De ce petit être faible assis devant vous émane toute la terreur qu’il ressent. C’est un jeune garçon qui n’a que la peau sur les os. Sa chevelure noisette part de tous côtés, lui donnant un air enfantin négligé. Ses doux yeux vert pomme vous balayent de toutes parts, brillant comme des émeraudes. Il se lève d’un seul coup puis fait quelques pas en arrière avant de se précipiter au loin pour s’enfuir. N’ayant aucune intention de lui faire quoi que ce soit, vous ne le suivez pas.

 Vous continuez toujours plus loin vers le nord, et c’est ainsi qu’après plusieurs heures, vous arrivez devant ce qui semble être une énorme tour au milieu d’un désert enneigé. Connille, qui dormait jusque là, se réveille en sursaut et se couvre le museau de ses frêles pattes. Elle tousse un moment puis commente enfin la situation.

• Pouah ! C’est irrespirable ici ! C’est quoi cette brume, là !

Effectivement, vous éprouvez vous aussi des difficultés à respirer, et pour cause, du haut de la tour s’échappe un épais voile noir de fumée. Vous vous mettez en tête de vous approcher quand soudain, quelque chose s’écrase au sol. Il s’agit d’un oiseau, déjà mort. C’est alors que tout se connecte et fait sens d’un seul coup dans votre esprit. La zone nord, les loups souffrants, la tour, l’oiseau mort : il s’agit de la pollution. C’est elle qui a causé la maladie de vos congénères.

Une petite rivière entoure les lieux, et vous décidez d’y jeter un coup d’œil pour vérifier vos hypothèses.

 Lorsque vous arrivez devant le cours d’eau, Connille se précipite pour s'y désaltérer, ayant selon elle la gorge sèche. Vous l’attrapez de vos crocs par le cou pour l’empêcher de commettre cette erreur.

• Aïe ! Mais qu’est-ce que tu fais ? J’ai soif moi !
• N-Ne bois s-surtout pas… C-Cette eau est empoisonnée…
• Quoi ?! Empoisonnée ? Mais par qui ?
• P-Par les humains…

Vous approchez de l’eau et la reniflez prudemment, et en effet, l’odeur n’est vraiment pas rassurante. Elle vous rappelle celles des égouts dans les grandes villes.

 Cette découverte vous met hors de vous. Autrefois, vous ne prêtiez guère attention à ces histoires de pollution que l’on vous rabâchait à l’école et la télévision. Cependant, maintenant que vous êtes un loup, cela vous concerne beaucoup plus et vous ne pouvez vous empêcher d’être en colère. L’homme est ainsi fait, il ne se préoccupe d’un problème que lorsqu’il est directement concerné, et vous ne dérogez pas à la règle. De l’autre côté de la rivière, au loin à l’horizon, une maison est visible derrière la couche épaisse de brume qui trouble l’atmosphère. Au sommet de la tour, vous croyez distinguer deux silhouettes montant la garde, si bien que vous décidez de ne pas vous approcher et de faire demi-tour. Les humains ne sont pour sûr pas enclins à devenir amicaux avec un loup.

 Vous rebroussez donc chemin avec la lapine sur le dos pour faire votre rapport à Nero. Le soleil commence timidement à se cacher derrière les montagnes pour annoncer la fin de la journée. La neige prend alors une teinte orangée et brille au contact des rayons filtrés par les arbres. Le vent s'est maintenant calmé et la région a repris ce silence si apaisant qui fait son charme. Cela fait une petite heure que vous marchez dans le sens inverse, espérant retrouver un chemin familier. Connille n’a, semble-t-il, plus envie de dormir, puisque par ses discussions elle ne laisse pas au silence le loisir de se faire entendre.

• Alors c’était ça la malédiction des loups ? L’eau empoisonnée ?
• O-Oui, ce n’est pas une m-malédiction, mais une m-maladie…
• Une maladie ? C’est quoi une maladie ?
• Hé bien… D-Disons que c’est un altération dans le corps qui fait s-souffrir…
• Ah, je vois, et donc ça c’est à cause des humains ?
• O-Oui, parce qu’ils ont p-pollué la rivière et l’environnement…
• Pollué ? Ça veut dire quoi ?
• Euh… Hé bien tu vois, p-polluer signifie que les humains ont d-déversé leurs déchets dans la rivière, ce qui a empoisonné l-l’eau. Les p-poissons sont donc devenus m-malades et les animaux qui ont b-bu l’eau aussi, notamment les l-lapins comme toi. Q-Quand les loups ont mangé ces petits animaux, ils sont aussi t-tombés m-malades…
• Ah je comprends mieux, donc tout ça c’est la faute des humains, c’est ça ? Pourquoi ils sont méchants comme ça ?
• O-Oui, les humains sont m-méchants, mais tu sais, la plupart d-des animaux sont aussi m-méchants… Comme les l-loups quand ils m-mangent les lapins…
• Oui, c’est vrai… N’empêche tu connais plein de trucs, c’est génial, hihi !
• Euh… M-Merci…

Alors que vous continuez à parler et expliquer des choses à Connille, vous entendez un cri au loin. Non, ce n’est pas un cri animal, mais humain. Vous accélérez alors le pas, poussant la lapine à s’accrocher à vos oreilles pour ne pas tomber. Vous arrivez enfin dans un endroit connu : la clairière de l’ours. Et en parlant d’ours, le voilà qui menace quelqu’un contre un arbre, lui bloquant le chemin. En regardant de plus près, vous remarquez qu’il s’agit de l’enfant croisé plus tôt ! Il est en pleurs et semble prier pour sa vie. Au moment où le gros mammifère s’apprête à donner un grand coup de griffe pour en finir, vous lancez le plus gros aboiement que vous ayez pu faire jusque là, stoppant net l’animal dans son élan. Vous en profitez pour « activer » votre envie meurtrière et vous glisser devant l’enfant, faisant face à la bête enragée.

• Qu’est-ce que tu veux ?!! hurle l’ours.
• P-Pourquoi tu t’en prends à c-cet enfant ?
• C’est un humain, il mérite la mort !!
• La m-mort ?! Mais pourquoi ?!
• Ces satanés humains aiment me tourmenter, ils m’empêchent d’hiverner en essayant de me chasser !! Et l’eau de la rivière est devenue nauséabonde, je ne peux plus la boire !! Je ne serai contente que lorsque cet humain sera mort !!

« Contente », c’est donc une femelle. Cela vous facilite les choses. Vous prenez une grande inspiration et vous rétorquez directement.

• Mais pourquoi veux-tu attaquer cet enfant qui n’a rien fait ?! grognez-vous sans bégayer sous l’effet de l’adrénaline.
• Parce que c’est un humain !!

Vous reprenez alors un ton plus calme, et vous continuez.

• Tu as des petits n’est-ce pas… ?
• Oui, pourquoi ?!
• Imaginons que tu fasses du mal à un loup de ton plein gré, aimerais-tu que ce même loup se venge sur tes petits au lieu de se venger sur toi ?

À ces mots, l'ourse change brusquement d’attitude, passant de bête enragée à mère inquiète.

• Bien sûr que non… Ils ne sont pas responsables de mes méfaits…
• Alors que dis-tu de laisser cet humain en vie, lui qui n’a rien à voir avec tous tes problèmes ?
• Mais… grogne-t-elle faiblement.
• Je sais que tu es affaiblie, c’est un humain qui t’as blessée, n’est-ce pas ?

La maman ourse regarde sa patte arrière droite, dont le sang coule chaudement.

• Oui…
• Alors je te promets que je vais apaiser tes souffrances, je connais un remède contre ce genre de blessures.
• C’est vrai ?

Connille sort alors de son silence pour vous soutenir.

• Oui !! J’en suis témoin, il a sauvé un loup grâce à ça !

L’énorme bête vous juge du regard, puis, lorsqu’elle s’est assurée que vous n’êtes pas dangereux, elle se résout à accepter, repartant dans sa grotte pour se reposer.

• J-Je reviendrai avec le remède dès que p-possible…

Vos bégaiements sont finalement revenus après que la tension soit retombée.

 L’enfant est toujours derrière vous. Il a perdu connaissance, tandis qu’une flaque jaune tâche la neige. Il a probablement dû vivre le moment le plus effrayant de sa vie. Vous veillez sur lui jusqu’à ce qu’il reprenne conscience. C’est à ce moment que vous réalisez à quel point l’humain est faible et fragile. Sans son savoir, son ingéniosité, il ne serait rien face à la cruauté de la nature. Vous en restez le meilleur exemple. Sans vos connaissances humaines, jamais les loups ne vous auraient laissé en vie, et avant cela, vous auriez probablement été tué par le chasseur le jour de votre arrivée. Chaque animal a ses armes et s’en sert en conséquence. Les loups ont leurs griffes et leurs crocs ; les humains ont leur savoir. Quant à vous, vous êtes une anomalie, car vous possédez les deux.