La tempête
Sur le chemin du retour vers Rävgård, je remarquai deux choses inquiétantes.
En premier lieu, des nuées opaques et mouvantes d'oiseaux dansaient dans la lumière déclinante de l'après-midi. Des milliers de corbeaux se rassemblaient dans une vision encore plus impressionnante que les attroupements avant les migrations.
Au-delà de cette nébulosité, une tempête se formait sur le Pic Écarlate. Noire, épaisse, bardée d'éclairs violacés, on l'entendait gronder dans le lointain. Le tonnerre roulait, ininterrompu. Les démons Tourmente qui vivaient là-haut laissaient libre cours à leur colère. Tentaient-ils de nous intimider ou préparaient-ils leur première offensive ? Je vis Tully lever avec fierté le menton en direction de la montagne. Je savais qu'il défiait intérieurement les engeances maléfiques. Il n'abdiquerait jamais.
" Nous ferions mieux de nous hâter, capitaines. Les tempêtes descendent très vite dans la vallée. Et je pense que celle-ci va frapper fort. " lança Solbakken. Puis il se tourna vers ses hommes :
" Rebrov, Mörk, chevauchez jusqu'à Oskjavik et prévenez les habitants de se mettre à l'abri. Vitus, Finnbogasson, la même chose par le coteau nord jusqu'à August's Kvarn. Que Yuggos vous montre le chemin. "
Les quatre cavaliers répondirent du même geste de la main sur l'ordre de leur officier puis lancèrent leurs chevaux sur les pistes. De leurs statures imposantes émanait un sentiment de force et d'abnégation. J'aurais aimé avoir ces hommes à mes côtés si le sort nous offrait un combat. Hogarth et Tully pensaient comme moi, je le devinais à leurs visages tournés vers leurs sillages.
Le vent se levait en bourrasques froides. Elles portaient une odeur humide de neige mais aussi de fureur. Solbakken se tourna vers l'un de ses hommes :
" Potem, la cloche, je vous prie.
- Oui, mon lieutenant.
- À quoi sert cette cloche ?
- Ceci est notre tocsin, capitaine Wynne. Hâtons-nous, messieurs. "
Nous lançâmes nos chevaux dans une course contre la montre des démons. Pendant notre retour vers Foxcroft, quelque chose m'interpella. La plupart des paysans crachaient sur le sol à notre vue, de la même manière que le vieux Darkholme sur ses terres. Je vis de la déception sur le visage de Solbakken. Tout le monde ne partageait pas son enthousiasme à notre égard et les mots du Jarl me revinrent en tête : " La crainte d'un remède plus terrible que la maladie. " Nombreux étaient ceux qui, depuis la Chute, courbaient l'échine devant les démons mais peu acceptaient l'idée de les combattre. Ils préféraient s'adapter. Je me rappelai une lointaine phrase de Delaney : " La reconnaissance naît après la bataille. Avant n'existent que le doute et la méfiance. "
Dans le bourg, on nous dévisageait avec animosité. La pluie commençait à tomber, les hommes s'abritaient sous les galeries qui bordaient la Grand-rue. Je ne voyais ni femme ni enfant dans la foule. Ce soir ou demain, nous subirions, à n'en pas douter, une mise à l'épreuve de la part des habitants de la région. Dans le meilleur des cas, on nous imposerait un challenge à relever, comme dans la plupart des villages où nos services étaient sollicités. Parfois, une dispute éclatait. Rarement, dans des instants dont je ne tirais aucune fierté, des coups étaient échangés. J'espérais que nous n'en arriverions pas là.
Nous parvînmes devant la demeure du Jarl au moment où la tempête s'abattait sur le village. L'horizon se boucha, des cataractes écrasèrent le monde, le noyèrent derrière un rideau épais. Seule l'église émergeait encore des trombes, blanchâtre.
Un feu brûlait dans le foyer. De la bière et du gibier nous attendaient. Le cercle proche des conseillers du jarl nous écouta. L'effarement se lut sur leurs traits quand nous évoquâmes qu'il y avait cinq démons, et non un seul. À la fin, Nuutinen leva la main :
" Quel est votre plan, Capitaines ?
- Nous devrons mener une reconnaissance dans la montagne. Évaluer leur potentiel offensif au plus près.
- Ne serait-il pas préférable de les affronter tous là-haut, capitaine MacKenzie ?
- Cela me semble risqué, commandant. Il est probable que nous puissions en éliminer un ou deux dans leur antre. Mais je crains de devoir envisager le combat aussi dans la vallée.
- Je préférerais de loin éviter de batailler dans le village, mais si les Dieux en ont décidé ainsi. J'imagine que nous devrons les attirer sur un terrain où nous aurons l'avantage.
- Exact, Commandant. J'ai aperçu un défilé au-dessus du bosquet d'Alab.
- Ce goulet s'appelle Strömfält. Il ne sera pas évident de les amener jusque là.
- Ça, nous en ferons notre affaire, Commandant. Mais nous aurons sûrement besoin de vos soldats et de vos fermiers. répondit Tully.
- Nous mettrons tout en œuvre pour vous aider, Capitaine Alderweireld. Mais je crains que les paysans ne soient plus rétifs à coopérer que mes hommes. On m'a rapporté quelques rumeurs sur la façon dont les gens vous perçoivent. Dois-je craindre une fronde, Capitaines ?
- Nous trouverons les mots pour les convaincre.
- Puisse Yuggos vous apporter la bonne parole.
- Infiniment merci. répondit Hogarth.
- Juste une question avant de prendre congé, Commandant. Avez-vous des joueurs de tambour ici ? "
Le Jarl parut surpris puis amusé. Je voyais où voulait en venir Tully, je ne pus m'empêcher de sourire.
Après l'étude plus approfondie des cercles runiques, il nous faudrait affronter la colère des habitants de Rävgård .
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