34 - Deux lunes parmi la Terre
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Salut... Hem... Comme aucun des trois auteurs de ce livre ne faisaient partie du groupe d'Arcania, Thauroji m'a... proposée de l'écrire à leur place. J'ai accepté... Mais uniquement parce que l'offre venait de lui. Thauroji me comprend, lui, au moins... S'il m'a choisie pour la suite de cet écrit, c'est qu'il a confiance en moi.
Ah oui, c'est Alexandra Nightfire, ici... ç'aurait été bête de ne pas le préciser...
Donc... Voyons voir... Oui, le téléporteur.
En courant vers le téléporteur, j'avais discerné Thauroji en pleine discussion avec le Dieu des Frontières chargé des transports. Cela en avait perturbé certains, qui croyaient que notre mage de la foudre était plutôt sur nos talons, mais moi je savais comment il nous a dépassé. A un moment donné, un éclair est passé au-dessus de nous. Ce genre de phénomène n'était pas si rare que ça à Ataraxia, où chacun peut utiliser sa magie à volonté, tant que cela ne porte pas préjudice aux autre citoyens...
Mais moi, je savais. Ce n'était pas qu'un simple éclair, c'était une dématérialisation électrique, une téléportation de foudre, un domaine dans lequel Thauroji était maître. Bref, tout ça pour expliquer que cela ne m'étonnait pas que notre mage de foudre avait de l'avance sur nous...
Je dois probablement continuer. Après la téléportation, nous nous sommes retrouvés, Ferdinand, Tarek et moi, sur une plate-forme géante au-dessus de la mer. Devant nous, un spectacle grandiose, auquel j'aurais voulu assister avec mes parents... Arcania, la glorieuse, la mystique, la flottante, la puissante, une terre enchantée par les huit plus grands mages que le Multivers entier ait connu...
L'Archimage Suprême Megira et ses huit compagnons, Aether, Erett, Orüt, Elûn, Naeko, Eriff, Ibör et Têlà, avaient presque été jusqu'à se sacrifier à l'époque de la Divergence, le moment où Ampéria et Arcania se sont rencontrées... Il fut tout de suite évident que les deux Archontinents n'allaient pas bien s'entendre. Pour protéger leur terre-mère, ces huit prodiges Arcaniens ont arraché l'entièreté de l'Archontinent de la terre pour en former une sorte de nouvelle lune, lévitant à l'intérieur du trou d'où elle originait... C'était comme une autre planète que nous avions devant nous.
Et, comme pour augmenter le prestige de la vue, il y avait une sorte de planète annexe...
Pour expliquer précisément, lors de la création de l'Archontinent, le grand Orüt voulut faire varier la structure d'Arcania et creusa un trou sphérique monumental sur son flanc, un trou qui se creusait jusqu'au centre de l'Archontinent.
Voyant là une opportunité, la magicienne Elûn prit une nouvelle portion de la terre et la fit léviter à moitié dans les Terres d'Orüt.
Enfin, se demandant comment arranger les Océans, la puissante aquamancienne qu'était Naeko généra six cascades passant par les terres principales d'Arcania et l'île d'Elûn ; et ainsi furent créées les Six Cascades de Naumos. Imaginez six cascades dignes d'un dieu des torrents ; trois partaient d'Arcania pour alimenter les océans de l'île d'Elûn, tandis que trois autres partaient de l'île pour renouveler le cycle de l'eau Arcanien...
Tous ces mages du passé, sauf Megira, avaient régné sur la portion de l'Archontinent qu'ils avaient aidé à bâtir. La portion supérieure, terre froide la plus proche de l'Espace avec une gravité si faible qu'on pourrait escalader n'importe quoi avec aise, avait donc échu à Aether ; la portion inférieure, au contraire volcanique et à la forte gravité, porte à présent le nom d'Eriff ; les Océans furent sous le domaine de Naeko ; la partie centrale d'Arcania fut sous le contrôle du brave Erett ; et puis il y avait ces fameuses Terres d'Orüt et l'île d'Elûn... Ne manquaient à ce tableau que Ibör et Têlà, un couple de mages du vide qui avaient maîtrisé la gravité à la perfection. Eux, ils ont apporté à Arcania une nuée de planètes de la taille de petit districts par centaines, avec chacune leur propre climat, leur propre population et leurs spécificités.
-J'aimerais que Thauroji soit là, je dis, le souffle coupé.
-Pourquoi spécialement lui ? Ah ! N'y aurait-il pas un petit quelque chose entre vous deux ? me taquina Ferdinand.
-Quoi ? Mais pas du tout ! ai-je dit en me sentant rougir. C'est mon ami, c'est tout. Je me sens bien avec lui...
avant de reprendre mon sérieux et de répliquer :
-En tout cas, je préfère sa compagnie à celle d'un électromage en quête de folie.
-Et moi ? s'enquit Tarek. Ma présence est-elle agréable ?
-Je dois dire que ça me rassure que tu fasses partie de l'équipe.
-Pourquoi ?
-Pour rien... je fis, en continuant d'observer la planète lévitante devant nous.
Arcania est un véritable bastion. Tous les mages fondateurs sont morts avec le temps. Ils avaient des ennemis, mais ces héros étaient si puissants que personne ne pouvait les affronter sans faire face aux conséquences. Erett, par exemple, maîtrisait la terre à un tel niveau que tout ennemi se verrai enseveli sous des tonnes de pierre et d'acier avant même de l'approcher... Et même sans sa magie, ce mage d'exception aurait pu détruire des démons de première puissance, rien qu'avec son épée. Une épée de Mithrill, enchantée et runée par Megira elle-même, la seule mage qui ait réussi à surpasser les dieux.
A la mort de Megira, cette dernière fit don de son Mana à l'impératrice, avec l'ordre de ne pas l'utiliser pour détruire Ampéria et de l'utiliser avec sagesse. Alors, cette Impératrice fit construire une tour dans le pays d'Aether, au sommet de l'Archontinent, pour contenir cette puissance... Ce bâtiment, aujourd'hui, est source de pèlerinage et de renseignement dans tout le Multivers : la Tour de Megira, le dernier tombeau de l'Archimage Suprême.
Aujourd'hui encore, les bienfaits de la Tour sont incontestés... En plus d'offrir le moyen à n'importe qui d'observer l'immensité du Multivers en temps réel, c'est elle qui est la source de magie du pays entier... Et surtout, c'est elle qui protège Arcania des attaques Ampériennes ; autour d'Arcania se trouve un gigantesque champ de force généré par la Tour de Megira, un champ de force impénétrable dont la seule ouverture se trouve dans la partie la plus basse de l'Archontinent. Pour aller dans Ataraxia, un seul moyen ; passer par une sorte de douane située sur des plates-formes juste au-dessus de l'Océan. Et c'est pile sur une de ces plates-formes que nous nous trouvions...
-Va-t-on prendre racine ici longtemps ? demanda Ferdinand. Je n'aime pas l'air marin : trop de vent.
-ça va, moi et Alexandra n'avions jamais rien vu d'aussi surprenant...
-C'est d'autant plus surprenant que tout ceci a été fait en un mois, par à peine neuf personnes ! j'informai.
-Tu... Tu es sérieuse ?
-Je connais l'histoire d'Arcania par coeur... J'avais déjà vu l'Archontinent dans des livres, mais le voir en face c'est autre chose !
-Vous allez baragouiner pendant longtemps ? s'énerva le maître de la foudre. Je vais finir par souffrir d'engelures, ici !
Il y a très peu de bâtiments sur le Naeko Primordial, comme disent les Arcaniens ―en parlant de l'Océan d'où à émergé l'Archontinent―. Ce lieu n'est pas fait pour être habité ni contenir des armes ; il y avait tout au plus quelques astroports et aéroports, des centres de téléportation inter-archontinentales, des tours de défense et évidemment les bâtiments de la Douane. Bref, particulièrement des bâtiments liés aux extérieurs d'Arcania. Les seuls bâtiments de logement qui s'y trouvaient étaient pour les soldats en faction aux frontières, quelques familles peu dérangées par les flots, la fraîcheur de l'air salin et l'éventualité d'attaques, et surtout pour les populations des mers comme les Sirènes et les Axolotls.
Aussi, vu la taille des plates-formes nous avions une vue très dégagée, et ne pas savoir où se trouvaient les bâtiments de la Douane aurait été difficile ; ils étaient balisés par de gigantesques tours d'où s'échappaient des volutes de fumée.
Arrivés dans la Douane, je me concentrai enfin sur notre objectif, probablement puisque Arcania, nous étant cachée par un plafond de métal, cessait de me distraire. Soyons honnêtes, que puis-je déclarer pour ma défense ? Cette vue m'hypnotisait et me rendait folle...
La Douane était bondée de gens qui rentraient et sortaient de l'Archontinent. Des gens de toutes sortes ; des familles, des gens seuls ou en couple, avec leur chien, chat, phénix ou dragonnet de compagnie, des humains, des Kytsimms, des Elfes, des Fées, des Axolotls, même des Ents aux proportions gigantesques et des sirènes, logées dans des armures arcaniques emplies d'eau faites pour qu'elles se déplacent sur la terre ferme. Tout ceci était le flux de gens qui partaient d'Ataraxia ou même d'autres planètes, que ce soit pour du tourisme ou des affaires plus importantes. Le lieu entier était empli d'une effervescence contagieuse qui me faisait trépigner d'impatience... J'avais si hâte d'être devant la Tour de Megira et de contempler la puissance de l'Archimage Suprême ! Et j'avais entendu beaucoup de choses sur le Dispositif Arcanique Omniscient de Surveillance Universelle de Megira, ou DAOSUM.
Il nous a fallu dix minutes pour que ce soit enfin à notre tour. Nous nous sommes avancés devant le guichet, et fûmes analysés par un robot... Enfin, Arcania n'aime pas trop les robots, ni même quoi que ce soit de technologique. La seule forme de mécanisation qu'ils ont fini par accepter est la technologie Steampunk, alimentée non pas par l'électricité mais la chaleur. Donc le mot précis pour définir cet être robuste de métal de l'autre côté du guichet était plutôt "automate".
L'œil gigantesque et inanimé de la machine nous observa avec attention. Ces douaniers de métal étaient enchantés de manière à détecter l'identité et les magies de chacun, afin de recenser les allées et venues des différents mages. Ils n'ont aucun moyen de faire des enregistrements vidéo, mais ils peuvent bien informer les Empereurs et Enarques du flux migratoire !
-rai-son de-vot-re voyage ? demanda l'automate d'une voix grinçante.
Tarek prit le devant.
-Nous sommes en mission pour Ataraxia. Notre but est de détruire Chara, et pour cela nous devons accéder à la Tour de Megira.
-C'est aussi une sorte de pèlerinage pour nous, ajoutai-je.
L'automate s'affaissa, le temps de donner plus d'énergie dans l'analyse de nos demandes de séjour et de vérifier la véracité de nos propos. Si j'en crois mes bouquins, cette procédure prend régulièrement dix secondes... Or, c'est bien dix minutes que nous avons attendu, passant notre temps à regarder une petite lumière tourner sur l'œil de l'automate, indiquant qu'il était en train d'analyser notre requête. A un moment donné, un employé Elfe de la station est venu pour vérifier son bon fonctionnement ; ce mage des Runes parut très étonné en nous annonçant qu'il n'y avait absolument rien de défectueux dans cette machine...
Et juste au moment où nous perdions espoir, l'être de métal sursauta, chacun de ses rouages et systèmes se réenclenchant par la même occasion dans un vrombissement sonore.
-De-mande-de séjour-acc-eptée. Frais cou-verts par-la magi-strale SOLARIA aka-nyo. Veuillez-pass-er cett-e porte-et-vous insta-ller dans-la bar-que. Nous-vous-sou-haitons un bon voy-age !
-Solaria Akanyo ? s'enquit Tarek pendant que nous nous dirigions vers les quais. Qui est-ce ?
-C'est l'Impératrice de la Nation des Hommes d'Arcania ! j'informai en jubilant. Une elfe climatique si puissante qu'elle était capable d'invoquer des Soleils d'Argent ! A ce qu'il paraît, c'est en partie grâce à elle que Chara a été détruite il y a cinq ans. Bénéficier au moins de son soutien financier nous sera d'une grande aide !
Nous étions arrivés sur les quais. Rien de très extravagant ; des passerelles permettaient aux voyageurs de s'installer sur des barques lévitantes ―qui, selon Thauroji, ressemblaient à ce qui s'appelle des "gondoles"―, où les attendaient des êtres immobiles et encapuchonnés, dotés d'une rame.
Suite à mon commentaire sur l'Impératrice, Ferdinand s'arrêta net devant nous, et je manquai de le bousculer.
-Elle n'a rien de si spécial, rigola-t-il. C'est une enfant de quatre ans ! Une elfe maudite par la jeunesse. J'ai entendu qu'elle est si timide qu'elle perd tout sens de la parole lorsqu'il s'agit de rencontrer des officiels !
-Elle a vécu pendant plusieurs siècles, Ferdinand ! je ripostai. Elle est peut-être aussi timide, naïve et peureuse qu'un enfant, mais ses connaissances et sa sagesse sont grandioses. Et puis, elle n'est pas seule ! Ses trois enfants sont peut-être maudits eux aussi, mais remplissent leur fonction ministérielle avec la plus haute considération.
-Quatre maudits au pouvoir ? résuma Tarek. La situation politique d'Arcania semble relativement... précaire.
-Oui, mais il y a Fostri, en face, répondit Ferdinand. L'Impératrice d'Ampéria est une incapable, qui n'arrive pas à gérer les crises. Maintenant, si vous vouliez bien arrêter de cailleter et monter dans cette fichue barque ?
-Mais c'est à cause de TOI qu'on s'est arrêtés ! je répliquai.
Le fulguromancien n'insista pas davantage. Nous nous sommes arrêtés auprès de la première "gondole" venue, dont le passeur nous fit signe de nous installer. Je le regardai de plus près, comme il s'agissait là d'un des plus grands symboles d'Arcania et de sa puissance...
Je dois l'avouer, je m'imaginais qu'ils seraient plus imposants. La silhouette du Passeur, définie par sa robe noire assez serrée, semblait crier à la famine. Ses mains squelettiques semblaient pourtant s'accrocher assez robustement à la rame, et son visage pâle et maigre faisait pitié. Mais surtout, ce qu'il y avait de plus perturbant chez lui, c'était son regard... Un regard vide, imperturbable et absent, qui semblait ne jamais prêter attention à quoi que ce soit... Et quand, par un malheureux hasard, votre regard croisait le sien, ses prunelles blanches comme neige semblaient scruter votre âme elle-même.
-Il a quoi, cet homme ? demanda Tarek en jouant avec ses lunettes de vérité.
-Il n'a rien, il est en parfaite santé, je rassurai. Ce n'est pas un homme, c'est un Homoncule.
-Quelle est la différence ?
-Les Homoncules sont des êtres issus de l'alchimie. Et, surtout, ils sont entièrement dénués d'âme. Leur conception ressemble en fait plutôt bien à celle d'un Ouchebti !
-... Et moi qui croyais que rien ne peut vivre sans âme...
Le Passeur balaya sa rame dans l'air sous la barque, et le véhicule se mit à s'élever dans les airs à une vitesse agréable.
-Et nous devons rejoindre Arcania à cette vitesse ? conclut hâtivement l'Aegyptomancien. Le temps qu'on arrive à Megira, Chara aura détruit Ataraxia et aurait fixé son prochain objectif de destruction vers Asgard...
Je lui fit signe de patienter, surexcitée à l'idée de ce qui allait se tramer. Aussitôt que le Passeur se mit à pagayer vers Arcania, l'espace se plia à sa volonté. Ce qui était autrefois ciel et terre formait à présent un tunnel autour de nous, et la vue de l'illustre Archontinent en face ne faisait que grossir à chaque seconde... Pourtant, c'était comme si notre vitesse n'avait jamais changé. Le train semblait toujours aussi doux, et le vent dans nos cheveux n'en était pas plus violent. Tant de choses que je ne saurais décrire avec des mots, mais qui forment un spectacle de tous les instants. La mer, le ciel, la douane, l'île d'Elûn, l'Eriff, ensemble formaient une farandole spatiale qu'il était à la fois terrifiant et poétique de regarder.
Cette farandole cessa un instant, le temps que le "gondole" traverse les boucliers d'Arcanes défensives. Puis elle reprit, tout aussi subitement.
-Nous ne sommes pas obligés d'aller directement à la Tour de Megira, si ? je demandai.
Au même instant, l'espace revint à la normale, et le passeur stabilisa la barque.
-Qu'il y a-t-il ? La petite dame ne veut plus aller visiter ce dont elle a toujours rêvé ? se moqua Ferdinand.
-Non, bien sûr, mais... Il y a quelque chose d'autre que j'aimerais visiter avant.
-Alexandra, m'arrêta Tarek, nous devons fournir des renseignements au groupe d'Arcania au plus vite.
-Et comment on fait ? fis-je. Si Chirutll nous avait donné des dispositifs de communication, ils n'auraient pas pu passer la Douane. Notre seule solution, c'est d'établir un contact entre Ferdinand et Thauroji, et dois-je vous faire remarquer que Thauri se trouve encore dans une zone dans laquelle on ne peut pas le contacter ?
-Thauri ? rigola Ferdinand. C'est mignoon...
Je me sentis rougir en réalisant ce que je venais de dire.
-Arrête, Ferdinand, me défendit Tarek. Alexandra a raison, si nous ne pouvons pas contacter le groupe d'Ataraxia tout de suite, nous pouvons d'abord nous balader un peu. Mais pas plus de deux ou trois heures... A quoi tu pensais, Alexandra ?
-Le tombeau d'Erett ! j'annonçai, déjà surexcitée à l'idée d'y aller. C'est là-bas que se trouve le plus puissant artéfact jamais enchanté. J'adorerais le toucher, ressentir son pouvoir... Qui sait, je pourrais peut-être apprendre quelque chose sur l'enchantement de manière générale.
-Tu sais détecter les flux arcaniques, toi ? demanda Tarek.
-Oh ! Tout le monde le peut, si on sait comment s'y prendre.
-Aller voir cet artéfact ne me déplairait pas, avoua le fulguromancien. Allez, Passeur, en route vers la sépulture d'Erett !
Le passeur pagaya de nouveau pour nous mettre en mouvement, et l'espace se distordit une fois de plus.
Quand l'espace reprit son cours normal, le Passeur déposa la barque sur un sol d'herbe. Tarek, le cerveau perturbé par la gravité étrange, se mit à vomir... Il faut dire que nous nous trouvions au centre de l'Erett, là où le ciel était constitué d'une ligne d'horizon verticale... En levant le regard, nous avions le Naeko Primordial sur notre droite, et le ciel sur notre gauche. Ce n'est pas rare de subir des malaises quand on visite Arcania pour la première fois.
Devant nous, l'entrée verticale d'une grotte. Un esprit arcanique se matérialisa devant nous :
-Bienvenue, visiteurs ! Vous vous trouvez devant l'entrée de la grotte qui mène à la dernière demeure de l'Archimage Fondateur Erett. Vous êtes là au bon moment ! Il y a quelques instants à peine, la grotte était bondée de pèlerins. Voudriez-vous un guide ?
-Non, merci ! j'assurai. Je connais déjà l'histoire d'Erett sur le bout des doigts.
Sur ces mots, l'esprit pourtant informe me fit comme un signe de compréhension et disparut. Ferdinand se pencha au-dessus du trou et siffla.
-Quelle sombre trouée ! fit-il. Je crois voir des bâtiments au fond... Ne me dites pas qu'on doit sauter là-dedans !
-Non, pas sauter ! je souriai en me dirigeant vers le trou.
Je posai un pied dans le vide, et Tarek hurla en me voyant disparaître dans les abysses. Non, je n'étais pas tombée ! Juste à la transition entre l'air et la grotte, la gravité changea du tout au tout, et je me trouvai en train de marcher sur les "murs". Je rassurai mes compagnons : dans les Landes de la Magie, la gravité était un concept vague !
En fait, pour agrandir l'espace de logement, l'Erett entier était à la fois extérieur et intérieur. Si à la première vue, tout semble "normal", quand on jette un regard aux entrailles d'Arcania, il s'agit d'un méli-mélo de tunnels du genre qui parfois peuvent mener à l'autre bout de la lune. Ces tunnels pouvaient être juste assez modestes pour laisser passer une seule personne, et d'autres suffisamment larges pour accueillir des villes entières. Une vraie fourmilière ! Et surtout, où qu'on marche, on ne risquait pas de tomber. La gravité change constamment selon là où chacun se trouve par rapport au centre du tunnel.
Notre aegyptomage fit savoir à voix haute qu'il développait des maux de tête, juste lorsqu'il sentit la gravité pivoter d'un angle droit complet. A nouveau, ce genre de comportement n'est pas anormal lorsqu'on visite Arcania sans être mentalement prêt. Mais après tout, cela me faisait plaisir de le voir tester la gravité du couloir en faisant des cercles autour du centre. Malgré ses maux, il était curieux, et à chaque expérience qu'il faisait, il en ressortait hilare. Sans ses crispations périodiques du visage, j'aurais presque cru que sa nausée s'était envolée...
Tout en bas du tunnel, l'épée d'Erett nous attendait sagement, plantée dans son socle et dirigée à la VRAIE verticale, vers la sortie du trou et donc vers le ciel. Tarek porta encore la main à sa tête lorsqu'il s'agit de changer de gravité pour aller près de l'épée.
Je pouvais sentir l'aura arcanique de cet artéfact à dix pieds de là... Et j'entendais quelque chose... Des murmures. Des cris. Des batailles. Du sang qui coulait, aussi noir que les abysses. Cette lame n'a jamais tué de mortels ; ce sang qu'elle a arraché à leur propriétaire, c'était de l'Ichor. Du sang des Eternels, qu'ils soient divins, démoniaques ou astraux.
-Pourquoi on est seuls ? demanda Ferdinand. Un tel artéfact ne devrait-il pas être gardé ?
-Non, j'assurai. Parce que Redelabath ―c'est son nom― sait se garder elle-même. Elle n'accepte pas d'être utilisée par un homme à l'âme impure et hors d'une situation de crise extrême... Comme le Ragnärok.
Sur un air de défi, le fulguromancien s'avança vers le socle et tenta de sortir la lame. Elle ne bougea pas d'un poil, et s'imbiba au contraire d'une aura brûlante qui incita Ferdinand à ne pas insister d'avantage.
Dès que le seuil de chaleur redescendit suffisamment, ce fut moi qui m'approchai de Redelabath et touchai sa lame, tentant de me laisser envahir par sa mémoire...
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