3. Le conseil Chaotique
À droite et à gauche se trouvaient des portes sublimement sculptées. Au sol, un tapis carmin habillait une longue galerie décorée avec faste qui semblait déboucher sur une pièce de plus grande envergure. Pendant que Zach suivait le chevalier noir, son regard fut attiré par un magnifique miroir s'élevant à taille d'homme, ciselé de motifs sylvestres en argent semblant doué de vie. La précision des détails lui conférait un aspect surnaturel. Alors que son reflet lui était renvoyé, ses jambes cédèrent devant son image. En face de lui se trouvait un inconnu d'âge mûr, marqué par la captivité. Des années semblaient avoir passées depuis sa détention. Son dos bossu tenait tant bien que mal sur ses jambes malingres, dont une brisée et mal ressoudée lui donnait une forme improbable. Des cicatrices boursouflées marquaient son visage creux, des yeux ternes enchassés dans de profondes cavités enlaidissaient son faciès, ses lèvres tordues et gercées cachaient une dentition pourrie et incomplète. Même ses oreilles avaient été mutilées, honte d'une vie passée qu'il regrettait maintenant. Des touffes de cheveux éparses reculaient devant une plaque eczémateuse. Devant cette liste des méfaits qu'on lui avait fait subir, de minuscules perles cristallines naquirent et s'accrochèrent aux commissures de ses paupières puis dévalèrent ses pattes d’oie crasseuses. Sire Vengeance, sans aucune compassion le releva par l'épaule, l'obligeant à continuer. Le corridor finissait sur la longueur d'une vaste pièce rectangulaire, le plafond soutenu par des colonnes de marbre était aussi lisse et régulier que son opposé, contrastant avec les murs bruts et naturels de la roche, donnant un sentiment d'écrasement à l'ensemble.
À une vingtaine de pas de là, une grande ouverture sur la droite laissait passer le ciel gris d'un extérieur de monde qu'il avait cru oublier. Un vent froid chargé d'iode faisait onduler les tentures rouges les animants de vie. Au centre, une table de pierre représentant le Royaume Fédéré, reproduisait chaque dénivelé, chaque plan d'eau et bosquet fidèlement. Des pions semblaient disposés d'une façon faussement négligée. Mais Zach ne tint pas compte des informations sur la carte, toujours sidéré par l'image renvoyé du psyché. Un guéridon ovale contre la paroi offrait un présentoir de succulentes pâtisseries et autres collations salées, deux serviteurs en livrée se tenaient de chaque côté. Le chevalier continua son chemin vers le fond de la pièce sans plus se soucier de lui. Dans cette pénombre où la lumière peinait à se diffuser jusqu'au fond, quatre personnes se trouvaient assises sur des trônes aux styles bien différents. Sire Vengeance s'agenouilla à une dizaine de pas de ses occupants présentant son otage pour ensuite se poster auprès d'un cinquième fauteuil vide. À la vue de Zach, un des maîtres sortit de l'ombre, il portait une longue tunique de velours rouge et mauve sombre, brodée de fil d'or. Une ceinture de tissu exhibait de petits boîtiers en cuir et une chaînette en or retenait un petit grimoire usé. Le haut de sa tunique était déboutonné laissant apparaître un torse blême aux os saillants. Il avait tous les attributs d'un haut mage d'Eliteas. Hormis sa tête d’où des pommettes angulaires transparaissaient sous une peau parcheminée et décharnée, digne d'un vieillard séculaire.
« Ha! Voilà mon bon ami sieur Ortaga!
Il s'exprimait d'une voix éraillée tout en avançant les bras ouvert. Cela fait plaisir de vous voir ! D'une manière empruntée, il serra Zach dans ses bras osseux puis continua :
– Nous sommes amis n'est-ce pas ? dit-il d'un doute surjoué.
– Oui !
La voix dans sa tête s’exprima instantanément pour sa survie. Une affirmation rapide occultant toute autre réponse.
– Bien, bien… Mais je manque à tous mes devoirs… Laissez-moi nous présenter. il fit signe à un esclave qui se dépêcha de raviver les lumières. Je suis Az’qeghaak, voici Nymneth.
De la main, il désigna une démone à la peau pourpre, des vêtements provocants habillaient ses courbes aguichantes et deux cornes semblables à celles des antilopes des jungles pointaient sur le haut de son crâne.
– Sublime non? dit-il à l'intention de Zach.
Celle-ci réagit d'un mouvement de la main chaleureux, ses seins balançant légèrement sous l’étoffe transparente. Produisant chez lui un sentiment depuis longtemps absent. Honteux, il détourna la tête. Le vieillard continua :
– Voici Lasgoras, représentant les elfes noirs de la forêt de pierre.
Il ressemblait à ses semblables du nord-ouest hormis sa stature plus petite et son teint pétrole. Il passa à la suivante.
– Je te présente Morgak, une orque particulièrement intelligente, fait rare étant donné sa race. Cheffe d'une grande tribu, elle a fait des alliances avec le reste des clans et est devenue la représente de sa race.
La monstre imposante grogna férocement, ses colliers macabres cliquetant sur sa peau olivâtre. Exibant ses seins ballant à la vue de tous ne semblait nullement la gêner, seul un pagne de cuir masquait sa féminité.
– Finalement, notre ami Arlenoth qui n'est malheureusement pas là aujourd'hui, mais son lige que tu connais déjà en la qualité de Sieur Chevalier Vengeance… Voici pour ce qui en est des présentations. Nous sommes l'équivalent du conseil du royaume confédéré. Nous dirigeons les bêtes et autres engeances chaotiques que ton empereur Larissian n'a pas jugé digne de son empire…
Après son effet, il reprit sur un ton amusé.
– Mes compagnons ici présents doutent de mon choix, ils pensent que vous n'êtes pas l'homme de la situation. Moi je dis : chacun ses compétences et pour voler il faut un voleur, n'est-ce pas ma chère? s'adressant à Nymneth derrière lui.
La silhouette féminine se réajusta dans son siège.
– Je pense que ton protégé en plus de son allure misérable, sent particulièrement mauvais. Et je crains qu'il ne soit même pas en état de faire la moindre chose…
– Ce ne sont que des broutilles pour le moment ce qui compte ce sont ses capacités. Et si nos ennemis ont cru bon de l'envoyer, c'est qu'il devait être le meilleur.
La succube se renfonça dans son trône. Zach voulut prendre la parole, mais la voix dans sa tête le retint.
– Une grande guerre approche… Voilà ce que je te propose mon garçon, sers-moi et trahis tes alliés. Je te rendrai ta liberté et bien plus encore… ou alors obstine-toi et je ferai paraître ces quinze années comme une cure de santé. La conviction dans la voix d'Az'qeghaak fit frémir Zacharia au plus profond de son être.
[ Accepte, s'il te plaît… on ne pourrait pas endurer pire… pitié, pitié… ]
Sa dualité implorait pour sa survie. Au dernier moment, un doute le prit. Le vieux mage continua.
– Pourquoi honorer une alliance qui t'a laissé croupir pendant si longtemps sans jamais envoyer personne pour te venir en aide?
La vérité lui semblait cruelle et avec l'insistance sans limite de sa conscience, il opina de la tête silencieusement… Honteux de sa trahison et pourtant heureux de cette promesse de liberté.
Az'qeghaak montrait son contentement en applaudissant de ses mains noueuses d'où d'énormes veines saillaient.
– Bien, bien… mon ami tu as fait le bon choix, en gage de notre amitié laisse-moi t'offrir un présent. Il sortit de sa bourse une chevalière en or blanc serti d'une fine pierre d'ambre carrée, qu'il lui passa à l'annulaire droit. Il ajouta d'un ton sévère. Ne t'avise jamais de me trahir, sinon je ferai perdurer ta souffrance même après ta mort… Après cet avertissement funèbre il lui relâcha la main. Voilà qui est fait, Zacharia puisque nous sommes amis peux-tu nous rendre un menu service? Son ton cajoleur ne souffrait d’aucune discussion. Quand cette guerre va reprendre, nos détracteurs vont vouloir en finir au plus vite. Alors ils reprendront la quête là où toi et tes amis l'ont laissée…
– La pierre du ciel murmura le nouveau disciple, se remémorant ses souvenirs d'avant sa capture.
– Exactement sieur Ortaga… Mais ce que vous ne saviez pas à l'époque, c'est que cette pierre dans les temps anciens fut taillée en cinq gemmes plus petites et offertes aux dieux pour vaincre le destructeur de monde… Tu comprends ? Sa voix grinçante s'était faite plus douce, plus intime. Alors qu'il lui parlait plus près Zach, pouvait voir dans ses yeux vitreux une étrange lueur.
Il nous faut ces gemmes ! Assure-toi d'incorporer leur groupe et ramène nous les pierres…
– Oui, maître… Serrant ses mains l'une dans l'autre pour limiter ses tremblements. Je dois rejoindre leur groupe et les mettres sur la piste des gemmes à Eliteas, pour ensuite les voler et vous les remettre... Il avait fait son maximum pour limiter les chevrotements dans sa voix.
– C'est bien, tu comprends vite… Écoute moi attentivement… Sieur Zacharia Ortaga n'a plus sa place ici. Il semblait réfléchir, puis s'adressant à un des serviteurs.
– Toi quel est ton nom? Le jeune homme, surpris releva la tête.
– Je.. je n'ai pas de nom maître, je suis né en captivité.
Sa réponse provoqua le courroux d'Az’qeghaak.
– Cafard inutile ! »
Un éclair fin comme une flèche jaillit du mage pour frapper le malheureux… Zach se figea de stupeur. Aucun des maîtres ne réagit comme accoutumé à la chose. La voix hurlait des supplications.
[ Fais-toi petit, supplie… supplie… ]
Mais déjà Az'qeghaak reporta son attention sur le second esclave. Celui-ci déglutit.
« Et toi?
– Auparavant je me nommais... Arsen. dit-il, hésitant.
– Bien… bien. Dorénavant Zach tu seras Arsen. reprit-il adouci.
L'esclave soupira d’aise à la réussite de l'épreuve.
– À la prochaine pleine lune, tu devras te trouver à l'auberge de Guersac… On te laissera passer jusque-là sans encombre... Ensuite, tu guideras intelligemment ton groupe vers l'académie d’Eliteas où vous y trouverez sans doute des indices. Nous ne pouvions pas y entrer jusqu'à maintenant, mais avec toi comme espion, il nous sera plus facile d'y accéder. Tu trouveras de quoi t'équiper pour ton voyage dans la première chambre, je suis sûr que tu y trouveras de quoi te satisfaire…
Zach hésita à lui rappeler son état actuel et Az'qeghaak perçut sa crainte.
– Ne t'inquiète pas pour ton physique, ce n'est qu’une futilité pour moi... Voilà ! Tout est dit...
Le vieillard inspecta du regard son protéger, lui tournant autour silencieusement.
– Le plus douloureux reste à venir. » le prévint-il.
La voix dans son crâne n'eut pas le temps de protester. Le mage apposa sa main sur le torse de l'homme, une douleur insoutenable irradiait de son contact se diffusant partout dans son corps brûlant à froid ses terminaisons nerveuses. Arquant son corps dans son supplice, étrangement la promesse faite à son père lui revint, puis il perdit connaissance.
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