Le coucher de soleil de Lucky Luke

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Au cœur d'une taverne française saturée de fumée de tabac et de murmures mélancoliques, un homme, jadis connu comme le tireur le plus rapide de l'Ouest, trône désormais dans une solitude écrasante. Lucky Luke, le cowboy à la mèche blonde maintenant striée de gris, est un étranger dans un monde devenu méconnaissable.

Son regard s'accroche aux échos d'une époque révolue, où son tir rapide avait un sens, où la justice était définie par la vitesse d'un revolver. La modernité a éclipsé cette époque et l'a jeté dans la brutalité de la Première Guerre mondiale - une guerre non de duels au soleil, mais de tranchées boueuses et d'obus hurlants.

Il peut presque sentir l'odeur de la poudre de son six-coups, l'absence de son poids familier à son côté se manifestant comme une douleur fantôme. La symphonie de la violence qui résonne autour de lui est une cacophonie sourde, une mélodie de mort qui se moque de sa maîtrise du tir.

Les ombres de son passé l'assaillent. La loyauté indéfectible de Rantanplan, perdue à jamais dans le sillage des années. La silhouette de Jolly Jumper s'éloignant lentement dans le crépuscule de ses jours dans un ranch tranquille. Les Dalton, brisés par la perte d'Averell, le géant naïf et affable. Chaque souvenir est un écho de douleur, chaque visage un spectre de regret.

Le monde est devenu un tourbillon de métal hurlant et de sang, et Lucky Luke, l'homme qui autrefois riait face au danger, se retrouve naufragé dans un océan de violence qui ne fait pas de place à la bravoure solitaire. Sa frustration gronde en lui comme un orage silencieux, une rage contre la perte de ce qu'il connaissait et aimait, une rébellion contre l'impersonnalité de cette guerre moderne.

Mais au milieu de cette tourmente, il y a une résilience qui persiste, une flamme qui refuse de s'éteindre. Notre cowboy, malgré sa désillusion, n'est pas encore un homme vaincu. Il porte encore en lui l'esprit de l'Ouest, le courage de faire face à l'inconnu, et la détermination de trouver son chemin dans ce monde en mutation.

Verdun, ce lieu maudit, devient le théâtre d’un sombre tableau où la mort règne en maître. Sous un ciel jadis azuré, voilé à présent par les volutes de fumée, il semble comme si l’enfer a ouvert ses portes.

Dans cette apocalypse, notre héros y est plongé jusqu’au cou. Le rugissement infernal des mitrailleuses, les explosions, tout cela semble résonner en lui, lui rappelant son impuissance face à l’impitoyable machinerie de guerre. Son fidèle revolver, jadis son meilleur allié, ne semble plus être qu’un jouet dérisoire.

Il balaye du regard ses frères d’armes, leurs traits blêmes sous le masque de la boue et du sang. Leurs regards horrifiés renvoient la peur et l’incompréhension qui règnent en lui. De simples hommes catapultés dans la peau de soldats, livrés en pâture à une guerre dont le sens leur échappe.

Malgré l’odeur de la mort, la peur sourde qui gronde dans leurs cœurs, il perçoit une lueur, une étincelle de défi dans leurs yeux. Ce fragment de résilience humaine, de courage face à l’horreur inspire notre légende de l’Ouest.

Mais ce souffle d’espoir est une maigre consolation face au cauchemar quotidien de Verdun. Chaque lever de soleil apporte son lot de peurs, chaque coucher son éphémère répit. L’homme plus rapide que son ombre, est désormais un fantôme perdu dans l’ombre de la guerre.

Le crépuscule tombé sur Verdun enveloppe le paysage de son linceul nocturne. Dans une tranchée, notre cowboy demeure, aux aguets, son corps et son esprit sur le qui-vive. L’air nocturne, chargé de l’odeur du métal et de la pluie, se fraye un chemin dans ses poumons, éclipsant pour un court moment le parfum de la mort.

Soudain, un sifflement perçant déchire le silence de la nuit, s’intensifiant en un rugissement terrifiant. Les regards se tournent vers le ciel, captifs de la peur. C’est le hurlement d’un obus, fauchant la nuit tel un spectre affamé.

L'explosion qui suit est dévastatrice. Le monde tremble, ébranlé par la force brute de la détonation. Lucky Luke est projeté au sol, le souffle coupé, le corps secoué par la violence du choc. Autour de lui, des hommes hurlent, le sol tremble sous l'impact des obus qui s'abattent sans pitié.

Il se relève péniblement, les oreilles bourdonnantes, la vision floue. La tranchée est un chaos indescriptible. Des hommes gisent au sol, certains immobiles, d'autres se tordant de douleur. Le cri d'un soldat gravement blessé est un rappel brutal de la réalité de la guerre, un cri de désespoir qui transperce le tumulte de la bataille.

Et malgré l'horreur, il tient bon. Il aide un camarade blessé à se mettre à l'abri, son visage gravé de détermination. Le désespoir est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Ils sont des soldats, des survivants. Ils continuent à se battre, non pas pour la gloire ou l'honneur, mais pour leur survie.

Cette nuit est un microcosme de la bataille de Verdun, une capsule de temps qui encapsule l'horreur et l'héroïsme brut de la guerre. Pour lui, c'est un rappel de la cruauté de ce monde moderne, une réalité qui ne cesse de s'éloigner de son passé de cowboy. Mais malgré tout, il continue à se battre, non seulement contre l'ennemi, mais aussi contre ses propres démons.

Dans l’esprit tourmenté de notre héros brisé, la mémoire de la mort d’Averell Dalton se déroule comme un film en noir et blanc. C’était lors d’une évasion audacieuse, une de leurs nombreuses tentatives pour échapper à la prison. Averell, le doux géant, avait trébuché et était tombé à la renverse, frappé par une balle perdue. La vision de son corps immobile, étendu sur le sol aride, hante encore Lucky Luke, une image sombre et indélébile gravée dans son esprit.

La mort d'Averell avait aussi dévasté Joe Dalton, le dur à cuire. L'étincelle qui avait toujours brûlé si vivement dans ses yeux s'était éteinte, remplacée par une ombre sombre et lointaine. Il avait perdu plus que son frère ce jour-là; une part de son âme semblait avoir disparu avec son frère.

La façade du hors-la-loi impitoyable avait laissé place à une figure brisée, le deuil ayant creusé de profondes fissures dans son armure autrefois impénétrable. Joe était devenu un fantôme de lui-même, un homme hanté par une perte qu'il ne pouvait ni comprendre ni accepter.

L'image de Joe Dalton ainsi détruit avait profondément marqué Lucky Luke. C'était une facette de l'humanité qu'il n'aurait jamais pensé voir chez Joe. Le souvenir de ce brigand brisé est une blessure ouverte dans le cœur de notre cowboy, une douleur qui se fait plus aiguë avec chaque détonation sur le champ de bataille.

Rantanplan. Le chien le plus stupide de l'ouest, mais aussi le plus attachant. Il était mort de vieillesse, paisiblement, loin des tumultes et des dangers qui parsemaient habituellement leur vie. La fin était arrivée doucement pour ce compagnon, un adieu calme à une vie pleine d'aventures.

Dans la solitude des tranchées, Lucky Luke se souvient de lui avec une affection teintée d'amertume. Les gaffes de Rantanplan, ses erreurs hilarantes et son comportement exaspérant lui manquent maintenant. Il se surprend à sourire en repensant à ses maladresses, à ses confusions innocentes qui ont souvent sauvé la situation.

Le silence qui a suivi la mort du meilleur ami de l’homme a été plus assourdissant que tout ce que Luke a pu connaître sur le champ de bataille. C'est un vide que même le bruit des canons ne parvient pas à combler. Dans ce monde de guerre, le souvenir de Rantanplan est un éclat de lumière, un rappel d'un temps plus simple et plus joyeux, désormais révolu.

Jolly Jumper, le compagnon le plus fidèle de Lucky Luke, vit désormais ses derniers jours loin de lui, dans un ranch tranquille. Une retraite bien méritée pour le cheval le plus rapide et le plus intelligent de l'ouest, mais une séparation douloureuse pour Luke.

Il se souvient des jours où ils galopaient ensemble à travers les plaines sans fin, le vent fouettant leurs visages, la liberté à l'état pur. Mais la guerre a changé la donne, les a séparés, et Jolly Jumper a été contraint de ralentir, de se retirer de la vie aventureuse qu'il avait toujours connue.

L'image du cheval blanc, paisible et loin de tout danger, est une maigre consolation dans l'horreur des tranchées. C'est un rappel que quelque part, loin de cette guerre dévorante, une part de son ancienne vie subsiste.

Mais cette image est également une lame à double tranchant, une douce torture. Il se languit de ces jours insouciants, des conversations sans fin avec Jolly Jumper, de leurs aventures pleines de rebondissements. Le bruit de ses sabots est un écho lointain qui résonne douloureusement dans son cœur, lui rappelant ce qu'il a perdu et ce qui l'attend, peut-être, après la guerre.

Le vent soufflait sur le champ de bataille de Verdun, portant avec lui l'odeur âcre de la poudre à canon et de la mort. Lucky Luke se retrouvait perdu au milieu du chaos, un cowboy sans son fidèle destrier, confronté à une violence qui n'avait rien à voir avec les duels au soleil du Far West.

Il réalisait à quel point son habileté au tir, son atout le plus précieux dans l'Ouest, était inutile ici. Les balles volaient dans toutes les directions, impersonnelles, fauchant hommes après hommes sans distinction. La mort ne venait pas d'un duel face à face, mais d'un ennemi invisible, caché derrière les lignes.

Les nuits étaient les pires. Allongé dans la boue des tranchées, les explosions distantes comme une berceuse cauchemardesque, il laissait son esprit vagabonder vers des souvenirs plus doux. De son fidèle Jolly Jumper, de Rantanplan, de la mort tragique d'Averell et de la chute de Joe.

C'est dans ces moments de désespoir que Lucky Luke prit une décision. Il n'était pas fait pour cette guerre. Il n'était pas fait pour cette violence aveugle et insensée. Il avait connu la violence, certes, mais une violence avec un sens, un code, une humanité.

Le cowboy se promit que, s'il survivait à cette épreuve, il retournerait à l'Ouest. Pas pour reprendre sa vie d'aventures, mais pour chercher une paix qu'il n'avait jamais vraiment connue. Une vie sans son revolver, sans la violence, une vie à savourer le souvenir de ses amis perdus, à chercher un sens à cette existence qui lui avait été épargnée.

Et ainsi, le soleil se leva sur Verdun, sur un cowboy transformé, un homme qui avait vu l'horreur de la guerre et qui y avait trouvé, non pas la gloire, mais un dégoût profond pour la violence et une résolution de chercher une paix durable.

Lucky Luke, après avoir survécu à l'horreur de Verdun, a finalement pu rentrer aux États-Unis. Le cowboy solitaire avait été transformé par la guerre, et il portait maintenant en lui une lourdeur qu'il n'avait jamais connue auparavant.

En revenant, il découvrit un Ouest changé. Les villes qu'il avait connues étaient maintenant plus grandes, plus modernes. Les trains à vapeur qu'il avait parfois sauvés des Dalton avaient été remplacés par des trains électriques, et les routes poussiéreuses étaient maintenant pavées. C'était un monde qui n'avait plus besoin de cowboys rapides à la gâchette.

Il se rendit au ranch où Jolly Jumper avait passé ses dernières années. Le souvenir de son fidèle destrier le frappa avec une force brutale, et il ressentit une tristesse profonde, un sentiment de perte qu'il n'avait jamais vraiment affronté. Il se rendit compte que sa solitude n'était plus un choix, mais une conséquence de la vie qu'il avait vécue.

C'est ainsi que Lucky Luke, l'homme le plus rapide de l'Ouest, posa son revolver pour la dernière fois. Il ne cherchait plus les aventures, il cherchait la paix. Il se mit à parcourir les plaines, non pas en tant que justicier, mais en tant qu'homme cherchant à se réconcilier avec son passé.

Et à chaque coucher de soleil, il levait les yeux vers l'horizon, se souvenant des amis qu'il avait perdus, des combats qu'il avait menés, et rêvant d'un avenir sans violence. Car, malgré tout ce qu'il avait traversé, Lucky Luke restait un homme d'espoir, un homme qui croyait en un avenir meilleur. Et avec chaque pas qu'il faisait vers le soleil couchant, il se rapprochait un peu plus de cet avenir.

Lucky Luke, dans le crépuscule de sa vie, trouva finalement une sorte de paix. Sans Jolly Jumper, sans les Dalton, sans Ran-Tan-Plan, il avait dû redéfinir qui il était en dehors de son rôle de justicier.

Il trouva une petite ferme isolée, loin de la modernité et du tumulte des villes. Ici, dans la simplicité de la vie rurale, il se concentrait sur l'essentiel : le lever et le coucher du soleil, le cycle des saisons, le travail manuel. Il avait troqué son revolver contre une pelle et une charrue, ses duels contre la lutte quotidienne contre les éléments.

De temps en temps, le vent apportait des échos de la vie qu'il avait laissée derrière lui : des rumeurs de bandits capturés, de trains braqués. Mais ces échos étaient pour lui comme des histoires d'un autre monde, d'une autre vie. Il ne ressentait plus le besoin de se mêler à ces conflits. Il avait trouvé une nouvelle sérénité dans l'isolement et le silence.

Chaque soir, il regardait le soleil se coucher, son chapeau à la main. Dans ces moments de tranquillité, il se souvenait de ses amis, de ses aventures, de ses batailles. Il se souvenait de la guerre, de la perte, et de la désillusion. Mais surtout, il se souvenait de l'espoir.

Lucky Luke, le cowboy solitaire, le justicier de l'Ouest, s'en alla finalement dans le couchant, laissant derrière lui un monde qui n'avait plus besoin de lui. Son héritage était celui d'un homme qui avait cherché la justice, qui avait combattu le mal, mais qui, au final, avait choisi la paix.

Et alors, Lucky Luke, dans le couchant, fredonne doucement cette vieille mélodie, une variation de sa chanson légendaire, comme un dernier adieu à son ancienne vie :

"Je suis un poor lonesome cowboy,

Loin de l'Ouest, je suis parti.

Sans Ran-Tan-Plan, sans mes Dalton,

Je suis un poor lonesome cowboy.

Mais je ne tire plus plus vite que mon ombre,

Le soleil couchant est maintenant mon ami.

J'ai choisi la paix, j'ai choisi la solitude,

Car je suis un poor lonesome cowboy, et la guerre est finie pour moi."

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