8. Rencontre "fortuite" à Guersac
Le surlendemain soir, alors qu'il prestait une représentation pour son repas, la porte s'ouvrit en grand. Le silence se fit dans la salle… Cinq chevaliers se tenaient devant l'entrée, leurs armures reflétant l'incandescence des bougies, miroitantes comme autant de petites étoiles. Arsen installé sur la petite scène continua de jouer comme si de rien n'était, puis les discussions reprirent leur cours. De temps à autre un badaud risquait un regard interrogateur vers le nouveau groupe, mais les individus habitués les ignoraient. Le jeune barde comprit qu'il s'agissait de sa cible. Il continua de pincer les cordes, scrutant discrètement les nouveaux venus sous couvert de sa mandoline. Alderic se dirigea vers le tenancier.
« Mes chevaliers et moi souhaitons des chambres pour cette nuit ainsi que le couvert.
– Mon bon sire, je suis navré mais il ne me reste que deux chambres… Mais si vous le souhaitez, je peux demander à un locataire seul de vous la céder.
– Non... Je ne demande pas de passe-droit. Néanmoins, demandez leur s'ils ne souhaiteraient pas la partager et je m'engage à les payer pour la gêne occasionnée...
L'aubergiste semblait sincèrement embarrassé par le problème. Son regard se posait sur son ménestrel itinérant, il lui fit signe de les rejoindre. Arsen termina son dernier couplet du forgeron sans marteau, qui fut accueilli par de fortes acclamations et de rires. Puis, il salua son public avant de se diriger vers le comptoir.
– Arsen, j'ai un petit problème, ces nobles ici présents souhaiteraient se reposer, malheureusement je n'ai plus assez de chambres… Alderic intervint.
– Sire Arsen, laissez-moi me présenter, capitaine des Chevaliers d'Azur Alderic de Sigismond. Comme vous l'a expliqué le tenancier, il n'a plus assez de chambres et contre dédommagement, je souhaiterais vous faire partager la vôtre avec un de mes chevaliers.
Le capitaine s'exprimait d'une voix claire aux inflexions militaires. Tout chez lui donnait une impression de droiture. De sa barbe blonde finement taillée à son imposante stature, qui dominait de deux bonnes têtes le sang mêlé. Le jeune homme vit là une occasion bénie de se rapprocher du groupe.
– Si cela ne dérange pas l'un des vôtres de subir mes ronflements dignes d'une harde de sangliers !
– Ne vous inquiétez pas, le chevalier Oliver ici présent a une patience et une force à toute épreuve !
– Du moment qu'il ne me donne pas la chasse pendant la nuit !
Tous rirent aux éclats à cette tirade.
[ Séduis les... nous devons réussir pour le maître… ]
– Voilà qui est conclu ! Maintenant, veuillez m'excuser, mais il me reste quelques chansons à fournir...
– Bien, merci encore de votre amabilité ! Puis, s'adressant à ses camarades. Chevalier ! Mettez-vous deux par chambre, débarbouillez-vous et l'on se rejoint dans la salle commune pour le repas. »
Le jeune barde finit sa prestation par l’ode de Fennelore et Sunir, épopée des plus tristes par laquelle il réussit à soutirer des larmes à de grands costauds à la mine patibulaire. Même la serveuse qui lui lançait des regards venimeux depuis leur malheureuse altercation avait les yeux rougis... Les chevaliers qui avaient rejoint la salle un peu plus tôt l'invitèrent à leur table. Sans leur armure, ils ressemblaient à des nobliaux en voyage. Il s'avéra que le dénommé Oliver était le second et l'ami d'Alderic, Arsen décida de se lier d'amitié avec lui afin de pouvoir se mettre le capitaine dans la poche par la suite. Tactique qui lui semblait judicieuse. Il raconta des anecdotes hilarantes de ses voyages imaginaires puis l'histoire larmoyante de la perte de son œil... Les spectateurs accrurent autour de lui, lui permettant de devenir le centre d'attention de tout le monde. On lui paya des verres à foison... Et il repartit sur des plaisanteries pour faire rire l'assemblée. La nuit était bien avancée, mais personne ne semblait vouloir partir, tous voulaient entendre le barde. Dill le regardait subjugué sans se douter que la majeur partie de ses récits n'était que mensonge. Grâce à l'éducation donnée par son père, Arsen savait plaire à tout le monde, et il semblait être touché par cet état de grâce où tout lui réussissait... Jusqu'au moment où tout bascula. La porte s'ouvrit avec fracas pour la seconde fois et les gens se turent devant un paysan sanguinolent.
« N...nous s'mmes at..taqués.... Il s'effondra face contre terre devant l'entrée avant de rendre son dernier souffle. »
Le désordre s'empara des voyageurs, hurlant et se dispersant comme une nuée d'étourneaux. Les chevaliers dégainèrent leurs épées parées pour le combat et sortirent. En quelques secondes, Guersac avait pris des allures de fin du monde, des bâtiments en feu éclairaient les rues d'où des gens en panique tentaient de fuir leurs assaillants. Des gnoles tuaient et saccageaient tout sur leur passage. Alderic fut le premier à se jeter dans la mêlée tranchant et transperçant au fur et à mesure de sa course. Puis suivirent ses camarades. La panique prit Arsen de court, des souvenirs affreux d'avant sa capture lui revinrent en tête. Sa voix paraissait encore plus folle que d'habitude, tenant des propos incohérents...
[ Pitié... Il ne doivent plus nous voir ! Je ne veux plus souffrir... pitié… ]
Il tituba et glissa dans une flaque de sang laissée par un malheureux. A une dizaine de pas de lui un des chevaliers s'écroulait, la tête défoncée par un coup de morgenstern. La hyène humanoïde ricanait devant le crâne qui se déversait au sol, Oliver arriva derrière celui-ci et l'embrocha. La lame traversa de part en part la bête, qui retomba sur sa victime. Il eut un dernier regard pour son camarade vengé et repartit au combat. Arsen toujours confus recula à tâtons pour finir par se cacher derrière l'auberge. Là, une vision d'horreur se tenait, la jeune serveuse se faisait agripper par une bête chaotique alors qu'une autre la violait... Ses cris étranglés étaient couverts par les esclaffements des hyénidés. Tenant leur prise trop fermement par les bras, le craquement des os se firent entendre, suivis de son hurlement de douleur. Un gargouillis sinistre remonta de son abdomen, puis elle convulsa le sang aux lèvres. Ses yeux implorants fixaient le jeune barde, puis s'éteignirent… Le monstre continua sa besogne sur le cadavre de la fille, alors que l'autre remarqua le garçon tétanisé. Son cerveau submergé par les images d'abomination empêchait son corps de se mouvoir. Le monstre se dirigeait vers lui l’écume aux babines.
« Arsen ! Arsen ! Ressaisis toi ! Si tu ne fais rien, tu vas mourir ! »
Dill surgissant de nulle part se tenait face au jeune homme.
Un éclair de lucidité lui parvint grâce au féetaud. Contre toute attente, il sortit de sa torpeur, titubant en sens inverse. Il ramassa au passage l'épée du défunt chevalier. Puis, il fit face à son poursuivant. L'enseignement de son père lui revint instantanément. Il se campa bien fermement sur ses jambes, fléchissant les genoux pour garder une posture souple. L'arme bien qu'un peu lourde se trouvait à hauteur de torse, raffermissant sa prise à deux mains, paré pour la suite... Le gnole, stupéfait par ce revirement de situation, marqua une pause qui lui fut fatale. Un coup sans fioriture vint séparer la tête du torse de l'animal, figeant son rictus à jamais. Apparaissant de l'arrière de l'assaillant, sieur Oliver fier de son coup d'éclat, fit un clin d’œil avant de repartir à l'assaut, laissant Arsen dans sa posture de combat. Autour de lui, la bataille faisait rage, des paysans se battaient avec la force du désespoir, les chevaliers d'Azur se trouvaient sur tous les fronts. Un paladin aidait un des clients de l'auberge aux prises avec deux bêtes. Il trancha la patte droite du premier et entailla le second, détournant l'attention qu'ils portaient au malheureux. Celui-ci déguerpit sans demander son reste.
Émergeant d'une maison en flammes, un gnole plus grand que les autres hurlait des directives en langage chaotique, quand il repéra le garçon. Faisant tournoyer sa masse d'arme imposante, il dispersait d'un revers ceux qui se trouvaient entre lui et son objectif. Toujours en garde, son esprit recommençait à vaciller sous la peur que lui insufflait ce nouvel adversaire. Le coup fut violent, explosant sa garde et le propulsant loin au sol. Sonné , il se retrouva au pied d'une autre abomination. Par réflexe, le jeune barde lui entailla le jarret jusqu'à l'os, rougissant pour la première fois son fer. La bête bascula sous la douleur et un coup ascendant finit celui-ci. Difficilement Arsen se releva cherchant du regard le chef de la meute. Celui-ci traînait un cadavre de chevalier derrière lui, ne cessant de faire mouliner son arme sanguinolente. Tout en marchant, il fixait le garçon, confirmant qu'il en avait spécialement après lui.
[ Fuis... on ne peut pas gagner... pitié… ]
Dill, toujours présent, l'encourageait à bonne distance. Arrivé à quelques pas de lui, il lança le projectile humain qui s'écrasa avec un bruit sourd. Arsen se remit en position, priant les dieux de l'aider... Avec des réflexes hors normes, il esquiva le premier coup, mais une claque phénoménale de la gauche vint cueillir le garçon. La bête attrapa le barde, serrant ses doigts griffus autour de son cou. Il exerçait une pression de plus en plus forte. Sa vue se brouillait, Dill tenta désespérément de planter sa petite épée végétale sans succès.
[ Le maître devait nous protéger… ]
Cette pensée provenant de sa folie lui instigua une dernière tentative pour sauver sa vie. Il présenta à la vue du chef gnole son poing orné de la chevalière. Immédiatement, il le relâcha, au même moment une lame traversa le torse de la bête, éclaboussant la figure d'Arsen. Alderic se tenait triomphant, autour de lui des cadavres jonchaient les rues. Des chevaliers, seul le paladin Sigismond et Oliver étaient encore en vie.
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