateur et le détruire s'il y en a un. Si Chara est revenue, tentez un exorcisme pour ôter le démon de son corps et ramener Atherach à la vie. Les gens suivant vont faire partie de l'expédition : Octave pour l'exorcisme et le contact divin ; Redd pour le contact démoniaque ; Trinae pour le contact chthonien ancien ; Ferdinand pour la détection d'un maléfice fulgurique ; Nohel-Hemak en cas d'une illusion arcanique ; et 7H-374 en cas d'une machine à illusion de masse —ta maîtrise Thêta nous sera aussi très utile—.

Pendant que l'Ancien énumérait les noms, les têtes des personnes désignées se hochaient. Puis leurs propriétaires se séparaient du groupe pour en former un autre.
Je reconnaissais tous les professeurs sauf le dénommé Nohel-Hemak qui était une sorte d'homme-reptile... Plus tard, j'apprendrai que N.-H. était un homme-caméléon érudit dans l'art des illusions.
Pour ce qui est cohésion dans le groupe, Octave, Redd et Trinae se dérangeaient mutuellement -ces trois-là se détestaient par religion- mais semblaient s'être résigné à faire équipe avec leurs collègues.

-Je vais aussi vous accorder un diplomate et des gardes du corps pour des raisons évidentes, annonça l'Ancien. Sibband s'occupera très bien de la question diplomatique puisque c'est sa spécialité... Au fond, ce n'est pas pour rien s'il est notre professeur d'art oratoire ! Du reste, la puissance fulgurique de Ferdinand n'est pas à négliger... Viendront s'y ajouter la capacité invocatoire de Chefet et l'adresse au tir de Skyti qui pourront vous tirer d'affaire.

Lorsque le groupe fut formé au complet, le vénérable vieillard tapa sa canne sur le sol.

-Très bien ! Vous partez aujourd'hui, le plus tôt possible. Il ne faut pas retarder l'affaire.

-Et moi ? S'indigna mon maître, offusqué. Ancien, je suis le meilleur archer d'Ataraxia ! Un des rares justiciers au monde que le peuple traite comme un super-héros ! Mon aide leur sera plus que précieuse !

-Tes talents seront gâchés, là-bas, Falk, pointa le Duc. Ce groupe est suffisamment complet pour cette tâche.

-Un membre d'expédition de plus ne ferait qu'accélérer l'affaire ! Et puis, pensez... Si Chara est réellement revenue, ils vont tous se faire tuer !

-Et toi aussi, si tu t'obstines à vouloir venir. Falk, j'admire ton courage, mais tu ne tiendrais pas deux secondes contre Chara. Même l'Ancien ne le pourrait. Tu penses avoir l'avantage à distance, mais en réalité elle l'a aussi. Elle a juste cent fois plus de puissance au corps-à-corps.

-Je l'aurai à l'usure...

-Falk... Ne sois pas bête. A chaque fois qu'on la tue, elle revient à la charge, encore plus déterminée. Tu ne l'auras pas à l'usure, Falk. C'est Elle qui t'aura d'une manière ou d'une autre.

Le visage du Duc se tourna vers moi.

-Et puis, il y a Witz.

Ce n'est qu'à ce moment précis que je remarquai ses iris étrangement dorées... Je me surpris à l'analyser plus en profondeur, ses cheveux d'un blond éclatant, son allure élancée qui me faisait penser à un prédateur taillé pour la chasse, son tricorne orangé qui ne le quittait jamais, sa veste d'argent aux allures divines, son pantalon élégant malgré sa largeur... Quelque chose me perturbait en lui.

-Quoi, "il y a Witz" ? demanda mon maître pendant que je dévisageais le Duc.

Le Multiarch aux iris d'or prit à part mon héros de maître. J'étais suffisamment proche pour capter leurs paroles mais il me fallut longtemps avant de comprendre ce qu'ils disaient tant ce qui me parvenait aux oreilles était faible.

-Quelquefois, avoua le Duc, j'arrive à avoir des visions... Des visions importantes sur le futur... Des prophéties. Cela fait longtemps que je n'en ai pas eu, et lui et ses amis ont réveillé mon don. Il n'est pas n'importe qui, Falk. Un jour, il découvrira sa véritable identité.

-Fais attention, Han', je pense qu'il nous entends en ce moment même...

-Je le savais. Ne t'inquiète pas. L'important, c'est que les autres ne l'entendent pas.

A peine étaient ils revenus près de l'Ancien, comme si rien ne s'était passé, que Thauroji se plante devant le vieillard.

-Je dois venir, Ancien, fit-il. Atherach est mon ami, s'il y a quelqu'un qui peut le raisonner, c'est moi.

-Si Chefet et Thauroji viennent, alors je dois venir aussi, annonça Entia.

-Thor' ne pars pas sans moi ! proclama Xenthores.

-Je pars aussi, dans ce cas, ai-je dit.

-Personne d'autre ne viendra ! S'énerva l'Ancien. Le groupe est formé ! Je pourrais consentir à laisser Entia, mais... Thauroji, Witz et Xenthores ? Hors de question ! Vous ne connaissez rien du monde extérieur ! Vous êtes loin d'être prêts à faire une sortie dans le monde réel ! Thauroji, je suis au courant du pacte que tu as fait avec Styx... Et je peux t'assurer que le coupable sera sévèrement puni. Il n'y a guère que les Papax, une race pacifique, qui pourrait juger un tel acte sans directement infliger la peine de mort au responsable. Mais toi et tes amis n'êtes absolument pas en mesure de le faire vous-même. Le débat est clos. Première expédition, préparez-vous ! Les autres, vous pouvez disposer.

Thauroji m'a fait signe de venir. Je refusai son invitation et me dirigeai plutôt vers le Duc tandis que lui et notre pyromancien s'éloignaient.

-Vous avez vu mon futur ? lui demandai-je dès que nous fûmes seuls.

-Des parcelles seulement, me répondit-il. Les divinités du destin m'ont accordé mes dernières visions, je le sens.

-Donc... Vous prétendez que je suis quelqu'un d'autre ?

-Absolument pas ! Tu ne t'es pas encore découvert, tout simplement.

-Et vous savez donc qui je suis vraiment ?

-Oui. Mais je ne peux te le dire.

-Pourquoi ? Duc, nous sommes seuls, personne ne nous entends, s'il y a un secret c'est le moment rêvé pour...

-Nous ne sommes jamais seuls, Witz. Cela te concerne, certes, et j'aimerais te le divulguer... Si cela ne concernait pas en plus le monde entier et les autres dieux.

J'aurais pu poser un millier de questions sur cette dernière phrase... Mais la première qui sortit de ma bouche fut :

-les autres dieux ? Vous dites ça comme si vous en étiez un...

Le duc me chopa la tête avec sa paume droite. Le temps qu'il la retire, le décor avait changé. J'étais en plein milieu d'une chambre à ciel ouvert. Au milieu, un sakura fleuri laissait perpétuellement tomber des pétales roses sur le sol d'herbe verte. Au pied de l'arbre, un simple banc orné de symboles traditionnels asiatiques. Pas de lit apparent, sinon un coussin qui aurait très bien pu servir de couche pour un gros chat. Le tout était assez petit et modeste tout en restant agréable, dans le concept comme dans le climat. Un pan de la pièce semblait pouvoir s'ouvrir pour donner accès à un champ de cibles, pour l'entraînement à l'arc.

Le duc m'avait laissé le temps de reprendre mes esprits avant de m'asséner ceci :

-C'est parce que JE suis un dieu, Witz.

Après avoir défait son pantalon en deux secondes, il se débarrassa de son tricorne. Etonnamment, la première chose que je remarquai ne fut pas son arrière-train duquel sortaient onze queues de renard de couleur or, mais bien ses oreilles énormes, dressées sur sa tête telles celles d'un chat.

-Un... Un Kitsune ? Me suis-je demandé. Pourquoi vous avez cette couleur dorée ?

-Dans notre peuple d'hommes-renards, il y a cinq races. Les Kitsunes roux, maîtres des arts Arcaniques, ensuite il y a les Kitsunes blancs, qui maîtrisent particulièrement l'air, la lumière et la neige. Et puis il y a les noirs, spécialistes de l'ombre et des illusions, et enfin les autres. Les Kitsunes mauves, l'équivalent de nos démons, et les Kitsunes dorés, leur exact opposé.

-Des dieux...

Je regardai ses onze queues se mouvoir gracieusement dans les airs. Les Kitsunes sont des créatures millénaires, pourtant c'est assez aisé d'estimer leur âge, à un siècle près ; ils naissent avec une queue, et, tous les cent ans, une nouvelle leur pousse. Donc, en principe, le Duc devrait avoir entre mille et mille-cent ans.

-Exactement, confirma-t-il. Attention, j'ai déjà rencontré des Kitsunes mauves très sympathiques...

-Revenons-en au fait, fis-je. Pourquoi vous refusez...

-De te dévoiler ton futur ? Plusieurs raisons. Pour la première, je vais te donner un exemple. Sais-tu qui est Phinée ?

-A part que ça me fait penser à Phinéas, un personnage de dessin animé des années 2000, aucune idée.

-Ah... intéressant, cette différence de culture. Bref ! C'était un fils de Zeus qui possédait le don de prophétie. Il en usait trop souvent et chacune de ses prophéties étaient trop précises... Et une connaissance trop précise du futur peut être dévastatrice. Voilà pourquoi tous les oracles connus en ce jour donnent des prophéties vagues. Revenons-en à Phinée : Furieux, les Dieux l'ont puni sévèrement, en l'aveuglant et en le laissant en plan sur une île remplie de nourriture. Cependant, chaque fois qu'il veut manger, des harpies lui chipent son repas. Il purge encore sa peine de nos jours, comme les dieux lui ont donné la vieillesse éternelle.

-Vous trouvez que c'est trop facile de me dévoiler mon futur, du coup ? Vous pensez que les dieux vont vous punir ? Mais pourquoi vous ne me dites pas une prophétie vague ?

-Deux secondes, Witz. Une prophétie, ça se réfléchit. Je ne peux pas te dévoiler quoi que ce soit maintenant. De toute façon, il y a une raison majeure... Les dieux voient tout. S'ils l'avaient voulu, l'Académie serait dévoilée depuis belle lurette. Et s'ils captent un seul indice te concernant, je ne pourrai pas te protéger contre Odin et son armée entière. Et encore, même avec cette information je risque ta vie.

-C'est si grave que ça ?

-Tu n'as pas idée.

-Plus grave qu'un démon ?

-Tu devra le découvrir par toi-même.

Son regard très mal dissimulé, pourtant, semblait me hurler "OUI".

-Witz, reprit-il, je t'ai emmené ici parce que j'ai eu des visions sur tes autres amis, aussi. Atherach compris.

-Ah ? Et qu'est-ce que vous avez vu ?

-Trois visions d'Atherach. Dans la première, je le vois, couteau à la main, sur les cendres de l'Académie, et un groupe d'aventurier lui faisant face. J'ai difficilement vu ces aventuriers, mais ils étaient beaucoup et il m'a semblé reconnaître ton arc.

-Atherach va détruire l'Académie ? Mais c'est dramatique ! Il faut prévenir les autres !

-L'Ancien est déjà au courant, Witz. Mais mes visions se sont toujours confirmées. Qu'on prévienne les autres ou non ne changera rien. Les questions à poser sont : Quand cela se passera-t-il, par quels événements, est-ce qu'il faut risquer la panique générale parmi les élèves ? A cette dernière question, je réponds : "non".

Il marqua une pause.

-Pour les deux dernières visions, elles semblent se dérouler au même moment, mais dans des Timelines différentes. Dans l'une, Atherach vous tue tous, sans pitié. Dans l'autre, il coopère avec vous, main dans la main. Je le vois même sacrifier sa vie pour Xenthores lors d'un combat. On verra laquelle d'entre elle se réalisera...

-Je le sens pas...

-C'est normal.

-Et je comprends pas pourquoi vous me dévoilez autant de détails s'il ne faut pas autant de précision.

-Je n'ai jamais dit que j'étais précis. On ne sait pas quand ces visions se réaliseront ni dans quelles circonstances, et même si la mise en scène laisse penser le contraire, ce n'est pas certain qu'Atherach soit le responsable de la future destruction de l'Académie. Pour Xenthores et Thauroji... ils ont des forces cachées qu'ils ne soupçonnent pas encore. Je ne peux que te dire ceci.

-Merci quand même...

Voyant mon air dépité, il s'approcha de moi et me caressa la tête. Peut-être que chez les Kitsunes, c'était un geste d'attention, mais pour un humain c'est bizarre.

-Ne te mets pas dans cet état, Witz. Crois en toi, crois en moi, crois en le Baroudeur, crois en l'Ancien et tout ira bien. Sais-tu pourquoi je me fais nommer "le Duc" ?

-vous avez un titre ?

-Non. Les Kitsunes sont des nomades, par conséquent je suis né dans une simple tribu, d'un père roux et d'une mère blanche. Une naissance de multi-élémentaire est de bon augure dans cette société arcanique, et un avènement de nouveau dieu l'est encore plus. Lors de ma naissance, toute la tribu en même temps sut qu'un Kitsune doré Multiarch était né. A ce qu'il paraît, à peine une minute après l'accouchement, le chef, nommé Alpha, est arrivé dans la tente, s'agenouilla devant ma mère et se prosterna devant elle. L'événement était si exceptionnel qu'il nomma mes parents Alpha à sa place et il se relégua au rang de simple serviteur pour ma famille jusqu'à sa mort. Et il en était heureux ! C'est le plus grand des honneurs que de servir une famille qui a abrité un Kitsune comme moi. Ma mère... Ma mère a ensuite donné naissance à une portée de douze petits Kitsunes, quarante ans plus tard. Elle n'a pas supporté.
Alors que j'avais à peine cinquante ans, mon peuple nomade entra en guerre avec un autre ; celui des Orcs. Ils revendiquaient des ressources sur nos territoires que nous aurions pu leur donner de bon cœur, mais les Orcs sont bêtes et belliqueux. C'est contraire à leurs principes d'accepter des cadeaux. S'ils veulent quelque chose sur un territoire ennemi, ils le prennent seulement après avoir mené de dures batailles. Les Kitsunes sont neutres envers tout le monde, mais, comme l'Empire Ataraxien était lui-même en guerre contre une race alterrienne encore plus guerrière (les Ureegr, dont Kernn fait partie), nous avons dû nous défendre nous-même.
Notre serviteur familial, l'ancien Alpha, se sacrifia pour sauver mon père lors d'un affrontement. Malgré le sacrifice, mon père ne survécut pas aux incessants combats. J'étais orphelin, responsable de douze kitsunes en bas âge, avec une tribu entière pendue à mes lèvres à chaque instants. J'étais le nouvel Alpha ; il me fallait réagir. Mais je ne savais quoi faire, je n'avais aucune expérience encore.
Et puis, un miracle. La Doyenne de notre peuple, Kineko, notre reine incontestée, la Kitsune blanche aux cent queues, s'était déplacée elle-même pour me rencontrer. C'est Elle qui m'a donné la force de diriger. Notre peuple entier s'est unifié sous ses deux plus grands symboles, l'Immortalité et la Puissance. Moi et la Doyenne avons mené les Kitsunes à la guerre et nous avons enfoncé les défenses de la tribu principale Orc. J'affrontai moi-même leur roi, un monstre manipulant la foudre noire, et son mécha, une abomination de technologie bourrine.
La bataille fut rapidement gagnée. Les Orcs, à notre contraire, n'étaient pas unifiés et étaient inférieurs en nombre. Je ne tuai pas leur chef ; je le menaçai d'une flèche de lave, et lui fis jurer sur le sang de ne plus jamais, lui et son armée, entrer sur les territoires Kitsunes.

Le Duc essuya une larme dorée qui coulait sur sa joue.

-Le peuple entier fut en fête, continua-t-il. Tous chantaient les louanges de Haneki le Multiarch d'or (moi, si tu n'as pas capté) et de Kineko la dix-millénaire. Durant les festivités, ma nouvelle amie Kineko m'avoua qu'elle n'avait rien fait de plus que m'encourager et de donner espoir au peuple. Ses cent queues la gênent énormément et le moindre déplacement lui est pénible, par conséquent elle n'était pas sur le champ de bataille. Et elle n'a donné aucun ordre. Elle n'a fait qu'encourager le peuple par la présence de sa vénérable personne et me donner foi en moi-même. En public, elle annonça que j'étais le seul responsable de notre victoire. Il me sembla que le monde entier se prosternait devant moi et la sagesse de la Doyenne. Tous semblaient me demander d'être le second chef incontesté...
Je refusai cette demande tacite. Cette vie de chef n'était pas faite pour moi. C'est à ce moment-là que je pris la décision de venir en ermitage sur le mont Everest ; j'avais eu des visions selon que je pouvais entreprendre de grandes choses, là-bas. Je pris congé du peuple, qui acceptait non sans tristesse ma décision. Kineko me proposa d'élever elle-même mes douze petits frères et sœurs qu'elle traiterait de la meilleure des manières ; une décision que j'appréciai tout de suite. Kineko me regarda partir sans remord, comme si elle était certaine de me revoir un jour...
Par la suite j'ai pas mal erré sur le Mont Everest. J'y ai découvert une cabane dans laquelle se trouvait un humain et un Orc. C'étaient l'Ancien et le Baroudeur. Ce dernier, lui aussi élu par son peuple natal, tenta de fuir en me voyant, mais, au fond de mon être, je savais que la guerre était finie. On ne peut associer un peuple entier et un individu ; je lui laissai une chance, et nous avons fini par être amis. Nous avons vécu tous les trois dans l'isolement durant des années, avant qu'Entia ne se rajoute au groupe et nous donnent à tous l'idée de profiter de notre isolement en enseignant aux personnes en difficulté.

-Très belle histoire... Haneki. Mais quel rapport avec le titre de Duc ?

-J'ai fouillé dans le latin pour me trouver un surnom. Sa racine est Ducere, qui veut dire "conduire". Ainsi, un aqueduc, par exemple, conduit l'eau. Tu comprends, maintenant ?

-Oui... Tu as été un héros pour les Kitsunes, que tu as mené vers la victoire. Et... Tu veux réitérer l'exploit pour l'Académie ?

-Oui ! Même si ce n'est pas la même victoire. Je suis le second directeur de cette Académie, Witz. Mais je veux aussi VOUS conduire vers la victoire sur vos objectifs. Je t'ai vu, Witz. Je sais qui tu es. Quoi qu'en dises Odin et les autres, je sais que, malgré les apparences, tu es capable de choses merveilleuses. J'ai vu Xenthores, ses origines, sa puissance en éternelle expansion, son ardeur salvatrice, j'ai vu Thauroji, son intelligence, ses constructions, ses foudres, j'ai vu Atherach, son mystère, son imprévisibilité, son pouvoir. Je veux que tu le saches : votre destin sera glorieux, que vous arriviez à sauver Atherach de son état ou non. Et je veux que tu retiennes ceci : quoi qu'il advienne, l'Ancien, le Baroudeur et moi-même sommes à vos côtés.

Je ne trouvais pas les mots. Je voulus dire la première chose qui me passai par la tête, mais la sonnerie de la poursuite des cours retentit brusquement, rompant le côté solennel et presque imperturbablement émotionnel de cette discussion. Je regardai une dernière fois les yeux dorés, les queues et les oreilles de Haneki, alias le Duc, pensant que ces simples attributs avaient réuni un peuple entier.

-Witz, avant que tu ne partes, j'aimerais que cette conversation reste secrète. Je n'aime pas beaucoup "me la péter" sur mes origines, et sur le reste... Il en va de ta vie. N'en parle à personne, même pas à tes amis. Ne divulgue que ce que je t'ai dit à propos d'Atherach. Un jour, tu trouveras quelqu'un qui t'expliquera tout.

-Ok ! répondis-je. Muet comme une carpe !

Je localisai la sortie et passai le pas de la porte lorsque le Kitsune Doré m'interpella :

-Ah, Witz, une dernière chose...

-Quoi donc ?

En me retournant, je faillis pousser un cri, en voyant que le Duc ne se trouvait plus là. En réalité, un renard d'or de taille normale à onze queues s'était couché sur le coussin que j'avais remarqué plus tôt, au pied du sakura. La petite bête me regarda tendrement de ses iris d'or en me disant :

-Va sur Thana-5. Tu te trouveras enfin, là-bas.

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