Chapitre 3

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  Jour cinq.

Malgré la réussite de leur plan, Hermen cogitait sur cette crise. Bordel, comment allait-il faire pour partir en Colombie, trouver l’endroit où l’insecte était placé, le prendre et revenir ici ? C’était une mission périlleuse qu’il peinait à relativiser. Il allait y laisser sa peau pour sûr. Il avait bien une idée de l’emplacement du papillon, il n’existait pas cent mille lépidoptères en ce monde, encore moins dans un pays. L’armée n’était pas apte à le garder en vie, alors il devait être dans un endroit spécialisé et il n’y en avait pas cent là-bas.

Mais bon, ça ne suffisait pas. Certes, il y avait ce colonel avec qui ils avaient rendez-vous dans dix minutes, mais de là à partir en guerre avec eux… Il n’avait ni confiance en lui, ni en eux. S’il avait su un jour qu’il devrait s’allier avec l’armée, il aurait cru à une bonne blague. Pourtant, c’était bien ce qu’il se passait.

Peut-être qu’il allait mourir bientôt, qu’il se surestimait et qu’il se prendrait une balle dans la tête. Il n’avait jamais pensé à la mort jusque-là, lui n’avait que les papillons dans ses pensées. Ces créatures formidables qu’il admirait pour leur beauté et leur ingéniosité. Comment ne pas succomber à une espèce qui se camouflait grâce aux motifs de leurs ailes ? Ou encore à la créativité de créer une chrysalide pour se protéger lors de sa transformation ? Ça, il les aimait.

Klek, lui, affichait un sourire béa depuis leur rendez-vous avec Périlourd la veille. Il était déconnecté de la réalité, heureux d’avoir passé cette étape miraculeuse sans se soucier de leur avenir incertain. Après tout, le soldat qu’ils allaient rencontrer pourrait être celui qui les tuerait pour évincer les témoins de ce vol. Mais le bon vieux Klek Isarra rigolait bêtement comme à chaque fois.

— J’arrive pas à croire que ce soit passé. La tête qu’il a faite quand tu lui as parlé des milliards, j’avais envie d’exploser de rire. Tous des vendus. On va vraiment aller en Colombie là ? J’ai déjà oublié le nom du Colonel.

— Colonel Juhl. Mais toi, tu vas rester ici. J’ai une autre mission pour toi. Va falloir que tu trouves n’importe quel historien pour que tu recherches s’il existe des traces de ce papillon dans les archives. Sait-on jamais, on peut en apprendre beaucoup sur lui.

— Tu l’as dit toi-même, on l’a découvert.

— Ce n’est pas possible que personne ne soit jamais tombé dessus avant 2137. Même si les documents datent de plusieurs siècles, ça sera utile. Moi, je vais aller le chercher, ce lépidoptère.

La déception de constater l’adrénaline le quitter lui retira le sourire de son visage. Il n’avait plus que cette expression de raté qui venait de se faire larguer. Il s’imaginait une aventure rocambolesque avec un tas de rebondissements qui aurait donné du peps à sa vie. Mais non. Il devra se coltiner de la lecture pendant que son ami évite les balles.

La base militaire était secrète et protégée, l’édifice du ministère de la Défense n’avait pas que ça à faire de loger un rendez-vous entre un soldat et un lépidoptériste, les cafés auraient été une idée stupide au vu des témoins, puis personne n’avait envie de payer quinze euros la tasse pour préparer sa mort. Il n’y avait pas grand choix, Hermen et Klek patientaient dans le pentagone français à Paris. Qu’il était long ce colonel, son retard devenait interminable.

À la place de Juhl, n’importe qui aurait cru à un guet-apens. Après un coup de fil, son supérieur l’avait envoyé là-bas sans autre information que « Tu vas aller en mission en Colombie, tu verras avec un type dénommé Hermen Hustad. ». Super. Pourtant, ils n’étaient pas en guerre avec ce pays. C’était étrange.

Il arriva dans la pièce où deux hommes l’attendaient assis sur une chaise. Aucun uniforme, seulement des habits de civiles, ça aussi, c’était étrange. Pourquoi avait-il rendez-vous avec deux citoyens lambdas ?

— Bonjour, colonel Asger Juhl, se pencha-t-il pour les saluer.

Hermen fut impressionné par la persévérance des jeunes de cette époque pour obtenir de tels statuts à ces âges. Bon sang, encore un individu à la trentaine qui détenait un poste bien plus élevé que le sien. C’était sûr qu’en pleine crise de la quarantaine, il ne pouvait que se rassurer en affirmant sa passion évidente pour les lépidoptères. Il n’aurait pas pu faire un autre métier.

Il se leva et lui saisit sa main. Ce soldat avait de la poigne. Pour un petit jeune aux cheveux mi-longs brillants comme un mannequin et ce visage de bambin, il n’aurait pas imaginé qu’il détenait autant de force. Enfin, c’était normal que les soldats soient à cheval sur leur apparence, non ? Il n’en savait rien. En tout cas, il le trouvait élégant, surtout quand il perçut ses yeux bleus. Sacré bel homme. C’était dommage de le sacrifier en Colombie.

Après la politesse dont Hermen s’en cognait, il entra dans le vif du sujet. Il fallait rappeler que les minutes comptaient.

— Vous allez m’emmener en Colombie pour que je récupère le lépidoptère. C’est urgent. Il faut faire vite.

— Attendez, lépi-quoi ?

— Le papillon.

— Vous m’avez dérangé pour un papillon ?

Les yeux d’Asger se plissèrent, ses lèvres se pincèrent, il montra une tête comme s’il venait d’être victime d’un canular. Non, c’était réel et très sérieux. On en était encore là, à s’offusquer de la situation ? Hermen en avait assez de répéter les mêmes choses à chaque personne. Qu’on l’embarque dans un hélicoptère et qu’on s’y rende, nom de Dieu.

— On va pas recommencer. C’est un papillon qui vaut des milliards. Votre supérieur vous a pas expliqué ?

— Euh… Non, affirma-t-il suspect.

Il lui expliqua les choses pendant quinze minutes avant de le convaincre de son sérieux. Heureusement que Klek était présent pour confirmer l’importance de cette mission, personne ne doutait d’un économiste. Dans cette époque où régnait la pauvreté, on les adulait comme des divinités qui allaient les sauver de ce malheur.

Alors comme ça, c’était ces deux hommes qui pourraient sauver le monde ? Asger avait émis maintes hypothèses qui mèneraient à la perte de l’être humain ; une météorite, un séisme géant, le nucléaire, tout ce qui paraissait faisable. Mais s’il avait pensé à un papillon, ça, jamais.

Il fut perplexe devant cette demande, et un peu en colère contre son supérieur pour l’avoir envoyé dans cette galère. Pour une fois, il aurait voulu ne pas être au centre d’une mission capitale. Il avait beau entendre les risques, les conséquences, les possibilités s’ils échouaient, la superficialité du motif empêchait toute lucidité. Quand même, qui irait mettre sa vie en péril pour une telle futilité ? Certes, il n’avait ni enfant ni partenaire, mais il tenait à vivre.

— Moi, je ne fais pas ça. Je ne vais pas aller au combat pour un satané insecte. Je ne sais pas pourquoi le général m’a attribué à cette mission, mais je refuse.

— C’est important. Le monde est devenu pauvre. Et vous mettez un être vivant qui vaut des milliards en plein dedans. D’après vous, que vont-ils faire ? Ils vont tous vouloir se l’approprier. Ça va d’abord être les gouvernements qui vont ordonner d’aller le récupérer, quitte à enclencher une guerre. Puis l’information va forcément finir par se répandre dans les populations. Alors ça sera des guerres civiles, cette fois. Et après, tout le monde va s’y mêler. Ça va être un bordel pas possible. Vous vous rendez compte qu’il vaut peut-être notre PIB ?

— Et encore, rajouta Klek. Ça, c’est dans le meilleur des cas. S’ils s’en servent comme élevage, ils vont faire reproduire ce pauvre papillon. La matière de sa poudre va s’accroitre. On ne vous a jamais appris comment fonctionne la valeur de l’argent ? On ne peut pas inventer du fric comme ça. C’est ce qu’ils avaient fait au vingtième siècle pour compenser la crise après la Première Guerre mondiale. C’était du flan. Ça avait foutu en l’air toute la stabilité monétaire. Y a eu une inflation de la valeur de l’argent qui a créé une rupture sur tous les plans.

Asger refit sa tête de type confus qui ne comprenait rien à rien. Lui n’était pas un spécialiste de ces domaines, tout ce qu’il savait, c’était que l’économie mondiale avait souffert durant le dernier siècle. Où ça menait-il ? Il ne s’était jamais posé la question.

— Attendez, attendez. Je ne capte rien. Faites simple.

— Si jamais un pays s’empare de ce papillon, ça sera la fin du monde tel qu’on le connaît. Déjà que le capitalisme est à son point de rupture et qu’on en subit les conséquences, si les nations continuent de ruiner la valeur de l’argent, alors plus personne ne pourra en vivre.

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