Révélations

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Victor prit la ferme résolution de percer le mystère, mais il devait s’armer de patience. Il ne voulait pas éveiller le moindre soupçon. Si Völva avait compris que Xavier n’était plus dupe, il ne devait pas soupçonner l’existence d’un complice.

L’autopsie pratiquée sur le corps du pauvre Xavier confirma la crise cardiaque. Aucune trace de lutte, juste une expression d’effroi figée à jamais sur son visage malgré les soins du thanatopracteur.

La cérémonie d’enterrement fut simple mais belle. Fidèle à Xavier.

Tout le long de l’éloge funèbre, Völva, ne quitta pas Victor des yeux. On pouvait percevoir de noirs éclairs dans son regard.

Par respect pour la famille et surtout par crainte de son patron, Victor quitta les lieux sans se rendre au verre de l’amitié.

Plusieurs semaines passèrent et Victor valida sa période d’essai. Chacun louait son endurance au travail et sa bonne humeur communicative. M. Völva ne s’absentait plus mais restait à distance du jeune Victor.

Toujours désireux de faire ses preuves, Victor ne comptait pas ses heures. À force, il en avait presque oublié sa promesse.

Il fallut qu’il assiste à une réunion en présence de M. Völva pour que sa fougue se ranime.

Ce jour-là, l’affaire semblait une formalité. L’équipe était réunie pour échanger sur le montant de l’investissement au sein d’une start-up rentrée récemment en bourse. Tous s’accordaient sur le peu de risque encouru : les feux étaient au vert.

Au moment où tous les membres de la direction allaient procéder aux signatures, Nicolas Völva réclama un instant d’isolement dans son bureau. Il en revint rouge, avec des yeux noirs. « Stoppez tout ! Il n’y aura pas de signatures ! Ni aujourd’hui, ni demain. Mettez tout ça au broyeur et qu’on n'en parle plus. »

L’assistance se regarda avec stupéfaction. Certains tentèrent d’argumenter mais en vain. Völva sortit de la salle de réunion sans volte-face.

La semaine suivante, cette même start-up dégringolait en bourse aussi vite qu’elle était montée. Pire, ses dirigeants furent arrêtés pour détournement et corruption. À cette annonce, le cabinet éclata de joie et tous s’enorgueillirent d’avoir pour chef, un homme avec un tel flair pour les affaires.

Victor, lui n’était pas dupe. Rien ne pouvait présager une telle chute. Völva avait-il des indics ? Journalistes, hommes d’affaires ou politiques ? Magistrats ?

Plus que jamais, Victor voulait percer le secret de la réussite de cet homme. Décidé, il resta tard le soir, sa pile de dossiers en cours était un bon prétexte pour les heures supplémentaires. Il attendit d’être le dernier de la boîte et se dirigea droit vers le bureau de M. Völva. D’un geste sec, il tenta d’ouvrir le tiroir. Celui-ci céda sans résistance. A l’intérieur, quelques stylos, porte-clefs et cartes de visite. L’une d’elles attira son attention. Il était inscrit « Chez Edmond et Cie. Antiquaire de l’étrange ».

Un bruit de pas survint. Victor se jeta derrière un paravent aux couleurs chatoyantes, qui à bien regarder semblaient mouvantes. Il retint sa respiration.

Nicolas Völva pénétra dans le bureau et se dirigea vers un secrétaire en bois, placé juste à côté du paravent. Il se baissa et en palpa le fond. Malgré la pénombre, Victor pouvait observer de sa planque à travers les interstices. Il vit l’homme se saisir d’un objet, le contempler quelques instants et le replacer. « Victor ! Je sais que vous êtes là. Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi ». Victor ne bougea pas. Une peur viscérale s’empara de lui.

« Bien, qu’il en soit ainsi » ponctua Völva tout en se relevant. Il se dirigea vers l’angle opposé prit un tapis roulé dans un coin de la pièce et le déposa consciencieusement devant le secrétaire et sortit.

Recroquevillé dans l’ombre, Victor attendit.

Attendit que sa peur redescende.

Attendit de pouvoir reprendre possession de son corps.

Il se risqua, à quatre pattes et le plus silencieusement possible, à rejoindre le secrétaire. Il reproduisit les gestes de M. Völva et sentit du bout de ses doigts un objet rond, froid, lisse et légèrement bombé. Il s’en saisit : c’était un miroir.

Victor regarda son reflet déçu de cette découverte.

Puis, plus il regardait, plus l’image changeait.

Il put voir son reflet vieillir, le col de sa veste était chic, élégant et portait une épingle sur le col. À peine eut-il le temps de l’observer que son reflet changea de nouveau pour rajeunir. Une longue coulure de sang parcourait à présent sa tempe. Victor lâcha l’objet et se tint la tête. Rien. Pas même une goutte. Trop occupé à se mirer, Victor n’avait pas remarqué la présence de Völva au dessus de lui.

- Mon cher Victor, vous avez donc trouvé le miroir de Julianus !

Tétanisé, Victor balbutia avec difficulté

- Qu’est-ce ?

- Un miroir qui vous révèle l’avenir ou tout du moins ce qu’il peut devenir. Il a appartenu à l’empereur Julianus. Tous les hommes ne peuvent pas supporter la vision de leur avenir, ton ami Xavier n’y a pas survécu. Certains peuvent affronter l’avenir en face, d’autres devraient rester sur leur garde. Ce que tu aurais dû faire Victor… Je ne peux te laisser vivre avec mon secret.

Völva saisit un coupe-papier mais dans un mouvement de jambe, Victor fit trébucher l’homme qui se fracassa le crâne contre l’angle du secrétaire. Les années de judo ne furent pas vaines ce soir-là !

Étendu sur le tapis, Völva se vidait de son sang et ses yeux de toute vie. D’un calme absolu, Victor palpa le pouls. Plus rien.

Que faire ? Partir ? Fuir ? Appeler la police ? Une ambulance ? Se débarrasser du corps ?

Après tout, aucune marque d’agression. Rien ne pouvait incriminer Victor.

Völva aurait très bien pu se prendre les pieds dans ce nouveau tapis ? Mais comment expliquer sa présence sur les lieux ?

Ne rien dire. Partir. Le laisser raide mort sans prévenir ?

La femme de ménage ferait le nécessaire demain aux aurores.

Dans ces questionnements intérieurs, Victor vit le miroir sur le sol et l’empoigna.

De nouveau, il vit son visage vieillir, ses tempes grisonner et la distinction sur le col revenir. Celle de la Rosette Grand Croix.

Dans un soupir de soulagement, il regarda une dernière fois son patron au sol et referma la porte derrière lui. Il quitta les lieux sans se retourner, miroir en poche.

La mort de Nicolas Völva fut annoncée. De grandes funérailles furent organisées où beaucoup le pleurèrent. Plus pour ce qu’ils perdaient avec cette disparition que pour sa disparition elle-même.

Quant au miroir... Que faire à présent ? Le garder ? Le détruire ? Il avait semé plusieurs morts, certainement des centaines depuis son existence.

Pour autant l’avenir s’offrait à Victor, pourquoi y renoncer ?

FIN

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