La Chute de Liandre

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 Il était surprenant de voir le calme de mon compagnon face à une situation si désespérée. Depuis que l'arrière-garde avait fait demi-tour pour chercher de l'aide, la forêt s'était parée d'un inquiétant manteau de silence. Le brouillard glissait le long des arbres, léchant l'herbe et masquant les feuilles, nous privant de tout repère. Nous étions six, postés autour du carrosse penché de côté dans lequel se trouvait Estesia, femme d'Auguste Pernin et reine de Liandre. Avec elle, dans la voiture, lui tenait compagnie le médecin royal dont le nom m'a toujours échappé. Ils avaient fermé les volets des portes du carrosse, si bien que dans le silence ambiant l'on aurait pu croire que nous ne gardions qu'une voiture accidentée. Le cocher était mort, une flèche enfoncée entre les côtes, et son corps était tombé quelques minutes avant que la voiture n'aille percuter un arbre, arrachant sur le coup les deux roues de gauche. Un cheval gisait sur son flanc, une branche plantée dans l'oeil, alors que son frère de trait avait fui. Les six chevaux de la garde étaient quant à eux près de nous, attachés à des arbres, immobiles et à l’affût du moindre bruit. Sur le sol s'étalait en tous sens une trentaine de livres tombés de l'un des coffres attachés sur le toit de la voiture. Deux autres coffres en contenaient plus encore. Chacun de ces ouvrages renfermait une part de l'histoire de Liandre, une histoire qui s'était écrite sur huit siècles et qui avait été, à chaque nouveau règne, soigneusement retranscrite. Aucune pièce d'or ne méritait de prendre la place de ces livres.

 Liandre n'était pas grand de par sa taille, mais de par son histoire et son aura. Entre la mer d'Aconi à l'Ouest et les montagnes d'Egol au Sud-Est, une dizaine de villages, la ville portuaire d'Ornanto et la cité royale constituaient l'ensemble du royaume. Des routes larges et sûres étaient tracées à travers les champs et les forêts, des ponts centenaires sautaient les rivières et des moulins se dressaient sur les collines. C'était autrefois, avant l'arrivée et la propagation des fanatiques, un pôle commercial crucial, un lieu de progrès et de liberté, la destination de millier de pèlerins, d'historiens et de croyants, et l'un des gageurs de la paix sur cette vaste terre. Abondaient les récits d'aventures et les héros de Liandre, que nos ennemis illuminés voulaient à tout prix éradiquer. Mais une histoire vieille de plusieurs siècles ne saurait disparaître ainsi. Notre peuple avait combattu et vaincu des maux pires que ceux-ci.

 Arvo était le nom de mon compagnon. Il était pour moi ce qui se rapprochait le plus d'un ami, ou d'un frère d'arme. Nous nous connaissions depuis des années, depuis que je pris en main ma première lance, mais jamais son calme à toute épreuve n'eut cessé de me saisir. En ce moment de crise, ce n'était pas le vide blanc entre les arbres que j'inspectais, mais les yeux impassibles de mon compagnon qui se trouvait à quelques pieds de moi. Sa bouche était fermée et ne tremblait pas malgré le froid de l'automne, son nez respirait calmement sans frémir, et ses mains tenaient parfaitement sa lance sans bouger. Nous étions tous accroupis ou couchés en rond autour de la voiture, guettant le moindre mouvement, le moindre bruissement, nous attendant à ce que l'ennemi nous trouve à tout moment. Lorsque nous chevauchions, les flèches sifflant près de nos têtes, je ne pus apercevoir que quatre ou cinq cavaliers, mais je ne doutais pas qu'un régiment entier devait être à notre recherche. Depuis que nous les avions semés grâce à l'endurance et la force reconnues des chevaux de Liandre, le calme régnait en maître dans la forêt. Nous étions à une dizaine de lieues de la cité royale, cernés par les milliers de bouleaux qui formaient la forêt d'It, les pieds et les genoux enfoncés dans le tapis de mousse qui recouvrait presque entièrement le sol. L'air en ce lieu était chargé de magie et d'histoire. Nombreux étaient les récits circulant dans les campagnes de Liandre au sujet de la forêt maudite d'It.

– Ne crains-tu pas la mort qui nous attend aujourd'hui ? demandai-je à mon compagnon.

– Non, me répondit-il. C'est nous qui l'attendons. Rien ne nous attend.

 Arvo parlait souvent ainsi, pour se donner un genre, vomissant des répliques qui, en temps normal, au mieux m'amusaient et au pire m'agaçaient. Mais au milieu de cette forêt funeste, me vint une fulgurante envie de l'empaler sur ma lance. Mon sang se chauffa et mes dents se serrèrent, puis il tourna son visage vers moi et je pus lire la peur dans ses yeux, et je me sentis honteux.

– Je me moque de toi mon frère, me dit-il. La peur me paralyse.

 Je voulus lui répondre que tout irait bien, que l'arrièregarde allait bientôt revenir avec de l'aide, lorsque l'un des volets du carrosse s'ouvrit et qu'une main en sortit, accompagnée d'une voix roque et fatiguée.

– Retirez les deux autres roues de la voiture. La reine souffre et n'est certainement pas à son aise penchée ainsi !

 Le médecin referma le volet dès son ordre donné. Trois gardes s'attelèrent à la tâche avec autant de silence que possible. Il s'agissait d'Eron, Calarthe et Darn. Le premier était un lieutenant zélé, un homme juste et droit, qui avait su se faire respecter de ses pairs. En réalité, il était capitaine depuis peu, après la mort de Sarabon il y a quelques heures à peine, mais cette soudaine promotion était peut-être un poids trop lourd à porter en ce contexte. Calarthe et Darn étaient frères et pourtant deux hommes n'auraient pu avoir de caractères aussi différents que ceux-là. Calarthe, l’aîné, était une personnalité enjouée, prompte à l'expansion de sa bonne humeur et à l'étalage de ses blagues en tous genres. Il parlait beaucoup et fort, alors que son frère Darn parlait peu et doucement. Le benjamin n'était pas un homme très avenant et semblait apprécier qu'on le laisse en paix. Tous deux passaient néanmoins le plus clair de leur temps ensemble. En addition d'eux, d'Arvo et moi-même, il y avait Mordo et Mavavin. Mordo n'était guère apprécié au sein de la garde. C'était un homme froid qui s'évertuait à ne tisser aucun lien avec ses compagnons, s'emportant souvent et souriant peu. Malgré cela nous le respections tous car Mordo s'avérait être un soldat incroyable et impitoyable. Sans doute le craignions-nous assez pour ne pas nous frotter à lui. J'appréciais tout particulièrement Mavavin, même si nous n'avions pas beaucoup de points en commun. Il était le plus jeune d'entre nous, mais son courage était sans égal et son sens de la justice indiscutable. Sa gentillesse et son attention pour toutes personnes étaient insultantes et plus d'une fois il me fit me sentir médiocre et odieux. Nous six composions l'avant-garde censée protéger la reine et chacun d'entre nous savait qu'il ne retournerait jamais chez lui.

 En cet instant je me souvins d'un soir à l'ombre du grand mur Nord. Nous paressions, Arvo et moi, durant notre garde. Nous étions alors encore de simples soldats se cachant derrière un renfort pour boire de l'hydromel. Alors que le soleil se retirait derrière les remparts de la cité, Arvo me fit part de sa volonté d'honorer son père, le père de son père et tous les pères des siècles passés en mourant la lance à la main, la pointe tendue vers l'ennemi et le talon vers Liandre. A l'époque, je ne pensais pas à ma mort ou à celle de mon ami, j'étais fidèle à mon royaume mais aucun sacrifice n'était envisageable tant la paix était notre quotidien. Mais Arvo était le descendant d'un grand héros, un homme qui aida à mettre fin à l'ère de la sorcellerie. Toute son enfance on lui avait chanté les récits des aventures de son ancêtre et on avait utilisé les valeurs fondamentales du courage et de l'abnégation comme fondation pour parfaire son éducation. Comme nous, ce héros fut membre de l'avant-garde de Liandre et sa lance est toujours accrochée sur un des piliers de la salle du trône. Les fanatiques qui s'insinuaient dans nos rues auront tôt fait de briser cette relique de notre histoire. Cela, Arvo en avait pleinement conscience et devait en être rempli de rage. Bien sûr, il n'en laissait rien paraître.

 Pendant que Calarthe et Darn soulevaient la diligence, Eron retira les deux roues restantes. Lorsqu'il eut terminé, il fit signe aux deux frères de la reposer lentement, mais les mains de Darn étaient trempées par la peur et par l'effort et elles glissèrent de leur prise. Le carrosse retomba avec fracas et un cri s'éleva de l'intérieur, se répandant à travers le brouillard, chassant le silence et quelques oiseaux. Nous agrippâmes alors fermement nos lances et les tendions vers le mur blanc qui s'étirait entre les arbres. En quelques secondes seulement Eron et les deux frères étaient retournés à leur poste. Un second cri s'éleva peu après du carrosse et celui-ci nous fit frémir car il s'agissait d'un terrible cri de douleur. Puis la voix du médecin se fit entendre :

– Espèces d'incapables ! Les contractions ! Les contractions sont là ! Bande de misérables, la reine est en souffrance !

 J'imaginais Darn rouge de honte et mes autres compagnons emplis de la même terreur que celle qui était la mienne en cet instant. Les cris se succédaient à intervalles réguliers, faisant vibrer nos tympans et toute la forêt avec.

– Je vais faire mon possible, nous lança le médecin. Faites de même et protégez votre reine !

 Notre royaume était sur le point de s'effondrer d'un moment à l'autre : les ennemis étaient aux portes de la cité. Contraint, le roi nous avait lancés sur les routes de l'exode pour protéger la reine et sa descendance. Ici, au milieu de cette forêt brumeuse, dans ce carrosse immobile, se trouvait l'avenir du royaume de Liandre que nous avions juré de protéger jusqu'à notre dernier souffle. Il était bien inutile de nous ordonner de nous sacrifier pour notre reine, la garde lui étant vouée corps et âme, prête à mourir pour elle. Mais il était difficile de se débarrasser de cette terreur qui nous saisissait tous le ventre et l'esprit. Les cris de la reine déchiraient l'espace autour de nous mais aussi nos coeurs. Quelle joie que la naissance du prince ou de la princesse de Liandre, mais quelle tristesse que cela advienne en ces heures sombres.

 Je tournais à nouveau mon regard vers Arvo, courbé en avant au-dessus de sa lance, aussi immobile que si la vie l'avait quitté. Durant son enfance, il chassait souvent, principalement pour le plaisir, aussi avait-il apprit à tendre l'oreille à la nature et aux vivants.

– Entends-tu quelque chose ? chuchotai-je.

– Moi non. Mais je ne doute pas une seule seconde qu'eux nous entendent.

 Si nos ennemis étaient toujours à arpenter le brouillard à notre recherche, il était tout à fait certain que les cris d'Estesia leur étaient parvenus. S'élevait parfois la voix du médecin, demandant à la reine tantôt de respirer, tantôt de pousser. Nous partagions sa souffrance à chacun des cris qui pulsaient au rythme de notre sang. Une brise légère venait de se lever et tournait lentement les pages des livres posés au sol. Les nappes de brouillard se mélangeaient et semblaient tourner autour de nous, comme des loups encerclant leur proie. Les chevaux avaient maintenant du mal à garder leur calme, frappaient la terre de leurs sabots et lâchaient des hennissements traduisant la peur qui parcourait leurs muscles. Les miens étaient aussi durs que la pierre et j'avais l'impression que plus jamais je ne pourrais les bouger. Mais j'étais un soldat de Liandre et je n'avais aucun doute sur le fait que mon corps serait prêt à bondir lorsque les fanatiques fondraient sur nous. Je ne devais avoir qu'une chose en tête : protéger l'héritage de Liandre, et avec lui notre reine bien-aimée.

 J'entendais, de l'autre côté de la voiture, Mavavin prier d'anciens dieux que tout le monde avait oubliés excepté lui, et, tout autour, les pages de nos récits tourner. C'est dans cet écrin que nous parvint le son des sabots frappant la terre sacrée d'It. Huit cavaliers, au plus. Ils étaient encore loin, mais se rapprochaient au galop. A partir de ce moment, dans mon esprit s'atténuèrent les cris d'Estesia et les prières de Mavavin alors que les battements s'intensifiaient derrière le rideau de brume. Je sentis la crainte et l'excitation du combat tendre le corps d'Arvo près de moi et je me raidis à mon tour, ma lance fermement tenue vers l'ennemi galopant. Il fallut bien sûr que les fanatiques arrivent sur nous par ma position, et je les y attendais fermement. Sans doute ni hésitation ma lance frapperait en premier, et si je devais mourir ici, ce serait au milieu des corps transpercés de nos ennemis, présentant aux vieux dieux d'It un sourire victorieux.

– Es-tu prêt mon ami ? me demanda calmement Arvo.

– Absolument, mentis-je. Mais il me semble entendre un tremblement dans ta voix !

– Je crois bien que la peur te fait dire des idioties !

 J'ouvris la bouche pour rire, mais ne sortit de ma gorge nouée qu'un sifflement désagréable. Les cavaliers n'étaient plus très loin, et le bruit des sabots couvrait presque les gémissements d'Estesia. Tout ce vacarme prenait de plus en plus de place dans mon esprit et je sentis mes doigts se relâcher légèrement sur ma lance. De terribles pensées me vinrent. Devais-je vraiment mourir ici, sous les coups de ces fous ? Liandre n'était-elle pas déjà perdue ? Tout cela était certainement vain. Mais le soldat parla haut et fort en moi. Il parla fort pour couvrir le grondement de la mort qui approchait. Sa voix s'intensifiait en même temps que les tambours de nos bourreaux. À chaque coup de sabot, le soldat me rappela le serment que j'avais prêté. À chaque enjambée parcourue par nos ennemis, le soldat se fit plus présent. Puis, alors que le brouillard se retirait pour laisser place à nos poursuivants, le soldat en moi tua toute peur et toute hésitation et ma main se serra sur ma lance. J'étais un garde de Liandre, j'étais entouré de mes camarades et j'étais ici pour tuer tous ceux qui tenteraient de s'approcher de notre reine.

 Le regard fixé sur le rideau de brouillard qui s'écartait, je me mis debout, je fis glisser en un geste rapide et précis la lance sur ma paume pour la tenir comme un javelot et j'attendis. Alors qu'une première silhouette se découpait derrière le voile blanc, je jetai ma lance de toutes mes forces. Elle fendit l'air en un instant et vint frapper la poitrine du cavalier qui se précipitait sur nous. Il s'écroula, transpercé en plein coeur, et son cheval passa sans s'arrêter près de moi. Accrochée à la selle, une chose attira mon regard et me glaça d'effroi en un instant. Arvo me cria quelques mots que je n'entendis pas alors que les autres cavaliers étaient maintenant à portée de vue. Ils étaient six et deux d'entre eux sautèrent à terre pour porter secours à l'homme que j'avais touché. Les autres brisèrent leur formation, nous encerclèrent et nous demandèrent de poser nos armes. Je me retournai et vis Mordo courir vers moi, la lance tendue et le visage tordu par la colère. Tout semblait se dérouler si lentement autour de moi, laissant peu à peu la brume s'évader de mon esprit pour qu'il ne me reste que la réalisation de ce que je venais de faire. La pointe de la lance de Mordo s'enfonça dans mon épaule gauche et me cloua au sol avec une violence qui me coupa le souffle. Je ne criai même pas, terrassé plus par l'horreur de ce que j'avais commis que par l'attaque de Mordo. Il arracha sa lance de mon épaule pour l'abattre sur mon crâne quand Arvo et Eron se jetèrent sur lui pour l'immobiliser. Des cris, en tous sens, répandaient le chaos dans la forêt, si bien que ceux d'Estesia ne parvenaient plus à mes oreilles. Puis, toujours à terre, je fus saisi par deux des hommes qui venaient de chevaucher jusqu'à nous. Ils me soulevèrent avant de me mettre à genoux. Là, je vis les yeux d'Arvo, et ces yeux finirent par ancrer en moi le désespoir. Jamais je n'avais vu tant d'émotions mêlées dans le regard de mon ami, jamais je ne l'avais surpris autant en détresse. C'est ce regard qui me condamna, mais c'est Mavavin qui parla le premier :

– Que les Dieux nous protègent ! Qu'as-tu fait ?

 Je tournai alors ma tête vers le corps gisant sur le tapis vert de mousse. L'homme était mort et sa couronne reposait à quelques pas de lui. Je ne voyais pas son visage mais je reconnaissais l'armure royale de Liandre. L'arrière-garde avait mis tous mes compagnons à genoux et s’enquérait maintenant de la santé de la reine et de son enfant. Ils étaient six, tout comme nous, et avaient chevauché jusqu'au château pour trouver de l'aide. Mais le royaume était presque tombé. Sur le champ de bataille, ils rencontrèrent le roi qui décida de se rendre au plus vite auprès de sa femme après avoir appris dans quelle terrible détresse elle se trouvait. Auguste était un grand guerrier, et ce fut sans mal qu'il se fraya un chemin au milieu du tumulte de la bataille et qu'il occit tous ceux se trouvant sur la route qui le menait à sa bien-aimée. Il chevaucha, accompagné par l'arrièregarde, à travers la forêt d'It, guidé par les cris de douleur d'Estesia. Son coeur se serra lorsque la brume qui l'enveloppait s'écarta et qu'il aperçut enfin le carrosse royal. « Au diable la guerre, au diable le royaume ! Que ma femme et mon enfant puissent vivre loin de toute cette folie ! », dit une voix venue des méandres de sa passion. Il ne vit pas la lance fendre l'air, n'entendit qu'un léger sifflement avant que son coeur ne soit transpercé. Notre roi mourut sur le coup et emporta avec lui tout espoir.

 La nuit est tombée et j'ai les mains liées dans le dos. Du sang s'écoule encore de mon épaule meurtrie, mais la douleur m'est indifférente. Estesia est morte en couche et son enfant, un garçon, n'a pas survécu non plus. Le royaume de Liandre a aujourd'hui cessé d'exister. Je me remémore sans cesse ces dernières heures passées au coeur de la forêt d'It et je ne peux les voir que comme un lointain souvenir, une douleur irréelle transperçant mon être de part en part. Il me semble que nous sommes restés à regarder le brouillard se dissiper durant des décennies, immobiles dans notre désespoir, attendant un ordre divin qui puisse sauver Liandre. Nous sommes maintenant des soldats sans rien ni personne à défendre, et c'est ma main qui a scellé notre histoire. Mais je n'aurai bientôt plus à m'inquiéter pour mon sort.

 Mes compagnons d'arme – ou devrais-je dire anciens compagnons – sont debout tout autour de moi. Seul Mordo et ce bon docteur manquent à l'appel. Je ne sais où ils se sont retirés. C'est à Eron qu'a échoué la tâche. Il s'approche de moi d'un pas indécis qui lui est inhabituel. Le regard qu'il pose sur moi est empli de déception et de tristesse. Mes genoux, enfoncés dans le sol, sont trempés et froids. Je ne sens plus mes mains à cause des liens qui me serrent les poignets. Ma tête est presque vide, mon corps tout entier ne m'appartient plus. Eron s'arrête à quelques pieds devant moi et dégaine une épée que je n'ai jamais vue. Il annonce mon nom et mon grade avant de prononcer des mots que je ne pensais jamais entendre.

– ...tu es rendu coupable de régicide, et par les pouvoirs qui m'ont été légués, j'appliquerai la sentence dictée par les lois de notre royaume. Tu seras, en ce lieu, exécuté sans procès et sans droit à la dernière parole. Que les dieux passés et futurs aient pitié de ton âme.

 On me pousse en avant pour présenter ma nuque. Une dernière fois, pendant une fraction de seconde, mon regard croise celui d'Arvo. Ce que j'y vois m'écrase de chagrin. Dans ses yeux, plus aucune étincelle ne subsiste, son corps semble s'être vidé de son essence. Eron se place à mes côtés, prêt à abattre sa lame. Je pense une dernière fois au roi et à la reine. J'ignore où on les a enterrés, ou si on les a même enterrés. Je pense à mes parents, aux femmes avec lesquelles j'ai couché, la terre et au ciel de Liandre, aux espaces que je n'ai jamais foulés. Puis l'épée tombe et ma tête roule au sol. Le sang s'écoule de ce qui reste de mon cou, s'insinuant dans la mousse et dans la terre, tachant l'herbe et la pierre. Un filet rouge glisse aux pieds des hommes, entre les vestiges de notre histoire, jusqu'à un livre à la couverture marron. Tracé en lettres d'or, on peut lire en titre : «Contes et Légendes des Royaumes Lointains».

Fin de Liandre

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