Chapitre 11
Tous les yeux se posèrent sur moi, un mélange hétéroclite d’incompréhension et de stupéfaction. Lionel fut le premier à parler :
- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
- Je ne sais pas... On a déjà braqué des banques, des supermarchés, on a même braqué une maison. Un peu de nouveauté ! Je propose de braquer...
Je laissais par phrase en suspens, pour maintenir la tension à son plus haut niveau, puis je finis ma phrase :
- Un train !
Il y eut un moment de silence, tandis que j’attendais une réponse, une émotion face à ma révélation. On aurait pu entendre les oiseaux chanter au dehors. Lorsque j’en eus marre de ce silence pesant, j’ironisai :
- Et bien, ma proposition n’a pas eu l’effet escompté.
Personne ne réagit, comme si le temps était figé. Mal à l’aise, je dis, un peu inquiet :
- Oh oh ! Réagissez, s’il vous plaît ! Dites-moi ce que vous en pensez ! Parlez, dites quelque chose !
- C’est pas mal, finit par dire Alex. Ça change.
- J’ai cru que vous étiez figés !
- Oui, c’était assez drôle, dit Lionel. En tout cas, ton idée de plan n’est pas mal. Tu comptes faire quoi avec ce plan ?
- Eh ! C’était juste une proposition. Je n’ai encore rien prévu. Mais vu votre réaction, je ne suis pas sûr de votre avis.
- Pourquoi chercher à faire une nouveauté ? demanda Alex.
- Continuons de braquer des banques et des supermarchés ! renchérit Lionel. Il y en a bien assez pour dix ans ! Là on s’inquiétera.
- Vous n’avez pas envie de nouveauté ?
- Moi oui, dit Thibault. Je suis ouvert à toute proposition.
- Nous sommes donc à deux contre deux !
- Je n’ai jamais dit que j’étais contre cette attaque ! dit Lionel. J’ai juste dit que c’était inutile de chercher aussi loin, mais si tu y tiens, je veux bien.
- Moi, par contre, je suis contre, dit Alex.
- Moi aussi, ajouta Clara. Dans un train, il n’y a rien n’à surveiller, donc je n’aurai rien à faire.
- Adam ? demandai-je.
Celui-ci regardait sa montre d’un air impatient. Il releva la tête et répondit :
- Moi ça m’est égal, tant que vous continuez à rapporter de l’argent. Je peux y aller ?
- Tu n’as pas besoin de demander l’autorisation. Donc, ça nous amène à deux contre trois. Donc on a gagné, on fait cette attaque.
- Je me retrouve au chômage, alors ? demanda Clara. Je devrais continuer mon autre boulot à côté.
- Tu peux toujours surveiller s’il n’y a pas de site internet pour la gare, mais...
- Ça m’étonnerait, finit Clara.
- Désolé, grimaçai-je. Vous êtes libres, je dois réaliser mon plan. Et pas de soirée arrosée ! prévins-je à l’attention de Lionel et Alex.
- Pfff, tu n’es pas drôle !
- Attends ! dit brusquement Alex. Tu penses qu’on va avoir quoi comme butin ?
- On va braquer les personnes présentes dans le train, répondis-je, ne comprenant pas où il voulait en venir.
- Et tu penses qu’on va avoir un gros butin avec ça ?
- Réfléchis ! Le train, à notre époque, il n’est pas accessible à tout le monde. C’est forcément des personnes riches qui peuvent le prendre ! Donc, des personnes qui ont beaucoup d’argent sur eux.
- Je ne suis pas convaincu, dit Alex. À la limite, si on a de la chance, on peut gagner cent mille livres. Sinon, on va se retrouver avec seulement mille livres.
- Deux remarques, dis-je calmement. De une, d’où tu tiens ces estimations ? Et de deux, tu deviens un peu exigeant, non ? Même avec mille livres, on peut vivre bien pendant un mois !
- Comparé au un million de livres qu’on a gagné lors de la deuxième série d’attaque, c’est peu ! Il y a... - il compta - trois zéros en moins !
- C’est bien, tu sais compter. Blague à part, on a voté, c’est définitif. Si tu n’es pas d’accord, tu ne participes pas au plan, c’est tout ! Je ne vais pas te forcer à le faire.
- Je ne vais pas me passer d’une occasion d’avoir de l’argent en plus, mais franchement, je pense que c’est une mauvaise idée, conclut Alex.
C’est à ce moment crucial que se joua le destin de ma vie durant les mois qui suivirent cette décision. J’hésitai, soupesant ce qu’Alex avait dit, réfléchissant au bien fondé de cette mission. Mais mon mauvais esprit l’emporta :
- Non, tout va bien se passer, c’est une mission comme les autres. Je ne vois pas le problème.
- J’aurai essayé, dit Alex en haussant les épaules.
- J’en verrai peut-être un lorsque je passerai à l’organisation du plan, mais pour l’instant, je ne le vois pas, poursuivis-je. Comme je l’ai dit avant, vous êtes libres...
- C’est relatif, grogna Alex.
- Mais si vous vous ennuyez, vous pouvez déjà commencer à repérer des trains qui pourraient être intéressants, par exemple des trains journaliers ou hebdomadaires.
- Juste une question comme ça, peut-être débile, mais il n’y a plus de transports spéciaux d’argent ? demanda Lionel.
- C’est une piste à suivre, dis-je en réfléchissant. Je ne pense pas, mais tu peux toujours te renseigner sur ce point.
- D’accord. Alex, tu viens avec moi ?
- Si tu insistes.
- Tu n’as rien d’autre à faire, ironisa Lionel.
Ils continuèrent de se chamailler en sortant de la base. Thibault et Clara hésitèrent un instant, puis sortirent à leur tour. Quant à moi, j’utilisai mon pouvoir pour aller à l’extérieur, car c’était là que je me sentais le mieux.
Je passai trois heures à réfléchir, passant la moitié du temps à réfléchir sur le bien fondé de cette mission. Au final, j’avais un plan bien ficelé. J’avais un mauvais pressentiment, mais je ne m’en souciai pas. À chaque fois que j’en avais eu un, il n’y avait aucune raison d’en avoir un, et je n’en avais eu aucun à la mort de Claude ou à ma chute dans le néant. Donc je l’ignorai délibérément.
Vers 15h, je retournai dans la base pour découvrir Alex et Lionel en train de prendre un café autour d’une table. Lionel dit :
- On savait que tu étais en train de réfléchir, on savait que tu en as besoin.
- On a surtout besoin d’un chef en pleine forme qui imagine de bons plans, pas des plans foireux, précisa Alex.
- Et moi, je n’ai pas besoin de détails, dis-je en allant me servir un café. Alors ? Le résultat de vos recherches ?
- Il n’y a plus de transports avec de l’argent depuis dix ans, dit Lionel avec un sourire triste. C’est dommage. Ça nous aurait bien servi.
- C’est sûr. Ça aurait simplifié la chose. Mais sans difficultés, comment serait la vie ?
- Tranquille, répondit Alex. On n’aurait pas besoin de faire de telles choses.
- Et pourquoi on les fait, ses choses ? m’enquis-je.
- Pour gagner de l’argent !
- Alors tu crois que dans une vie sans difficultés, on aurait plein d’argent ?
- Bah oui. On pourrait travailler normalement avec un salaire de vingt mille livres par mois.
- Qu’est-ce qu’on serait bien, dans cette vie... soupira Lionel.
- Ça va, les rêveurs ? Je ne vous dérange pas trop ?
- Que veux-tu, on doit toujours avoir des rêves, dit Lionel avec un air mélancolique. Sinon, tu as fini de réaliser ton plan ?
- On attend que Thibault et Clara soient rentrés, et je vous l’expose. Je pense qu’il n’y a aucun risque...
- Pourquoi est-ce que tu parles de risques ? demanda Alex. Il n’en a jamais été question !
J’hésitai un instant à leur faire part de mon mauvais pressentiment, mais y renonçai car j’avais peur des moqueries par Alex. Je dis :
- On ne doit jamais sous-estimer un possible risque. Il peut toujours en avoir un.
- On n’est jamais trop prudent, acquiesça Thibault en entrant, suivi de Clara qui n’avait toujours pas l’air très heureuse.
- Alors ? Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?
- Il y a un train journalier partant de Birmingham pour Londres à 8h21 tous les jours. Ça doit être intéressant, il doit avoir tous ceux qui partent au travail avec de l’argent.
- J’aurai plutôt préféré un train de touristes, mais si vous n’avez rien trouvé d’autre, je m’en contenterai.
- Qu’est-ce que tu appelles un train de touristes ?
- Un train rempli de visiteurs, qui viennent en vacances pendant une semaine avec plein d’argent !
- Il y a plein de personnes qui vont à Londres ! C’est la capitale, comme même !
- Ok. Dans ce cas, il faudra aller à Londres pour voir à quelle heure arrive le train.
Alex pâlit brusquement. Il bredouilla :
- Je n’ai pas... tellement... envie d’aller à Londres.
- Moi, je veux bien, dit Clara. Si tu me permets d’aller voir mes parents en même temps, ils habitent à Londres.
- Si tu ne leur dis rien sur nos activités... comme dire... suspectes, ça me va, dis-je en haussant les épaules.
- Tu prends pour qui ? Une débile ? Évidemment que non. Je vais juste les rassurer quant à mon travail.
- Si tu pouvais faire ça demain, ça serait parfait.
- Je vais avertir mes parents au téléphone, annonça-t-elle avant de sortir de la base.
Alex ne s’étant toujours pas remis de ses émotions, je m’approchai et lui demandai :
- Qu’est-ce qu’il ne va pas au sujet de Londres ? J’ai l’impression que tu viens de faire une crise d’angoisse.
- On a été au collège là-bas, répondit Lionel à sa place. On peut dire que ça a été les pires années de notre vie. C'est après ça qu'on a rejoint Claude.
- Mais toi, ça n’a pas l’air de te choquer, remarquai-je.
- Je m’en suis remis. Pas lui, dit-il simplement.
- Bien, une fois que Clara sera revenue, je vous expliquerai mon plan, annonçai-je.
Nous attendîmes dix minutes, puis Clara revint et dit :
- C’est bon, c’est réglé.
Je leur expliquai alors mon plan, qui se basait sur la même technique que les deux premières attaques : plusieurs petites attaques à un endroit différent en très peu de temps. Personne n’émit de réticence, et personne ne posa de questions.
- Quand pensez-vous que nous pourrons faire notre attaque ?
- Le jour où il y a le plus de monde ! répondit Alex. Ça me paraît logique.
- Tu ne réponds pas à ma question.
- Je dirai, le samedi matin, où tous les gens qui habitent à Birmingham pour travailler rentrent à Londres.
- Et puis, c’est le week-end, ajouta Lionel. Donc potentiellement plus de touristes.
- C’est d’accord. Nous ferons notre attaque dans quatre jours. D’ici-là, il faudra surveiller l’heure de départ et d’arrivée, pour vérifier qu’il n’y a pas de travaux, ou pas de retard.
- Le retard peut changer tous les jours, remarqua Alex.
- Pas forcément, répliquai-je. Bien, je vous laisse. On se retrouve samedi à 8h.
Je passai le restant de la semaine à peaufiner mon plan, tandis que les quatre autres alternaient la surveillance du train. Certains allaient même voir aux arrêts de ce train pour voir à quelle heure le train arrivait à cette gare.
D’après Clara, le voyage prenait environ une heure et demie, donc le train arrivait à 9h51. À son retour de chez ses parents, elle resta silencieuse pendant un bon bout de temps. Lorsque je l’interrogeai :
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Rien, rien, répondit-elle. Ça fait juste un an que je ne les ai pas revus...
Mais au ton de sa voix, je me doutai bien que ce n’était pas tout. Je renonçai à la questionner davantage, et la laissai tranquille.
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