Chapitre 2 : Métempsycose
Le néant vous envahit. Vous ne sentez rien, vous ne voyez rien, vous n’entendez rien. Le silence est la seule chose qui vous entoure. C’est donc ça, la mort ? Elle vous semble tellement plus agréable que la vie, tellement plus apaisante. Vous n’avez plus à subir la souffrance que les autres vous infligeaient, vous n’avez plus à supporter la sensation d’être un déchet aux yeux de tous, vous êtes enfin libre.
Vous restez longtemps dans ce sombre espace-temps sans bouger, car vous ne le pouvez pas. C’est comme si vous n’aviez plus d’enveloppe corporelle. Mais c’est pendant que vous vous faites cette réflexion que l’un de vos sens s’éveille soudain : le toucher. Vous parvenez maintenant à sentir ce qui touche votre peau. Petit à petit, les sensations reviennent une à une. Vous vous remettez à respirer, à bouger, vous discernez des odeurs, des sons, de la chaleur. Le vent semble frapper fort mais étrangement vous n’avez pas froid. L’odeur de la neige emplit vos narines. C’est alors que lentement, vous ouvrez les yeux. Le soleil vous éblouit puis un ciel d’un bleu profond parvient à se montrer derrière vos paupières plissées. Vous tentez de vous lever mais vous n’y parvenez pas. Après plusieurs essais, vous vous rendez compte vous ne pouvez pas vous tenir sur vos deux jambes, et en regardant de plus près, vous remarquez que vous n’avez pas de jambes, mais des pattes, oui, des pattes. Une fourrure vous recouvre et vous sentez la moindre odeur aux alentours. Votre ouïe est aussi beaucoup plus développée puisque vous parvenez à entendre ce qui se passe au loin, dans une forêt enneigée. Instinctivement, vous vous dirigez – à quatre pattes – vers un petit lac à moitié gelé quelques mètres plus loin. Vous y observez votre reflet, et c’est effaré que vous découvrez que vous êtes devenu un loup ! Un magnifique loup au pelage blanc comme un nuage. Comment est-ce possible ? Ce serait une réincarnation ? Vous qui pensiez que la mort était le néant, la fin de toute espérance mais aussi de toute souffrance, vous avez droit à une nouvelle vie ? Même la mort ne veut pas de vous, vous êtes éternellement rejeté…
Soudain, une pensée vous traverse l’esprit, êtes-vous un mâle ou une femelle ? Vous vérifiez alors immédiatement en consultant votre entrejambe, et vous êtes fixé : vous êtes bel et bien un mâle. Alors que vous vous habituez lentement à votre nouveau corps, vous sentez quelque chose se diriger à toute vitesse vers vous, c’est probablement votre instinct animal développé qui vous le permet. Vous vous retournez instantanément et voyez un oiseau qui vole dans votre direction. En temps normal, un loup se serait défendu, mais pas vous. Vos travers d’humain souffre-douleur prennent le dessus et vous ne faites rien. Le volatile vient se poser sur votre tête, et c’est alors qu’un nouveau miracle se produit. Vous l’entendez gazouiller, mais dans votre esprit, la traduction s’opère : vous comprenez tout ce qu’il dit.
- Salut, toi, j’te regarde depuis tout à l’heure, t’es apparu de nulle part après la dernière tempête et t’étais allongé sans bouger !
Vous hésitez quelques secondes avant de répondre dans un langage que vous n’avez jamais parlé, à base de couinements et de grognements. Encore une fois, la traduction s’opère instantanément dans votre esprit.
- Euh… oui, j-je me suis endormi après un long voyage…
- T’es bizarre toi, un loup timide j’ai jamais vu ça !
Il a réussi à vous cerner instantanément, probablement son instinct animal.
- Tu dis que t’as fait un long voyage ? Tu viens d’où ?
- Euh… d-d’une une terre lointaine…
- Je vois, t’es un loup solitaire, t’as pas de meute si je comprends bien…
- Euh… oui, on peut dire ça…
- Bah… tu sais, c’est pas le meilleur endroit pour faire du tourisme ici, entre les tempêtes et les autres… dangers…
- Les autres dangers ?
- Bah ! Toi t’es un loup, tu devrais t’en sortir ! Même si t’es vachement réservé… Bon j’y vais, salut et bonne chance !
L’oiseau s’en va aussi rapidement qu’il est arrivé, porté par le vent hivernal. Ainsi donc, tous les animaux se comprennent même s’ils ne sont pas de la même espèce ? Vous avez au moins appris quelque chose...
La neige frappe tout autour de vous sans discontinuer. Il n’y a que des sapins qui se dressent face à cette bourrasque gelée. Vous ne savez pas où vous vous trouvez, ni comment vous êtes arrivé là. Pourquoi avez-vous été réincarné en loup ? Quel est le but de vous faire vivre, vous qui avez toujours voulu mourir ? Qui est derrière tout ça ? Tant de questions vous taraudent, mais pour l’heure, vous devez vous faire à cette nouvelle vie, et vous approprier ce corps. Vous n'avez aucune volonté de vivre, et le néant était apaisant, mais vous ne voulez plus subir cette douleur, celle de tomber d'un toit, de sentir son cœur s'arrêter de battre, sa respiration se couper, et ses muscles se relâcher. Vous n’êtes plus humain, et c’est bien mieux ainsi, il n’y a pas d’animal plus cruel que l’homme de toute façon. C’est pourquoi vous vivrez de manière digne, en survivant tant bien que mal. Vous apprendrez à connaître la région, vous trouverez un endroit pour vous installer, une grotte fera l’affaire. Ensuite, vous vous entraînerez à chasser, à manger, et vous continuerez humblement votre chemin en tant que loup. Votre cher écran d’ordinateur vous manque un peu, mais vous pouvez largement vivre sans. Par le passé, les humains vous ont trop fait souffrir, c’est pourquoi vous vous promettez de ne plus jamais les côtoyer.
C’est ainsi que vous déambulez maintenant dans la forêt qui vous faisait face au moment de votre réveil. Il n’y a pas un bruit, le silence est empereur là où les grands arbres sont rois. Le vent ne souffle plus aussi fort. Au sein de ce paysage d'un blanc immaculé, le temps est comme arrêté. De temps en temps, un tas de neige devenu trop lourd pour le sapin qui le portait s’effondre au sol dans un fracas silencieux. Soudain, un petit vagissement résonne. La traduction se fait une nouvelle fois automatiquement et vous comprenez alors :
- Au secours !
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