Chapitre 10

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— Eh bien, félicitations pour la réussite de votre mission. J’en suis très honoré. Nous possédons maintenant ce que tous veulent. Où est-il actuellement ?

Périllard avait ce sourire d’un suprématiste sur le point de dominer le monde, ce visage à gerber que Hermen peinait à supporter. S’il pouvait le frapper pour le faire taire, il le ferait sans hésiter. Avec cette fausse modestie, cet entrain, cet enthousiasme hypocrite, on n’en avait pas besoin. Qu’il dise clairement ce qu’il voulait ; l’argent. C’était tout, l’argent, la monnaie, la thune, le fric, les radis, c’était la seule chose qu’il avait en tête. Des euros, des milliards d’euros.

Ils auraient pu mourir durant leur mission que cette raclure n’en aurait pas été touchée, il n’aurait pensé qu’à l’échec de ne pas avoir pu rapporter le trésor dans les frontières françaises. Que des menteurs, partout et nulle part, autour de lui et à ses côtés, à chaque visage.

— Chez moi. Je dois l’étudier pour être certain de ce qu’on peut en faire. Sa santé, son espèce, son genre, sa durée de vie, et tout un tas de trucs de lépidoptériste.

— Très bien. Je vous donne une semaine, après, nous le récupérons.

Bien sûr. En admettant qu’il lui rende. Ce type se prenait pour qui ? Parce qu’il était un ministre, il avait tous les droits sur la vie d’autrui ? Il croyait vraiment que Hermen allait obéir à ses ordres ? C’était mal le connaître. Jamais de la vie, il lui rendrait.

Il n’oubliait pas qu’il ne fallait faire confiance à personne, pas même à As. Alors à ce Périlourd ? La bonne blague. Ce papillon restera chez lui jusqu’à tant qu’il le ramène dans son milieu naturel, une sorte de grande forêt qui empêcherait les rapaces de le retrouver, du genre en Amazonie.

— Qu’allez-vous en faire ?

— Occupez-vous de faire votre travail.

Ben voyons. Dès qu’il s’agissait d’être un peu plus explicite sur les illégalités qu’ils produisaient, il disparaissait. Par contre, quand c’était pour savoir ce que devenait le palypsis, il y avait du monde. Hermen espérait que Périllard soit le premier à tomber lors de la prochaine révolution. Et quand il pensait tomber, il ne parlait pas de simplement ruiner sa carrière. Qu’il crève. Lui et tous ses collègues les corrompus obsédés par la richesse quitte à tuer les pauvres.

Comment était-ce possible d’être assez égoïste pour créer des inégalités tout en sachant qu’elle tuait ? Les riches, c’était ça. Ils entretenaient leur confort personnel en étant conscients qu’ils n’existaient que grâce à la détresse des autres. Si les populations mouraient de faim, de froid, d’assassinats, ça leur était égal.

Quand elles en avaient marre et qu’elles manifestaient dans les rues, pour quelle raison ? De la pure décence humaine ; ne pas les laisser mourir dans leur merde. Pour exiger d’avoir le droit de vivre, d’être égal aux riches, en tant que personne. Mais non. On les méprisait assez pour envoyer une armée de flics les tabasser jusqu’à ce qu’ils se taisent à jamais. Fermez-la ou perdez vos dents.

C’était une répression qui n’avait fait qu’accroître avec la chute du capitalisme. Les élites commençaient à sérieusement avoir peur pour leur place de privilégiés. S’il n’y avait plus ce régime économique, il n’y avait plus d’inégalités de richesses, donc plus de privilèges, donc plus d’élites. CQFD. Parce que ce serait l’occasion rêvée de les foutre en l’air. S’ils se fragilisaient, le peuple foncerait pour les abattre. Plus. Jamais. Cette. Domination.

Sans ce palypsis, le ministre savait qu’il pouvait dire adieu à sa position de dominant au sein de la société. Dans quelques années, allez, dans une décennie, tout s’effondrait. Les normes, les codes sociaux, les mœurs, tout ce qu’on avait construit depuis la Révolution Industrielle sera anéanti. Des siècles de mode de vie remis en question, rejeté, détruit, brûlé, tout ce qui appauvrissait les pauvres et objectifiait les individus, tout.

Hermen avait ce goût amer dans la bouche quand il fut renvoyé du bureau sans As. Qu’allait-il lui dire ? Que lui cachait-il ? Il n’y avait pas trente-six solutions, en fait, il n’en voyait qu’une.

Au bout de dix minutes, ils se retrouvèrent dans la voiture, le spécialiste vexé par la manière dont ils le sous-estimaient. Il n’était pas si idiot que ça, il savait ce que Périllard avait en tête. C’était si facile de deviner les attitudes des gens obsédés par l’argent. Il était menacé pour sûr, parce qu’il détenait ce qu’ils voulaient plus que tout au monde, ce dont ils avaient été prêts à créer une guerre.

— Ils t’ont ordonné de me surveiller ? Franchement, ça me fait halluciner.

— En même temps, ils ont de quoi. Tu leur as menti ! Tu connais déjà son genre, et t’as inventé un nom d’espèce.

— Bien évidemment que je devais leur mentir. Il me fallait gagner du temps pour me tirer d’ici.

— Te tirer d’ici ? Mais t’en as pas le droit. J’ai des ordres à suivre. Tu resteras tranquillement chez toi le temps de l’étudier, puis le gouvernement se chargera de la suite.

Mais quel imbécile celui-là. Il n’avait rien compris aux enjeux que cette histoire entraînait. Toute cette guerre avec la Colombie fut pour quoi ? Que dalle. La leçon n’était ni apprise ni retenue. Ce n’était plus une question de sécurité, mais de vie. Lui se considérait déjà comme un homme mort, et As n’en serait pas mieux s’il continuait à faire l’ignorant de la sorte.

— T’es con ou quoi ? Qu’est-ce qu’ils vont en faire, d’après toi ? Un élevage. La France va s’enrichir du jour au lendemain et tu crois que les populations vont pas se poser des questions ? Le gouvernement sortira des mensonges pour que la pilule passe mieux. Tu les vois, toi, dire qu’ils se font tout ce fric grâce à un être vivant ? Ou pire, grâce à une nouvelle monnaie d’échange ? Ils seront obligés de mentir sinon c’est le monde entier qui se retournera contre eux. Les pays vont se liguer contre la France pour récupérer un peu du fric parce que le papillon n’appartient à personne, ou dans le pire des cas, à la Colombie. Tu crois qu’ils voudront que ça se sache qu’ils ont volé ce fric à la Colombie ? Ils vont faire taire tous ceux qui sont au courant. C’est facile de censurer les pauvres péquenots qui en ont juste entendu parler, un gros chèque et basta. Mais toi, As, tu y as participé, à ce vol. Ils vont te tuer. Et moi aussi, ils vont me tuer. Moi, ma vie est fichue. Je partirai cacher le lépidoptère en lieu sûr, là où personne ne mettra ses mains. Et je ne compte pas leur dire où il se trouve. Ma vie va s’arrêter là. Toi, tu ne sauras rien. Tu pourras t’en sortir. Mais à condition que je réussisse à le cacher.

Il était vrai que ce n’était pas anodin de voir le gouvernement masquer des vérités. Au début du vingtième siècle, quand le capitalisme avait commencé à s’affaiblir, il avait omis d’émettre les difficultés financières. Puis quand les canicules étaient courantes durant les étés, que les cultures s’asséchaient, que les rues se désertaient, que la société s’arrêtait pendant une semaine, puis deux, puis un mois, puis tout l’été, l’économie s’était effondrée, ça ne faisait aucun doute.

Pourtant, les mensonges persistaient ; « Tout va bien. L’économie est relancée, il faut attendre que la société s’y adapte. Ça prendrait un ou deux ans maximum. ». « Oui, je vous comprends, mes chers citoyens. Il ne faut pas s’inquiéter, c’est normal que l’économie mette une dizaine d’années pour se remettre d’aplomb. ». « Nous sommes sur la bonne voie malgré les apparences. Regardez tels autres pays, on s’en sort bien. »

Les politiciens passaient leur temps à mettre les problèmes sous le tapis, les balayer comme si ça suffisait pour les faire disparaître, à se fondre dans un déni, car eux-mêmes croyaient à leurs mensonges. Ils se disaient que les modes de vie ne pouvaient pas s’effriter après tout ce qui avait été bâti, qu’ils étaient trop intelligents pour tomber aussi bas, qu’il y aurait des solutions, mais en 2137, ils ne les avaient toujours pas trouvées.

On avait fait croire pendant trente ans à la population que tout allait bien, que ce n’était qu’une crise passagère qui n’impacterait pas la société, que tout se réglerait avec un peu d’efforts. Mais quand la croissance démographique avait commencé à chuter, là, elle n’était plus dupe. Pourtant, malgré l’évidence, les mensonges persistaient.

Encore à ce jour, personne n’osait dire la vérité, car si elle venait à s’apprendre, ça serait la fin du régime politique. Les citoyens se rebelleraient, la colère serait si puissante que la répression sera obsolète et le gouvernement ne sera plus qu’un mythe. Oui, il n’y avait plus que deux avenirs ; le palypsis était relâché dans la nature comme un rescapé d’une catastrophe économique. Le capitalisme n’aurait plus d’autre finalité que son abolition d’ici peu. Les populations manifesteraient, prendraient le pouvoir, sacrifieraient les élites sociales, et une nouvelle ère débuterait.

Ou bien il était gardé par n’importe quelle nation, responsable de l’éclatement de la valeur monétaire. Son possesseur créerait une inflation qui accentuerait la crise économique. Et encore, ce ne serait pas le pire des cas. Valait mieux ne pas penser à ce qu’il pouvait exister de pire.

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