Première version
L’oiseleur. Illizi, le 24. 08. 2023.
Les beaux matins de notre enfance débutaient avec la promesse d’une aventure quotidienne. Les études nous attendaient à l’école d’Agouni n Seksou, à cinq kilomètres de notre village Tiaouinine.
Chaque jour, avant même que le soleil n’effleure l’horizon, nous nous mettions en route. Une joyeuse cohorte d’apprenants avançait conjointement, guidée par la lumière naissante.
Nos pas nous portaient à travers la campagne, un doux ballet entre les maquis odorants, les vergers verdoyants et les champs ondulants.
Ensemble, nous formions un groupe protecteur, non seulement pour partager les rires et rêves, mais aussi pour veiller les uns sur les autres dans ce long et rude périple vers le savoir.
Le soleil, ce fidèle compagnon céleste, illuminait nos journées d’apprentissage et de découverte. Parfois, en hiver, lorsqu’il s’inclinait à l’horizon, nous étions encore en chemin du retour.
Nous suivions le sentier au rythme apaisant de la nature qui s’endormait. La lueur crépusculaire nous éclairait doucement. Elle guidait nos pas jusqu’au village, telle une caravane de connaissances itinérante.
C’est lors de ces pérégrinations que l'entente et la fraternité s’épanouissaient. Le chuchotement des feuilles et le chant des oiseaux atténuaient nos querelles et accompagnaient nos longues discussions. Tandis que nos cœurs se forgeaient d'amour et s'enlaçaient d’amitié. La grande distance qui séparait le village et l’école se transformait en un lien puissant entre les âmes de chaque enfant.
Plus qu’une simple marche vers le savoir, c’était une aventure partagée, une odyssée d’affection et de complicité. Les sentiers que nous empruntions chaque jour étaient imprégnés du parfum de nos ambitions et de nos rêves. Chacun de nos pas nous rapprochait un peu plus de la connaissance et de la découverte.
* * *
Un soir, le soleil amorça sa descente vers l’horizon, illuminant le début d’une rencontre qui allait illustrer une nouvelle page dans le registre de nos aventures. À cette saison de chasse, la nature elle-même semblait suspendre son souffle, créant une symphonie de mystères et d’intrigues.
Sur le chemin du retour, un jeune homme était assis paisiblement au bord du sentier. Il tenait dans ses mains des trésors intrigants : des pièges à oiseaux finement confectionnés et des créatures ailées, certaines vivantes, d’autres inanimées. Notre curiosité d’enfants ne put résister à l’appel mystérieux de ces objets.
Les fillettes poursuivirent leur chemin, indifférentes aux mystères qui captivaient les garçons. Dans le groupe, se trouvaient deux figures de notre grande famille, mon cousin Mohand, âgé de sept ans, et moi-même, d’environ neuf ans. Nous nous arrêtâmes, fascinés par le spectacle qui s’offrait à nos yeux.
L’oiseleur, un maître dans l’art de la capture et de la chasse, nous livra ses secrets avec fierté. Il nous révéla les subtilités des pièges à oiseaux, tout en partageant son savoir-faire avec une générosité naturelle et sans limite.
Nos regards s’émerveillaient devant la beauté des volatiles qu’il tenait dans ses mains.
Ces instants suspendus dans le crépuscule dégageaient la douce saveur de la découverte, mêlée au parfum du danger et de l'aventure.
Nos esprits absorbaient chaque détail, tandis que nos cœurs s'attachaient au savoir-faire de l’oiseleur. Avec des gestes patients, il nous montra comment tendre les fameux pièges. À vrai dire, il nous dévoila les contours d’un monde inconnu, tissé d’astuces et de stratégies.
Le temps s’écoula sans que nous nous en rendions compte et bientôt la nuit commença à déployer son voile étoilé. Notre curiosité satisfaite, nous quittions «l’ornithologue» et repartions, porteurs de ce fabuleux savoir.
Bien que nous soyons rentrés au village avec un peu de retard, nos petits cerveaux brillaient d’un nouvel éclat, celui de l’apprentissage au crépuscule.
* * *
La nuit s’installa lentement, drapant le village d’un voile d’ombre et de mystère. C’est dans ces ténèbres que les retombées de nos actions se révélèrent, tels des éclats de lumière qui éclairaient l’horizon.
Mon père, en rentrant du travail, fit irruption dans la quiétude de la maison. Sans prévenir, sa colère jaillit telle une tempête soudaine, projetant des mots venimeux et enflammés.
Les raisons de sa fureur demeuraient floues, vagues et nébuleuses. Ses paroles chargées de haine et de rage, ne firent que semer la terreur et la confusion dans mon esprit. Insultes et reproches pleuvaient, puis gifles, fessées et coups de poing s'abattaient sur mon corps malingre et frêle. Des sévices criminels inouïs, laissant en moi un sentiment d’abattement et d’injustice.
Je fus laissé dans le doute, cherchant des réponses à une question qui m’échappait. Pourquoi une punition si violente, si soudaine ? Qu’avais-je donc fait pour mériter un tel châtiment sans explication ?
Les jours passèrent, et ce fut finalement mon oncle Sidi Amer, le père du cousin Mohand, qui vint dissiper le mystère qui pesait sur mon esprit. Nous ayant réuni tous les deux, moi et son fils, il partagea avec nous les raisons de la réprimande, transformant ainsi l’obscurité en clarté.
Ses paroles mariaient la sagesse et la bienveillance, un équilibre subtil entre inquiétude paternelle et souci pour notre sécurité. Il nous rappela la valeur du temps, nous avertissant des dangers inhérents aux retards sur le chemin. Sa voix, imprégnée de douceur et d’expérience, exposa les risques de fréquenter des étrangers et les conséquences de nos choix.
Loin de la cruauté de mon père, la voix de mon oncle était teintée d’empathie et de compréhension. Il ne brandit pas la colère comme une arme, mais plutôt la lucidité comme un bouclier.
Notre escapade vers l’oiseleur avaient été révélée par les fillettes, créant ainsi un réseau invisible d’information qui avait alerté nos parents respectifs.
Les leçons de cette expérience pénétrèrent nos esprits, comme un précieux héritage transmis de génération en génération. Mon oncle ne nous condamna pas, mais nous guida avec patience et sagesse. Par ses mots, nous comprîmes les enjeux dissimulés derrière nos actes et découvrimes la valeur de la sécurité et de la prudence.
En cette soirée mémorable, l’obscurité qui avait voilé notre compréhension fut dissipée par la lumière de la connaissance partagée. Désormais, nous étions conscients des retombées de nos choix, tout en percevant les fils invisibles qui tissaient une toile protectrice autour de nous.
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