38 - En plein cauchemar
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ça faisait longtemps, je me trompe ? Eh ! C'est même Witz qui a eu le droit de commencer plus tôt ! Il était temps que je reprenne la main.
Je dois bien l'avouer, le discours de Witz avait du punch. De toute façon, personnellement, je comptais pas en finir sans un dernier combat. Et pendant tout le temps qu'a duré la réunion, mon regard restait fixé sur M46-N37 qui avait bien trop l'air de se foutre de tout ça. Comment pouvait-elle rester aussi... étrangement souriante, face à une telle prophétie ? J'aurais juré qu'elle avait quelque chose derrière la tête. Mais quoi ?
Heureusement, je n'étais pas le seul à surveiller constamment l'Axo. Ametara était bien déterminée à lui rendre la monnaie de sa pièce au moindre faux pas. Quant à Miku, elle n'aimait pas les Exanthropes de base ! Voir une robot tueuse sanguinaire ne faisait que la rendre plus vigilante. Et enfin, N0-V04 semblait lui porter une attention particulière, même s'il restait loin d'elle le plus possible...
Bref, nous étions pas moins de quatre à garder un oeil sur elle. Elle n'avait pas intérêt à nous lâcher, au risque de se faire renvoyer la politesse à coups de portails, être restreinte par des lianes et atomisée à décharges d'Arcanes et de flammes !
Donc. Après cette réunion, on a mis le cap d'un bon pas vers les téléporteurs du sanctuaire de Delphes. Comme ces téléporteurs en question se situaient assez proche de la sortie, l'on pouvait aisément voir les forces de l'ordre nous attendre en habit civils afin de nous tendre une embuscade... Et ben, comme vous pouvez le constater, c'était foiré ! Et j'ai même pris plaisir, avant de rencontrer Terminus, de leur lancer un intense doigt d'honneur en leur direction. Je me rappelle que l'un d'eux a comiquement-dramatiquement baissé ses lunettes, et sur ses lèvres on pouvait lire "Le petit fils de pu...". En y repensant aujourd'hui, j'en ricane encore !
-Non, non ! j'entendis Terminus dire pendant que je m'approchais. Tous vos voyages entre les oracles ont déjà été payés. Vous pouvez circuler librement.
-Payés ? fit Entia, perplexe. Mais par qui ?
-Par Thauroji Voltar, bien sûr. A Bruxelles, avant que je ne vous téléporte ici, il m'avait tendu une pièce divine.
-Une pièce divine ?!? se scandalisa la mage de la nature. Mais c'est une monnaie inestimable ! Qu'est-ce qui lui a pris de dépenser autant !
-D'après mes collègues, il aurait aussi dépensé une somme équivalente pour acheter des runes, du Mithrill en masse, une écaille de dragon et un peu d'Orichalque.
-Du Mithrill et des Runes ? s'égaya Dverg pour s'opposer à l'indignation de Miss Nature. Je suis touché ! Qu'il dépense autant d'argent pour moi... On peut dire tout ce qu'on veut de cet Alterrien tentaculaire, mais rien à dire, il tient ses promesses !
-Et si on cessait de bavasser et qu'on rentrait dans ce putain de portail ? je m'énervai.
L'Oracle de Trophonios... je connais pas vraiment la légende qui repose derrière, mais je sais que Trophonios était un fils d'Apollon. Moi ? la flemme de raconter tout ? Absolument pas.
Quand j'ai vu la file des gens qui attendaient les conseils de l'Oracle des Profondeurs, je me suis dit "Oooh, facile ! On sera partis en moins de deux !"... Eh ben non. Cette file, elle n'était pas grande, je l'accorde, mais teeellement lente... J'ai même eu la flemme d'accompagner Kernn à un entrainement, j'ai préféré me coucher sur le sol en attendant que ça reparte.
Autour de l'oracle ? Eh ben... Déjà, la file se trouvait devant l'entrée d'une grotte si titanesque et omineuse, qu'on aurait pu la croire habitée par un dragon. Pour le reste, tout était relativement rural. Trophonios ne se trouvait pas en pleine ville, ni même dans un petit village de campagne. Les seuls bâtiments étaient les temples et bâtiments de résidence des prêtres d'Apollon, de Mnémosyne, de Léthé et de que sais-je d'autres saloperies de divinités qui jouaient un rôle dans cet oracle.
Du reste, les chemins n'étaient même pas pavés. C'étaient juste des chemins de terre comme on pourrait en rencontrer beaucoup en randonnée, délimités par des barrières de bois et de cordes comme on pourrait en rencontrer beaucoup en randonnée, avec des panneaux d'affichages comme on pourrait en rencontrer beaucoup en randonnée. Sur ces derniers, on pouvait y lire "Bienvenue à l'Oracle de Trophonios", les règles de l'oracle et son fonctionnement... que j'ai pas pris la peine de lire, de toute façon ils étaient trop loin.
-Ils foutent quoi, là-bas ? je m'impatientai. La file avance à peine !
-C'est sûr que Trophonios ne reçoit pas beaucoup de visiteurs par rapport aux autres grands Oracles, fit Miss nature en secouant la tête, mais le processus pour recevoir les prophéties est affreusement long.
-Et pourquoi ? que je demandai.
La miss me pointa un des panneaux.
-Flemme d'aller lire, je soupirai.
Elle me fixa d'un air exaspéré, puis expliqua le pitch :
-Déjà, peu de gens viennent ici parce que c'est l'oracle le plus dangereux de tous, elle renseigna. L'individu qui cherche des réponses est d'abord invité à boire l'eau du Léthé, un des cinq fleuves des enfers. Le problème, c'est que le Léthé est le fleuve de l'Oubli, et son eau a des vertus amnésiques encore inégalables.
-Mais c'est con ! Pour recevoir une prophétie, tu dois perdre ta mémoire ? Mais t'es dingue, tu crois que ça va aider notre quête qu'un de nous oublie sa vie entière ?
-Deux secondes, Xenthores, je n'ai pas fini... Après que l'individu ait perdu sa mémoire, les prêtres dirigent l'individu sur le trône de Mnémosyne, la déesse de la Mémoire. Cela met la personne dans un état entre l'oubli et la mémoire, un état confus où l'esprit de Trophonios peut l'habiter.
La personne concernée voit en rêve des bribes du futurs, et en prime Trophonios parle à travers ses lèvres des flux de langue divine, que les prêtres sont capables de retranscrire. Dès que Trophonios quitte le corps du sujet, ce dernier reprend connaissance et retrouve sa mémoire.
-Donc la perte de mémoire n'est pas définitive ? fit Dverg, stressé.
-Non, elle n'est pas définitive, rassura Miss Nature. Cet Oracle est inoffensif, mais les méthodes utilisées effraient les disciples, qui hésitent à lui chercher conseil. D'ailleurs, il faudrait trouver quelqu'un pour se donner à l'expérience. Je propose Xenthores !
-ET POURQUOI MOI ? je m'indignai.
-Il est recommandé d'avoir un certain lien avec les profondeurs pour aller voir l'Oracle, compléta Miku. La procédure n'en est pas moins sûre, cependant plus ces liens sont puissants, plus les prédictions sont précises et nombreuses.
-C'est ça, confirma Entia avec assurance. Et personne ici n'a de meilleurs liens avec les profondeurs que toi, un semi-démon.
-Bon, d'accord ! je râlai. Mais la prochaine fois qu'il y aura un truc du genre, vous pouvez aller vous brosser pour que j'y aille !
Rien de plus ne s'est passé avant notre arrivée dans la grotte, donc laissez-moi en venir au fait.
Cette caverne était... titanesque. Les stalagmites et stalactites, respectivement ancrées dans le sol et le plafond, jaillissant par centaines, accroissaient largement cette impression de rentrer en plein dans la gueule béante hérissée de dents d'un dragon millénaire.
Les prêtres nous guidèrent vers une grande dalle circulaire, en nous demandant de bien vouloir rester immobile et de ne pas se toucher. Vous savez quoi ? J'en ai marre de ce flash lumineux, de cette insensibilité générale que je ressentais à chaque dématérialisation. Les téléportations, c'est de la merde !
Bref, on s'est retrouvés dans une grotte encore plus grande. Là, nous avions quitté la bouche du Dragon et on se trouvait dans son estomac.
Des torches illuminaient l'entièreté de la cavité. Des stalactites semblaient tomber des gouttes qui s'écrasaient en hurlements lointains, comme si chacune d'entre elles était infusée par les âmes des morts. De la mousse rouge sang saillait çà et là ; et, séparant la grotte en deux, un fleuve dont la simple vue perturbait mon esprit. De manière inverse, le trône qui résidait entre nous et le fleuve me l'apaisait.
-Qui est disposé à recevoir l'Esprit de Trophonios ? demanda à voix haute un prêtre en robe rouge sombre.
J'avançai d'un pas ou deux après une grande inspiration.
-Très bien. Avancez, et buvez l'eau du Léthé.
Un autre prêtre manipula l'eau du fleuve afin d'en remplir une sorte de calice, qui me fut tendu par la suite. Tentant de me convaincre moi-même de la sûreté de l'opération, ce fut d'un geste franc que je pris la coupe et la vidai d'un trait.
...
Plus jamais ça.
Je n'ai jamais perdu les souvenirs de ce moment précis. C'est... horrible. Croyez-moi, si vous perdez toute notion de mémoire, faites tout ce qui est en votre possible pour ne pas récupérer vos souvenirs originels. C'est trop douloureux. Au contraire, profitez-en ! Refaites-vous une vie, recréez-vous une identité, un caractère, mais JAMAIS, au grand JAMAIS n'essayez de retrouver vos souvenirs d'avant.
Je n'étais plus personne. J'étais comme un nouveau-né, à peine conscient de ce qui l'entoure. J'étais tombé sur mes... membres, infoutu de savoir comment bouger. Est-ce que je savais seulement la notion de "bouger" ? Etais-je seulement conscient de mon état ? Etais-je lucide assez pour me rendre compte que j'étais un être vivant ? Des êtres sombres mystérieux m'ont pris par le bras et m'ont tiré... Mon instinct a réagi par la peur, et j'eus comme seul réflexe de me recroqueviller. Les êtres m'ont subitement lâché et je me cognai... quelque part. Etait-ce ma tête ? J'apprenais à nouveau le principe de douleur, puis de colère. Qu'étaient ces machins ? Que voulaient-ils de moi ? Poussant un cri primaire, je tendis violemment mon bras vers le plus proche... puis sursautai. Qu'est-ce qui venait se sortir de la fin de mon bras ? Quelle était cette chose orange ? Ça m'aveugla un instant... C'était chaud, et ça n'a pas duré longtemps...
"Calme-toi, Xenthores !"... Ce bruit, derrière moi, accrut ma peur. Le temps de me rendre compte comment orienter ma vue face au bruit, je vis d'autres êtres... Plein d'autres êtres, moins mystérieux...
Je ne connaissais plus rien. J'ignorais ce que ça faisait de goûter, de sentir, d'entendre, de voir, de toucher. Tout m'incitait à la frayeur, tant tout était nouveau... La seule et unique chose qui me réconfortait, la seule et unique chose que je reconnaissais, c'était le clapotis du fleuve Léthé et le goût de son eau.
Imaginez-vous... Vous vous réveillez, un jour, sans aucun nom, sans aucune identité. Vous avez oublié le toucher de vos doigts sur votre propre peau, le son de vos acouphènes, l'odeur de votre nez, le goût de vos dents et la simple vue de la lumière. Vous ressentez tout ça pour la première fois, sans aucune volonté propre. Le simple fait de pouvoir bouger vos membres est une nouveauté qui vous effraie, comme si vous aviez été paralysé votre vie entière et, si vous respiriez, ce serait uniquement par réflexe. Vous n'avez aucun souvenirs ; vous ne connaissez aucun concepts. Et si vous croyez pouvoir survivre avec votre mémoire musculaire, celle qui vous permet de faire mécaniquement des gestes du quotidien, abandonnez aussi. Vous ne saurez même plus marcher.
Oui. C'est ça que ça fait de boire l'eau du Léthé. Et je vois pas comment quiconque, même masochiste, aurait envie de tenter l'expérience une deuxième fois. Jamais je ne me suis senti aussi ridicule, impuissant et insignifiant.
Heureusement, la torture ne dura pas longtemps, puisque je me trouvais à peine à quelques pas du trône. Après que je me sois miraculeusement calmé, que je me sois résolu à ce que je ne puisse rien faire d'autre, un prêtre éleva la dalle de pierre sur laquelle j'étais recroquevillé pour me poser sur le trône de la Mémoire. Et puis, le noir complet...
Une forme orangée cachait le centre de ma vision, tel un nez gigantesque et écarlate. Des plumes rougeoyantes couvraient mes bras, et mes pieds ne se séparaient plus qu'entre quatre doigts crochus. J'étais devenu un Phénix, au centre de son nid, protégeant ses petits. Un félin de sombre foudre rôdait dans les parages, se fondant tel une ombre furtive parmi la nuit... Je sentais retrouver mon identité : je commençais à retrouver le confort dans mon ardeur. "CASSE-TOI, SALE BÊTE !" je voulus crier... Mais ne sortit de mon bec qu'une piaillerie torride.
Les yeux du Raiju percèrent les ombres, et je le vis... Bien trois fois plus grand que moi, la langue parcourue d'arcs électriques noirs léchant ses babines, il s'avançait sans peur, certain d'avoir trouvé son prochain repas.
Je regardai mes poussins. Je voyais la peur dans leurs petits yeux sous-développés. "Tu vas nous sauver, hein, papa ?" semblaient-ils me supplier. Et je leur répondis tacitement "Restez derrière moi, il ne vous arrivera rien."
Le chat bondit ; saisissant l'occasion, je me rue sur lui et le harcèle de coups de bec. Mais le félin est plus fort et me griffe sans merci... J'avais beau avoir une force démesurée, ses griffes rayèrent mes yeux, me privant de toute lumière. Vaincu, je tombai sur le sol...
De mon ouïe intacte, je percevais encore le félin se diriger vers le nid, et les oisillons piailler plus que jamais. Je ne pouvais pas le laisser faire... Habité par une nouvelle force, je m'élançai aveuglément sur le matou et l'enveloppai de mes ailes. Une chaleur nous enveloppa, si forte que moi-même je n'étais capable de la supporter. Si je tombais, alors j'allais l'emmener avec moi !
Cette vision s'arrêta pile au moment où la déflagration se fit sentir, tuant le Raiju et moi par la même occasion... Mais au moins, le nid était sain et sauf.
Je me trouvai soudainement au-dessus de l'Afrique du Sud. Sous moi, une véritable marée de sang. En plein milieu, des coups innombrables tranchaient l'espace lui-même. Je m'approchai.
Non... Ce n'était pas une mer de sang... C'étaient des abominations des profondeurs. Ce véritable tsunami rouge n'était en réalité qu'une masse informe de diablotins, de feux-follets mineurs, de spectres et de morts-vivants, tous se ruant dans la même direction...
Chara. Ce n'était pas Atherach que je voyais là, c'était bel et bien Chara. Son couteau rayonnait d'une sorte d'énergie rouge, et son faciès meurtrier, fondu semblait lancer un défi au champ de bataille tout entier. L'armée des démons ne l'attaquait pas... Pourquoi venaient-ils s'offrir à elle de la sorte ? J'observai plus attentivement la démone. Chacun de ses coups de couteau enlevaient des vies par centaines, et plus elle tuait, plus elle prenait en puissance.
Une lance divine fut lancée en direction de son cœur... Elle reçut l'arme avec tranquillité, avant de l'arracher de son corps en lançant un hurlement terrifiant, non pas de douleur mais de combativité... de Détermination.
Je fus forcé à regarder un autre côté du champ de bataille. Tentant de percer la marée démoniaque, des Anges, des Einherjar, des Spartoïs et d'autres armées divines agitaient leurs armes en vain ; à chaque diablotins qu'ils tuaient, il en revenait dix. La foudre de Thor pleuvait ; les flèches d'Apollon et d'Artémis couvraient le ciel ; l'Avatar d'Horus abattait son glaive sans réprime. Contre eux, les Démons de Première puissance : Agàpi et Satan retournaient les guerriers contre leur propre camp, par amour ou manipulation ; Insedious et Isphet labouraient le merdier à coup d'explosions ou de chaos ; Sĭ et Belzébuth fauchaient les soldats comme le blé, que ce soit par leur faucille ou la maladie...
C'était un carnage. Une vision de l'enfer. Je n'aurais su dire, à ce moment-là, quel camp j'aurais supporté.
Le rêve me força à entrer dans la masse, et je sombrai à nouveau dans les ténèbres.
Nouvelle vision : une salle sombre. Au milieu, une sorte de pentacle à sept côtés, dont trois étaient deux fois plus grands.
Au centre du pentacle, une femme en position foetale... Et dispersés aux sept coins du rituel, ce qui paraissait être les carcasses informes et inhumaines de sept prêtres ―comment je connais leur fonction ? Leur robes... Même si elles étaient déchirées et n'allaient plus du tout à leurs propriétaires―.
La femme se leva, renifla l'air et ouvrit les yeux en me fixant intensément. Ses pupilles m'hypnotisaient... C'est comme si on avait posé un effet d'inversion de couleur sur ses yeux, puis teint l'iris en un rouge grenat. Rien qu'à regarder dans ces globes, j'avais l'impression de... changer. Mais pas en bien. J'avais l'impression que mon bras se disloquait, que mon œil droit descendait sur ma joue et que ma mâchoire se divisait en deux...
Tandis que je m'approchai de cette démone, sa morphologie changea du tout au tout. Si elle conserva un vague air humain et féminin, son corps me rappelait une sorte de brume noire parsemée çà et là de lueurs écarlates.
Je m'étonnai beaucoup lorsque je vis une sorte de larme se former sous les "prunelles" de cet être. Cette larme, d'une noirceur intense, fut le nouveau point de focalisation de mon rêve alors qu'elle tombait, tombait, tombait...
En-dessous, un cri bestial. Une créature sombre et chaotique se prenait à un groupe de phénix, impuissants face à une telle calamité. La larme tomba en plein sur la tronche du monstre... Ce dernier eut beau se débattre autant qu'il le souhaitait, il ne pouvait rien faire. Ce liquide l'absorbait, l'attirait dans ses profondeurs et l'incitait à la noyade.
Je fus aussi attiré dans cette larme à l'obscurité insondable, et changeai à nouveau de plan.
"Puissent nos Créations fleurir, et naviguer à travers ce merveilleux monde qui est le leur," fit un homme en face de moi, un homme nu et musclé à la peau complètement blanche. Son épiderme était décoré d'une multitudes de symboles lumineux bleutés. Si certains me faisaient penser à des tatouages tribaux, d'autres m'évoquaient des dessins antiques ―du cunéiforme, des hiéroglyphes et tout ça, quoi―.
"A tous les êtres, je dévoue l'Intelligence," il continua. "Puissent-ils utiliser le don de la Science avec sagesse."
Une femme était à ses côtés, son exact contraire. Sa peau dénudée d'un noir abyssal était, elle, ornementée de symboles inconnus, qui me paraissèrent même aléatoires... Voyais-je bien son abdomen légèrement gonflé ?
"Quant à moi, je leur donne le Muthane," dit-elle avec mélancolie, une pierre rouge et brillante dans la main. "Animal ou végétal, chacun utilisera le Muthane à sa manière. Puissent leurs ambitions ne jamais égaler celle de notre aîné."
Le visage de la femme se tordit et s'altéra, d'abord en un rictus rougeâtre abominable typique de certains démons, et ensuite en... maman ?
J'avais déjà vu sa tête en portrait dans le palais de Baal... Des yeux mauves profonds, des cheveux aussi doux et chaleureux que la flamme d'une bougie, un sourire agréable...
Pyro, démone des flammes. Ma véritable mère. pourquoi ce rêve m'avait-il orienté vers elle ?
Autour d'elle n'était qu'une vaste grotte, même si on ne l'aurait pas cru tout de suite. Les murs, les plafonds, les stalactites, tout était recouvert d'une végétation amazonienne dont Miss Nature aurait raffolé. Flottant en plein milieu de l'espace, un point vert lumineux à peine aussi long que mon pouce illuminait tout et, pour compléter la lumière ambiante, plusieurs plantes émettaient une lueur blanche.
Ma mère était couchée, en train de regarder deux objets. Dans sa main gauche, une dague enflammée qui aurait pu foutre le feu à tout moment à la végétation ―pourtant rien ne semblait nourrir les flammes― et, dans sa main droite, une fleur blanche et rouge.
Je voulus me ruer vers elle, la rencontrer, échanger ne fut-ce que quelques mots... mais quelque chose m'empêchait tout déplacement. Ce n'était pas comme lorsque mon rêve m'imposait mon emplacement, quelque chose m'attirait vers l'arrière. C'était la première fois dans toute cette vision que je ressentais réellement quelque chose... C'était comme si... Comme si mon corps était un élastique, sur lequel on tirait. Je tentais par tous les moyens d'échapper à cette force, mais elle était bien trop forte.
Tel une poussière avec un aspirateur, je me suis fait absorber.
-OUCH ! je criai alors que je tombais sur le sol.
Je mis mes mains devant ma bouche. Jusqu'ici, ce rêve ne m'avait pas permit de parler...
L'environnement ne m'avait plus rien de connu. Je nageais en plein délire... L'espace n'avait plus de signification, je ne pouvais dire de quel matériau était fait le sol, et je n'avais même aucune idée de si je marchais dans le bon sens : est-ce que je me trouvais sur un plafond, un mur ?
-Bienvenue, Xenthores Sides.
Je me retournai et dévisageai l'être qui se présentait à moi. Enrobée de lianes, laissant dans les airs un fumet ignoble, un physique incitant au dégoût... C'était Elle. C'était Elle qui a failli buter Kernn.
-DEGAGE ! je hurlai.
Je lançai mon poing en avant pour projeter une boule de feu, mais rien ne se passa.
-Ta magie n'a aucun effet ici, fit N1-V01 en s'avançant à pas tranquilles. Dans ce monde, il n'y a ni Muthane, ni Arcanes, ni Rayonnements Thêta, ni Cinétisme, juste des cauchemars et rêves brisés.
-Qu'est-ce que tu me veux, putain ?
Elle poussa un soupir de satisfaction.
-Je vais prendre un malin plaisir à te torturer, Xenthores Sides. Un être de ta trempe, rendu faible et vulnérable... Tu ne le montres peut-être pas, trésor, mais je perçois ta détresse. Aaah, ce qu'elle m'est précieuse...
Elle était assez proche, à présent. Je dégainai mes deux bâtons et lançai l'un d'eux en direction de son visage. Des lianes épineuses sortirent d'un coup du sol et m'immobilisèrent le bras, juste avant que j'atteigne ma cible. Je pouvais percevoir un poison s'éparpiller à travers mes veines, et je ne pus que regarder alors que mon membre paralysé se teintait de bleu.
-Abandonne tout espoir de me vaincre. Vois autour de toi : tu te trouves dans le Monde des Rêves, et il se trouve que sa Gardienne est ma première épouse. Je viens chaque soir ici, pour visionner le domaine de la Prémonition. J'admire toujours les prochaines quarante-huit heures ; aussi je connais le moindre de tes mouvements, le moindre de tes actes passés et futurs sur le bout des griffes...
-Tu vas me tuer, c'est ça ?
L'Axo fut prise d'un fou rire aux sonorités mécaniques.
-Te tuer ? Non, surtout pas. Cette... entrevue, que nous avions eu plus tôt, ne servait qu'à jouer avec vous. S'il n'y a pas eu de morts, c'est parce que je l'ai voulu. Vous êtes simplement une telle source de divertissement ! Surtout ce Thauroji Voltar, sa peur est... exquise.
-Tu veux dire quoi, salope ?
-Doucement, trésor, me murmura-t-elle à l'oreille. Il ne fait pas bon de prononcer de telles paroles ces derniers temps... Si je le souhaitais, je pourrais claquer du doigt et déchaîner sur vous la Bête. Et même la force de cet Alterrien, même les Portails de cette voleuse ne vous sauveraient pas. Elle n'aura de repos que lorsqu'elle aura lapidé les survivants avec les crânes démembrés des autres. Ce que je veux ? Vous voir souffrir, voilà ce que je veux. Et que vous me livriez mon frère, pieds et poings liés.
-TU PEUX TOUJOURS CREVER POUR QUE JE TE LE LIVRE ! je hurlai. N0-V04 fait partie de l'équipe, on l'abandonne pas comme ça !
-Ooooh, mais je l'aurai, ne t'en fait pas. D'une manière ou d'une autre. Et il souffrira pour l'éternité...
L'Axo claqua des doigts, faisant surgir du sol un homme couronné aux airs hagards. Rien qu'à la vue de N1-V01, il versa une larme et s'agenouilla, comme résigné à son destin.
-Sais-tu qui c'est ?
-Non, mais tu vas me le dire.
-l'âme de Alan Frakt, l'Empereur d'Ampéria. Chaque fois que je viens ici, je lui fais subir une nouvelle forme de torture. Regarde-le... Il a atteint des niveaux de peur encore insondés, et il n'a pas encore touché le fond. N0-V04 fera un parfait nouveau cobaye, lui qui sursaute au moindre bruissement, ne trouves-tu pas ?
-Par Satan, pourquoi tu t'acharnes sur lui ?
-Parce que de toute ma fratrie, il n'y a que lui qui était assez pur pour vouloir m'aider. Pourtant... Combien de fois ai-je été battue par mes frères ? Combien de fois m'a-t-on insultée de tous les noms ? Ce n'est pas ma faute si je suis née de cette manière... Et combien de fois lui a pris ma défense ? ZERO ! Peu importe quelle est l'envergure de sa "sympathie", il ne reste qu'un Exo, et mérite d'être puni comme les mâles de notre espèce. Alors pourquoi vouloir le torturer lui, plus que les autres ? Probablement parce que de tous les Codex de mes frères, c'est le seul auquel j'ai accès.
-Sérieusement ? Tu vas l'utiliser en tant que Bouc émissaire ? Mais ce type ferait pas de mal à une mouche !
L'Axo caressa ma joue de ses griffes, m'entaillant profondément et laissant s'infiltrer un poison extrêmement douloureux.
-Un Exo reste un Exo, elle répondit en se délectant de ma souffrance. Ils sont tous pareils, de sales phallocrates désireux de nous transformer en simples objets destinés à leur obéir. Cette ère est révolue.
De mon bras éveillé, j'initiai une nouvelle attaque qu'elle esquiva sans effort. Ses lianes me plaquèrent à terre, et elle promena ses griffes empoisonnées sur tout mon corps tandis que des spores toxiques rentraient dans mes poumons...
Je n'en pus plus de me retenir, et hurlai de détresse face à cette torture.
-Je connais ton tempérament, Xenthores. En fait, je sais tout de toi. Je connais tes joies, je connais tes peurs, je connais tes forces, je connais tes faiblesses. Et je connais aussi ton père... Je t'en prie, je sais que tu brûle d'envie de le savoir. Pose-moi la question, et je te répondrai.
J'en avais rien à foutre de sa putain de question à la con, apprendre l'identité de mon père ça pouvait attendre. J'avais plutôt envie de l'insulter, mais ne sortait de ma gorge affreusement enflée que des gémissements abominables. Si seulement j'avais besoin d'air, dans cette dimension à la con, je serais déjà mort depuis longtemps...
Le sol commença à trembler, alors qu'une odeur encore plus nauséabonde m'emplit les narines.
-Elle arrive... fit-elle posément en découpant mes paupières gonflées pour me forcer à regarder. J'ai hâte de te la présenter. On dit que les gens qui assistent à la vue d'un Grand Ancien succombent à la folie... Oh, mais je suis certaine que tout va bien se passer, trésor.
Des lianes empoisonnées élevèrent ma tête, me contraignant à observer la chose qui approchait... C'était une créature tout droit sortie d'un cauchemar. Une masse de chair noirâtre dénuée d'os et de carapace, surmontée d'une paire d'yeux monstrueux. Pas de bouche, aucun attribut de tant soit peu humain, seulement vingt tentacules avec lesquelles la chose se traînait. Et plus ça se rapprochait, plus je me sentais faillir... ce que j'aurais fait depuis belle lurette si les poisons de cette salope de robot ne m'empêchaient pas de tomber dans les pommes.
Qualifier l'odeur de "mélange putride entre un oeuf pourri, une carcasse en décomposition, des détritus chimiques, des écuries d'Augias et de chiure de Satan" serait encore trop faible.
-Oorn, ma chérie ! Le repas est servi ! fit N1-V01, toute excitée.
Une tentacule caressa le visage de l'Axo avant de se pencher sur mon corps... et de m'asperger d'un liquide hautement corrosif.
Ce truc creusait dans ma chair, digérant tout sur son passage, à même mes os... Incapable de fermer les yeux, j'aperçus N1-V01 empêcher la Grande Ancienne de me consumer. L'Axo s'agenouilla à mes côtés et posa sa paume sur ma joue en décomposition...
-On s'est bien amusés, toi et moi. Mais ton destin ne s'arrête pas ici. Au plaisir de notre prochaine rencontre !
La lumière frappa mes rétines avec violence et je me remplis les poumons de tout l'air que je pus. Je clignai des yeux... Ouf ! je pouvais cligner. Plus de paupières arrachée, plus de spores toxiques, plus de poison de torture, plus de sucs digestifs d'un Grand Ancien. Tout ce qu'il me restait, c'était ce sombre relent dans mes narines... Ah, et aussi ce grand malaise, une sorte de mélange entre un vide et une douleur dans mon âme.
-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? s'affola Olivia.
-Ce... C'est inexplicable ! fit un prêtre, tremblant, pendant que d'autres m'aidaient à me relever du Trône de Mnémosyne. L'esprit de Trophonios a bien possédé votre ami, sans avoir la puissance nécessaire pour parler à travers lui... C'est comme si une autre force avait été à l'œuvre dans son corps !
-Oui, je répondis platement. Oui, il y avait quelqu'un d'autre...
-Qui était-ce, fils de Pyro ? enquêta le prêtre.
-Une meuf que vous avez pas envie de rencontrer, je fis. Croyez-moi.
Du coin du regard, je vis N0-V04 perdre toute assurance.
-N1... N1-V01 ?
-Ouais. Et elle était pas seule. Y avait aussi ta belle-sœur.
-Ce n'est pas bon, lança le prêtre à voix haute. Pas bon du tout. Vous devez fuir au plus vite et rester cachés. Avant de partir, as-tu eu des visions, fils de Pyro ?
-Peut-être un peu trop...
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