I

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L'automne bâtait son plein. Le ciel était gris, du matin au soir. Du moins à chaque rare occasion que j'avais de le voir.

Partant de chez moi sur les coups de 7 h il faisait encore nuit, je m'arrêtais à une supérette, afin d'acheter mon repas du midi ainsi que des boissons et rejoignais l'arrêt de bus bondé où les lycéens de ma ligne se ruaient dans les autocars alors déjà pleins. N'ayant moi-même aucune envie de devoir faire le trajet debout, avec à peine assez d'espace pour respirer, je les laissais souvent s'agglutiner et attendais dix minutes supplémentaires de pouvoir faire le voyage convenablement, me mettant un peu en retard.

Le soleil s'était élevé derrière les épais nuages quand j'arrivais devant le bâtiment de l'entreprise, de la même couleur monotone que le ciel. J'y entrais, disais bonjour à tout le monde dans la salle de repos où ils buvaient tous leur café et m'installais alors à mon bureau, dans la pièce aux fenêtres donnant sur l'intérieur, préfabriqué aux murs... Gris.

Le midi, je mangeais là ce que j'avais acheté le matin. Le premier mois, je faisais l'aller-retour jusqu'à mon appartement et, bien que nous ayons 2 heures de pause, les trajets de bus et la marche ne me laissaient pas le temps d'en profiter. Alors, seul dans le bureau, je grignotais un sandwich tout fait et reprenais mon travail tout de suite après.

Jusqu'à 18 h, quand je sortais enfin, avec un certain mal de crâne, il faisait déjà nuit noire dehors. Je reprenais le bus, reparcourit, en sens inverse le même chemin que le matin. Bien souvent sous la pluie, je marchais jusqu'à mon appartement où j'entrais vers 19 h.

Là, j'avais à peine le temps de faire quelques parties de jeu avec des amis éphémères, de me faire à manger et de regarder un film, puis je m'affalais dans mon lit, exténué, pour m'endormir, quand j'avais de la chance, assez rapidement afin de recommencer la même chose le lendemain.

J'avais l'impression de ne plus vivre pour moi, que toute ma vie n'était régie que par le travail où je passais 10 h de mes journées.

Puis, si encore il avait été réellement épanouissant...

Mais plus ça passait, et plus j'avais l'impression de n'être finalement que le même ouvrier qu'avait été mon père toute sa vie. Mon but n'était que de traduire en code ce qu'on me demandait, les seules fois où je ne pianotais pas automatiquement sur mon clavier, c'était pour rechercher des erreurs infimes qui bouleversaient tout.

Il arrivait que je puisse passer plusieurs heures à leur recherche, n'en pouvant plus, ne comprenant pas comment c'était possible, c'était souvent quand je baissais les bras que je voyais l'unique lettre qu'il manquait pour que tout fonctionne à nouveau. L'énervement et la frustration, mêlé surement au fait de scruter des milliers de lignes de codes sur les écrans pendant une éternité créaient de vifs lancements dans mon crâne.

Généralement, c'était terminé après ça, je ne pouvais plus travailler correctement, j'étais épuisé comme je ne l'avais jamais été.

Et alors je me disais, tout cela pour quoi ? Pour gagner 1600 € qui partiront obligatoirement dans mon loyer, la bouffe et les différentes addictions qui me laissaient m'échapper un moment de cette routine interminable. Si je me retrouvais avec une centaine d'euros à la fin du mois, c'était bien, et je n'étais pas à plaindre... Je n'aurais pas dû me plaindre, j'aurais dû me dire que c'était une chance d'être là, et ça aussi pesait sur mon moral. Comment pouvais-je être assez faible pour ne pas réussir à vivre avec ça quand mes parents l'avaient fait sans jamais que je ne manque de rien ?

Alors, je mettais tout ça de côté, je me replongeais dans mes écrans et attendais le week-end. Mais là encore, pour pas grand-chose.

Avant de rejoindre la vie active, comme on dit, j'étais resté un long moment à pouvoir remplir mes journées comme bon me semblait. Ainsi, j'avais pris l'habitude de pouvoir faire un milliards de choses, de m'intéresser de tout et j'avais le temps, tout pouvait attendre !

Ici, je n'en avais plus, et je devais faire en 2 jours, ce que je n'avais pas fait les 5 précédents. Alors, j'usais de la plupart de mon temps pour m'évader toujours un peu plus, ne plus laisser ces nouveaux démons s'insinuer dans mes pensées. Je fumais toujours un peu plus d'herbe, jouais toujours un peu plus longtemps, et je dormais.

C'était finalement peut-être ça le pire quand j'y repense. J'avais toujours été un gros dormeur, pouvant faire des nuits de 12 heures sans problème, et maintenant, la semaine, je devais choisir entre dormir, et m'aérer l'esprit. Ainsi, mon sommeil en prenait un coup, et j'essayais de le rattraper un minimum pendant le week-end. Mais ce n'était jamais assez...

Le lundi, alors que je m'étais couché assez tard la veille, je ne voulais plus me lever. Ayant gouté, même aussi rapidement, à la liberté d'avoir un peu de temps, je ne voulais plus le leur donner aussi facilement. Alors je commençais à me rendormir, attendant toujours un peu plus pour me lever, pour quitter ces draps tout chaud, ces oreillers moelleux et ce silence parfait de l'esprit.

Finalement, j'arrivais avec 30 minutes de retard, bientôt 1 h, et on ne me disait rien, c'était bien qu'on acceptait. Alors je ne me posais plus de question, c'était mon nouvel horaire. De toute façon, je rattrapais mes heures perdues le midi et je travaillais 90% du temps seul, donc il n'y avait pour moi aucun problème.

Cela dura 1 mois, avant qu'un jour, le manager vint me voir à mon bureau un après-midi.

"Clément, rejoins-moi dans la salle de réu' il faut qu'on parle." me disait-il assez sèchement.

Je le rejoignais et m'installais sur une chaise devant lui, sachant à peu près ce qu'il allait me dire.

"Bon, tu sais pourquoi tu es là ?"

J'acquiesçais.

"J'aimerais que tu arrives à l'heure s'il te plait, je t'ai laissé du temps, pensant que ce n'était qu'un passage, mais ça devient beaucoup trop récurent."

Me forçant comme jamais pour lui répondre, sachant par avance que c'était inutile je lui disais :

"Mais, pourquoi ça dérange tant que ça ? Je rattrape toutes mes heures le midi. Je termine de manger en 15 minutes et reprends mon travail tout de suite."

"Non mais ce n'est pas ça le problème, c'est juste qu'il y a des horaire et que tu dois les respecter c'est tout."

"Mais... Pourquoi ? Mon travail est fait, je n'ai aucune réelle obligation d'être là à 8 h, même, je pourrais travailler la nuit si je voulais que ce serait exactement pareil..."

"Bon écoute. Il y a des règles, c'est comme ça, demain tu seras là à huit heure. Enfin... Fais preuve de bon-sens, imagine si tout le monde faisait pareil ?"

Eh bien quoi ? Quel serait le problème ? Tant que l'on remplit les tâches pour lesquels on est payé qu'on arrive à 8 ou à 10 h qu'est-ce que ça pourrait bien changer ?

Je ne répondais plus, comprenant que ça ne servait à rien... J'acquiesçais à nouveau comme il voulait que je le fasse. Et nous rejoignions nos bureaux respectifs.

Le lendemain, j'arrivais à 8 h, le surlendemain à 8 h 1O, et le jour d'après à 9 h.

Le bon-sens... N'avait-il pas appris que c'était bien subjectif... Si je pouvais respecter des règles, il fallait qu'elles me paraissent logique, et rien de ce qu'il me disait ne l'était. Selon lui j'aurais juste du faire ce qu'il voulait, sans aucune autre raison que ce fut ce qu'il avait décidé.

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