Sous les eaux

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Nous connaissons tous ces légendes ! Celles qui viennent des temps anciens. Des légendes qui viennent de si loin qu’on ne sait plus si leurs récits ont un jour existé ou si ce n’est qu’une croyance populaire qu’on essaie de transmettre pour éveiller l’esprit des enfants. Ces légendes racontent de nombreux mythes, la création d’autre réalité et l’extinction de peuple ancien. En voici une, qui transmise à travers les âges, a fait rêver les enfants de tous les continents tout comme vous.

« Alors que la terre et l’océan étaient encore unis, alors que chacun de ne s’était pas encore fragmenté en un millier de continent et même un million de ruisseau, de mer et de fleuve, nous pouvions, en ces temps reculés, entendre de chaque côté du monde s’élever des chants mystiques. D’un côté les créatures de la terre chantaient l’herbe, les fruits et les plaines. Elles s’émerveillaient de la beauté des jours, du vert des plantes et du gris des rochers. De l’autre, les créatures de l’eau, elles, glorifiaient les vagues, l’écume et les milles couleurs des coraux.

Ces créatures des eaux, nous les appelons communément sirènes. C’était un peuple merveilleux capable de vivre à des profondeurs qui nous auraient paru insupportables. Un peuple uni ne souffrant ni de guerre, ni de querelle. Un peuple avancé dans des technologies qui auraient mis en doute l’existence d’un futur plus glorieux. Ces sirènes étaient comme vous devez vous l’imaginer : d’une beauté sans pareille, à la voix claire et pure comme le lit d’un ruisseau calme. Mais comme toute civilisation à la pointe de son époque, les choses se dégradèrent pour le malheur de tous. Cela commença à cause d’une liaison. Une triste histoire d’amour !

Une jeune sirène dans l’âge d’aimer, nageant d’un confins à l’autre de son royaume perçut un jour un bruit venant d’un endroit qui lui était encore inconnu. Il fut fort attiré par ses délicieuses notes venant de la terre. La créature des eaux décida alors de s’approcher du rivage pour mieux goûter à cette mélodie envoutante. Après avoir nagé d’une traite et une fois à la surface, s’étant reposé sur le bord d’un rocher balloté par les vagues, il rencontra ce que le destin lui réservait. Une créature de la terre dont il ignorait de loin le nom chantait pour son bon plaisir. Elle mettait en mélodie le désir de découverte, d’aventure et de rencontre. A cette voix venu de la poussière se maria bientôt la voix de l’eau. Les deux êtres entonnaient la même cantique apportant ce qui manquait à l’autre pour être complet. Le tout fit naître ce que les deux avaient depuis toujours rêver : un amour pur ! »

- Foutaise ! Les sirènes sont incapables d’aimer tel que tu le racontes. Et les humains ne sont pas mieux. Ils sont tous aigres et avares.

- Chut Axel ! Si maintenant aucun n’est plus capable d’aimer, avant c’était le cas. Ce genre d’amour s’est perdu avec le temps et les épreuves, voilà tout. Maintenant, laisse-moi finir mon histoire.

- C’est une plaisanterie plutôt qu’une histoire ! Je n’y crois pas du tout, s’exclama le dénommé Axel.

- Chut !

La créature regarda son ami d’un œil sévère avant de reprendre :

« C’était un amour pur et vrai à tel point que les deux clans ne le virent pas d’un bon œil. Ils n’avaient pas confiance en ce qu’il pourrait se passer. Ils n’avaient pas confiance en le Doute et la Possibilité. Ils préférèrent mettre un terme à tout ça avant que cela ne finisse mal. Avant même que cela ne commence devrions nous dire !

Malheureusement, parfois il faut laisser le temps agir avant de courir contre lui. Personne ne pouvait savoir si cette histoire d’amour finirait bien ou si elle causerait le déclin de toute une population. Les créatures de la terre et de l’eau ne connaissaient pas le pouvoir du temps. Elles préférèrent agir avant d’avoir laissé l’amour s’épuiser de lui-même.

Tous de leur côté prirent donc des mesures radicales pour tuer cette passion qui venait à peine d’éclore. La mer décida qu’il fallait chanter plus fort que la terre pour cacher leur voix. Sur la poussière des continents, les êtres de boue avaient choisi d’utiliser la même stratégie pour séparer les deux âmes qui s’étaient éprises l’une de l’autre. La mer se mit, comme elle l’avait décidé, à vocaliser plus fort qu’à l’accoutumé. La terre, elle aussi, célébra ses trésors et sa beauté sans s’essouffler. Les vagues psalmodièrent leur cantique et les arbres pépièrent à leur tour essayant d’effacer la voix de l’autre. Le vent frappant l’écume hurla sa fureur et les fleurs beuglèrent leurs couleurs. L’eau et la terre gueulèrent jusqu’à s’égosiller ne créant qu’une cacophonie capable d’assourdir des dieux. Ils rabâchèrent tant leurs louanges que les vagues se soulevaient sans discontinuer, la terre tremblait, parcouru par mille voix. Le ciel se déchainait n’épargnant ni éclair ni tonnerre. Se fut si vif que la terre se fissura. Elle se scinda en un millier de morceaux et s’éparpilla aux quatre coins du globe. Les continents, les pays et les îles se perdirent séparant les deux amoureux pour toujours.

Les royaumes ainsi fragmentés ne manquèrent pas de morceler les populations. Elles furent brisées à la suite de ce cataclysme. Dissociés ainsi en un millier de morceaux, chaque groupe se perdit de vue. Les amis, familles, ennemis s’oublièrent. Ils reconstruirent des relations les uns loin des autres. Le temps les différencia, les changèrent. Chacun commença à parler différemment jusqu’à altérer définitivement leur langue. Ce qui avait été deux populations se métamorphosa en des centaines de coutumes, de cultures différentes qui n’avaient plus rien en commun. Tout trace de leur union passée avait disparu. Au fond, ce fut leur racine qui disparut avalée par l’oubli.

Quant à nos deux amoureux irrémédiablement éloignés, ils cherchèrent en vain à se retrouver, voyageant d’un bout à l’autre de cette sphère fendue. On raconte même de drôles d’histoires sur ce que tenta la sirène pour retrouver sa moitié. On entend parfois dans certaines légendes que la créature des eaux troqua sa forme aquatique pour pouvoir survoler les terres et les landes. Elle aurait échangé sa queue de poisson et son genre contre un affreux corps d’oiseau pour retrouver son amour. Ne gardant que sa tête sous des traits féminins, il se mit à chanter près des côtes pour espérer un jour revoir sa moitié. Depuis, il attire tous les marins qui partent en mer pour leur poser sa question ‘Où se trouve ma bien aimée ?

- C’est hélas, une histoire bien triste !

- Ha ha ha ! C’est un gros mensonge ! Comment peut-on débiter une telle ineptie en faisant croire à des légendes des temps lointains ? Moi, je connais de bien meilleures histoires et se rapprochant beaucoup plus de la vérité. Si tu veux faire rêver les enfants raconte leur de beaux contes. N’essaye pas de leur vendre une demi-vérité qui ferait pleurer n’importe quel conteur. Testes plutôt avec cette fin-là :

« Mais malgré toutes les catastrophes qui s’abattirent d’un bout à l’autre du globe, rien ne pouvait assombrir le lien entre les deux êtres que l’amour avait réuni. Dans tout ce chaos, ils se retrouvèrent irrémédiablement attiré l’un vers l’autre. Ils se rejoignirent malgré tous les efforts que l’eau et la terre avaient mis en œuvre. Ils s’unirent définitivement, ne pouvant plus être séparés ni par la bruine, ni par la poussière, ni par quelconque autre force aussi puissante soit-elle. »

- Fin heureuse ! Bonne nuit les enfants ! C’est totalement imaginé mais on ne pourra pas m’accuser de vouloir raconter des légendes alors qu’il n’y a là que de la guimauve fondante pour des enfants voulant seulement bien dormir. Ce ne sera qu’un conte !

- Axel ! C’est honteux de changer ainsi les traditions. Ne veux-tu pas, un semblant, faire vivre le mythe ?

- Quel mythe ? Il va bientôt mourir. Mieux vaut raconter des contes et finir dans la douceur d’une paisible irréalité. Une brumeuse happy end ! Si tu tiens tant que ça à souffler le peu de bonheur qu’on peut dispenser à des gosses qui n’auront jamais la famille qu’on leur promet alors autant raconter des histoires tristes ! Autant leur raconter les atrocités qui se cachent derrière tes demi-vérités, derrière ces histoires et qu’ils apprendront un jour ou l’autre !

- Tu ne vas quand même pas…

- Ecoutez les enfants ! Moi j’ai plus qu’une légende à vous raconter. Moi j’ai une tragédie à vous narrer. Elle commence un peu comme celle de mon ami. La mer, la terre blablabla… des amoureux blablabla… et deux populations qui veulent les séparer. Des mélodies si violente qu’elles explosèrent la roche et brisèrent le monde.

« Là où tout semblait définitivement rompu, deux cœurs avaient encore l’espoir de se retrouver. Deux cœurs avaient encore la foi de s’aimer à jamais. Mais le destin est bien cruel ! Le destin est pire qu’une population peureuse, c’est un monstre ! Il laisse les cœurs se joindre lorsqu’il sait que le temps détruira ce beau couple et il sépare les âmes vouées à toujours s’aimer et s’étant enfin trouvées. C’est un jeu barbare qu’il affectionne particulièrement. Il avait ici mit en jeu le temps lui-même. Il n’avait pas décidé de faire s’étioler les cœurs le long des jours resté éloigné. Il avait parié sur une cruelle course contre les secondes.

Alors que les êtres de l’eau avaient une vie filante, incertaine mais longue, terriblement longue, les pauvres êtres de la terre avaient une vie forte, puissante et courte. La vie n’était pas la même pour tout le monde, la mort aussi. Les amoureux eurent beau se chercher, c’était fini ! Le temps avait eu raison de leur cœur. L’une des deux moitiés périt dans le silence loin de son amour. »

La tragédie de cette histoire fit perler une unique larme salée bien vite emportée sur la joue d’Axel. Il devait avoir un jour ressenti une douleur similaire !

- Penser qu’au loin, la sirène sentit cette sadique incision qu’on lui fit dans la poitrine. Il avait perdu. Il avait tout perdu !

« Jamais il ne se retrouvèrent. L’être des eaux dû vivre ou plutôt survivre avec cette perte gravée dans son âme pour les siècles vicieux qui s’écoulèrent sans le toucher. »

- Axel ! Ce ne sont que des enfants !

- Ils doivent savoir ! Ils doivent savoir ce qui est arrivé ces jours-là !

« Ce que les légendes racontent peu. Ce qu’elles taisent, enfouissent dans les décombres d’un passé accusé d’être trop lointain, ce sont les catastrophes qu’engendrèrent la folie des eaux et de la terre. Certes la terre se déchira, se fracassa mais que pensez-vous que les réelles conséquences soient ? Seulement une séparation bien nette entre les continents ? Vous êtes bien optimistes ! La réalité fut tout autre.

Le globe se métamorphosa entièrement. Les mers reculèrent, les terres avancèrent. L’eau se figea de froid piégeant bon nombre d’individus sous des kilomètres de glaces. Ils sont aujourd’hui morts. N’espérez rien ! Des volcans se réveillèrent calcinant la poussière et ceux qui habitaient dessus. Eux aussi ont péris. Des îles, des déserts, des montagnes furent engloutis sous la bouche des eaux. Des montagnes, des sols émergèrent entourant des cités sous-marines qui séchèrent au soleil. Le monde ne fut plus qu’algues en poussières et argile noyé. Les dégâts furent colossaux dans les deux camps. Des années de progrès avaient été mis à mal pour… pour rien. Par peur d’un stupide amour !

Les êtres de la terre, eux, survécurent malgré les dégâts. Ils n’eurent que peu de mal. Regardez comment ils pullulent sur le moindre roc semé çà et là. On ne peut pas en dire autant pour le peuple de l’eau. Ils furent décimés, exterminés ou sont maintenant voués à disparaître au fil des siècles. Les seuls qui ont survécu se cachent maintenant aux antipodes d’un monde qui ne leur appartient plus. Quelques-uns sont devenus de monstrueuses créatures en se réfugiant dans les profondeurs des crevasses. Ils ne sont plus que des ombres squelettiques, aveugles et agressives. Quoique ce ne soit plus les sirènes que les siècles ont laissé imaginer, ce sera les dernières à survivre. Le reste… »

Une seconde larme courut sur la peau d’Axel. Il était touché malgré ce qu’il laissait paraître.

« Le reste, ils sont voués à disparaitre. »

Il inspira difficilement.

« Le reste des sirènes s’est retrouvé bloqué. L’eau s’est retiré lorsque les montagnes ont émergé. Seul a persisté de petits lacs. L’eau salée a laissé place à l’eau douce. Les étendues colorées de coraux ont laissé place à quelques pauvres cailloux. Ce n’était malheureusement pas suffisant. Le temps se chargea d’eux. Les années passèrent. Les uns après les autres, la terre eu raison d’eux. La poussière qui recouvre le fond n’est que les restes. »

- Axel, arrête ça suffit !

- Regardez autour de vous ! La voyez-vous la sirène ?

Les deux petits qui écoutaient jetèrent un coup d’œil autour d’eux. Non ! Ils n’étaient que tous les quatre à nager dans leur petit bassin d’eau douce.

- Voici la vérité ! Il ne reste plus que nous ! Il n’y aura désormais plus rien sous les eaux !


Fin

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