11. Préparation au départ
Alderic avait couru en tout lieu pendant deux semaines. Préparer l'expédition était une marque de confiance que l'empereur lui témoignait. Il s'y était attelé dès qu'il avait annoncé aux familles la perte de leurs proches… Dès lors, il avait réquisitionné du matériel, prit des renseignements, s'était de nouveau présenté à l'empereur avec qui il s'était entretenu plus longuement, puis celui-ci lui avait confié deux autres personnes importantes à leurs quêtes. Un soir, alors qu'il rentrait à l'auberge, Oliver l'attendait assis dans une des alcôves du rez-de-chaussée. L'ambiance battait son plein grâce aux musiciens résidents. Dans le brouhaha de la pièce commune, le chevalier interpella son ami.
« Al ! Par ici !
Le paladin traversa tables et bancs et s'assit sur la banquette de velours usée.
– Ton chiot n'est pas là aujourd'hui ?
– Soit plus aimable... C'est un brave gars, qui cherche juste à honorer une dette…
– C'est un barde, il n'est pas fait pour aller au-devant du danger.
– L'honneur n'est pas l'apanage des nobles et tu le sais très bien. Il m'est sympathique et tout le monde l'apprécie. Il était avec moi aujourd'hui, je l'avais invité chez Elinea, puis il a agi étrangement, on a fini par se séparer par la suite. Il semblait agité... Quoi qu'il en soit, je souhaitais m'entretenir d'autres choses avec toi.
– Laisse-moi deviner. Cette chère Élinea t'a confié que j'avais réquisitionné son frère...
– Oui... Elle n'est pas rentrée dans les détails, mais m'a demandé de t'en dissuader. Apparemment il s'agirait d'une mission dangereuse…
– Avant que tu n'ailles plus loin, tu ne peux pas prendre sa place.
– Pourquoi ? Le coupa-t-il. Je te serai plus utile que lui !
Oliver s'était levé, deux poings sur la table. L'intensité dans son regard exprimait l'amour qu'il éprouvait pour la jeune femme…
– Car c'est une demande de l'empereur lui-même… Je comptais te l'annoncer au soir, pour que tu profites un maximum de ton temps libre, mais tu m'accompagnes aussi... Nous montons une seconde expédition pour Sombrevie.
A ces mots, il se rassit stupéfait. Alderic saisit l'opportunité créée par la nouvelle pour continuer.
– L'empereur et le prince régent ont regroupé nos informations pour en conclure que les Bêtes Chaotiques ont refait surface. Nous allons devoir nous aventurer dans leur contrée pour éradiquer le fléau à la source.
– Comment est-ce possible, les Saints Héros ont réglé son compte au destructeur ! La preuve en est la relique démoniaque !
– Je ne sais pas, peut être ont-ils trouvé un nouveau chef à suivre… Quoi qu'il en soit, nous présentons notre groupe quasi complet demain au conseil…
– Quasi complet ?
– Il nous manque Dame de Penas qui ne répond pas aux missives du conseil. Nous devrons sans doute nous rendre en son domaine avant de continuer. Pour le reste du groupe, tu les rencontreras demain. Nous avons constaté que les villages attaqués l'avaient été par des petites hordes de Bêtes Chaotiques. Mais si nous voulons voyager vite et pouvoir nous défendre, nous devrons nous contenter de notre groupe ainsi que de six chevaliers d'Azur expérimentés...
– C'est une mission périlleuse, penses-tu que nous en ressortions vivant ?
Oliver n'était pas du genre peureux, mais cette mission sortait du cadre traditionnel. En cas d'échec, les conséquences en seraient désastreuses…
– Ne t'inquiète pas, j'ai toute confiance en toi. Nous serons accompagnés des meilleurs chevalier d’Azur ainsi que des Saints Héros pour nous guider. Et si le pire devait t'arriver, je m'occuperais d'Élinea pour toi.
La pique fit mouche. Oliver devint rouge, son compagnon le connaissait depuis des années et savait où titiller la bête pour l'énerver. Celui-ci se contint et se força à sourire avant de reprendre.
– Non, tu te trompes, je m'inquiétais pour toi... Je me sentirais obligé de réconforter la princesse Solène pour toi !
– Ha, ha mon ami... La prochaine fois que tu souhaiteras attiser ma jalousie, assure toi que j'ai des sentiments pour celle-ci !
– C'est tout de même dommage... Elle t'aime, elle est belle et est pleine de qualités !
– Oui, c'est vrai, mais on ne commande pas ses sentiments… La princesse ne s'en est pas encore aperçu, mais il ne s'agit que d'une amourette de jeune fille. Elle est à la recherche du preux chevalier... mais ce ne sera pas moi. Pour ma part, je préfère les femmes et pas une jeune fille sortie de l'adolescence ! Changeons de sujet si tu veux bien... Demain matin sera peut-être ta dernière occasion de voir Élinea ou d'envoyer une missive pour ta famille. Tu devrais y réfléchir dans ta chambre.
– Tu as raison… Mais ce soir sera peut-être aussi notre dernière opportunité de boire ensemble ! »
Ils levèrent leurs chopes et trinquèrent ! La soirée fut longue, soutenue par la musique antrainante et l'alcool. À l'évocation de leurs souvenirs communs succédèrent les éclats de rire. Ils ne remarquèrent même pas le faux barde qui les observait dans un coin de la salle.
Le lendemain, devant la porte du conseil, les esprits embrumés de la veille peinaient à se remettre. Après avoir été annoncés, les chevaliers entrèrent. La salle était déjà au complet, le seigneur de Sigismond jeta un regard désapprobateur sur son fils. Alderic baissa les yeux avant de les reporter sur ses futurs compagnons de route. Le Duc de Bushnell était présent, d'une quarantaine d'années, il était vêtu de somptueux atours incompatibles avec leurs missions. Malgré l'injonction du Roi, il avait été le plus dur à convaincre. À côté de lui, le jeune Duc de Casteron semblait perdu, éduqué depuis sa plus jeune enfance au maniement de la lance, Oliver le décrivait comme un garçon réservé et timide. Le coupant dans son observation, le prince régent prit la parole.
« Merci à vous d'avoir répondu présent à mon appel. Avant de rentrer dans les détails de la mission qui vous attend, laissez-moi faire les présentations. Le Duc de Bushnell n'est plus à présenter, il fera part de ses connaissances des lieux et de son expérience. Ruben de Casteron représentera son père et ses talents de lancier, il est jeune, mais je suis sur qu'il se montrera digne de la tâche à venir. Solis d'Havrad qui nous vient des contrées de l'Ouest, un archer émérite ainsi qu'un talentueux cavalier malgré son jeune âge... Jehain Griffo, un combattant aux multiples qualités. Oliver de Montespant sur recommandation de sieur de Sigismond est promu capitaine et dirigera l'escouade de chevalier d'Azur. Alderic fit un discret clin d’œil à son ami. Le chevalier Alderic de Sigismond sera en charge de l'expédition. Concernant la duches...
– Votre Majesté. Si je peux me permettre…
La voix du duc interrompit la tête couronnée.
– Oui, sieur Bushnell.
Le duc se pinça les lèvres, seul le prince régent ou l'empereur pouvait outrepasser la particule noble due à son rang. Retour de l'impolitesse qu'il lui avait faite…
– Sans vouloir offusquer sieur de Sigismond, il me semble que je serais plus apte à diriger l'expédition vu mon expérience héritée du premier voyage, preuve en est la relique démoniaque que l'on peut observer. Il pointa du doigt la phalange, qui reposait dans sa vitrine. Aussi grosse que le tronc d'un homme, les années l'avaient desséchée, lui donnant des tons gris, certains vestiges d'une vie passée le tournait en quelques endroits au pourpre terne.
Dans ce moment de malaise, ce fut l'empereur qui vint à la rescousse de son fils.
– Oui, magnifique trophée ! Mais il me semble que vous étiez plusieurs à combattre… Si ma mémoire ne me fait pas défaut… et pour citer vos propos de l'époque :
« Le prince Andol a combattu vaillamment accomplissant plus que nous tous réunis, malheureusement il a trouvé la mort contre Shag'all le destructeur. »
Donc, il serait logique que la majeure partie du mérite ne lui revienne à titre posthume. Pour finir, la première expédition a été menée jusqu'aux abords de Sombrevie par nulle autre qu'Andol lui-même qui avait reçu une formation militaire tout comme le chevalier de Sigismond…
Le prince Theoldwin continua.
– Vous avez été un très bon guerrier... mais vous n'avez pas l'étoffe d'un meneur... Gregorias de Bushnell ravala sa fierté, et esquissa une révérence de mauvais gré.
Voilà qui lui coupait les ailes pour toute la durée de l'entreprise.
– Je laisse le soin à l'expédition de convaincre la duchesse de Penas...
La porte s'ouvrit en grand et Ava Eegis, la magicienne attitrée de l'empereur, fit irruption. Ignorant les personnes dans la salle, elle se dirigea vers les têtes couronnées. Exerçant une révérence digne d'eux. La femme d'une quarantaine d'années en paraissait vingt de moins. Seule sa chevelure blonde cendrée et de légères pattes-d'oie trahissaient son âge. Elle s'avança vers le monarque et lui chuchota à l'oreille.
– Sire je viens de m'entretenir avec mon cercle… Mes consœurs et moi avons consulté les astres… Nous avons testé plusieurs projections… Mais elles se sont toutes conclues par l'échec de l'expédition… Reconsidérez votre décision ou laissez-moi les accompagner.
Theold semblait réfléchir, scrutant l'assemblée. Les gens présents observaient la scène avec retenue.
– Navré, Dame Eeris, mais avec la guerre qui se prépare, j'aurai plus que jamais besoin de vos compétences. Qui plus est, il me faut vos talents pour négocier avec les mages d'Eliteas.
Elle se tourna vers le groupe, les dévisageants du regard. Pour s'arrêter sur le paladin.
– Sieur Alderic, avant de partir pour Sombrevie, votre groupe devrait se rendre chez les oracles Mères. Nul ne devrait s'aventurer dans un tel périple sans avoir une idée de ce qui l'attend…
Puis, sans attendre de réponse, elle tourna les talons, faisant vire-volter sa robe à corset au ton lilas, puis prit la sortie. Le reste de la réunion portait sur différents plans d'action et des mises en garde.
– Que chacun prenne ses affaires et donnons-nous rendez-vous à la porte sud.
– Tu ne vas pas dire au revoir à la princesse? Dit Oliver d'un ton taquin.
Solis et Ruben ralentir sentant une conversation croustillante arrivé.
– Je t'ai déjà dit que je n'avais pas ce genre de sentiment pour elle, de plus son père l'a envoyée dans un couvent.
Avant de partir, l'empereur interpella une dernière fois Alderic.
– Chevalier de Sigismond ! Prenez bien soin des plus jeunes de votre groupe, leurs familles ont déjà beaucoup souffert.
Finalement, l’empereur Theod 1er se tourna vers son fils le prince régent Theoldwin pour lui murmurer avec une profonde inquiétude.
– J’espère ne pas commettre la même erreur… »
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