Les démons

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L'escalier s'enfonce dans les ténèbres en une spirale vertigineuse. D'en bas, montent d'étranges notes en crescendo mais qui ne possédent rien de sybillin. Des griffes, semblables à celles des chiens de mon père, courent sur les marches en pierre. J'ai mal refermé la porte de la cour derrière nous et quelque chose s'est engouffré dans le colimaçon à notre suite. Autour de moi, les géants en armes de la Garde Royale. Au milieu des soldats de mon père, ma mère, drapée de lin ivoire et de fierté altière, et Vanna. La peur dans leurs yeux. La curiosité me pousse à me pencher vers la rambarde de fer. Dans les ombres dansantes du bas de la tour, je vois une forme d'un blanc fantomatique qui grimpe inexorablement vers nous. Mon premier démon. Un garde me repousse en arrière quand la chose, à ma vue, lâche un cri. Jamais je n'ai entendu autant de haine contenue. Elle arrive sur le palier de nos appartements. Ma mère hurle. Vanna m'agrippe et m'entraîne dans sa course. Dans le doux giron de la robe de ma gouvernante, j'aperçois la bête de la taille d'un raton-laveur, une queue comme une lame battant furieusement derrière elle et une gueule bardée de crocs acérés. Elle se jette vers moi. Sur mon visage, un éclat qui a quelque chose de déplacé dans la nuit de la tour.

La luminosité incertaine de l'aube lointaine entrait dans le refuge. Venait l'heure grise où les ombres deviennent moins épaisses. Je repoussai ma peau d'ours, laissai le froid saisir mes épaules pour chasser les images rémanentes de mon rêve. Le même cauchemar me hantait depuis toujours, avais-je quelques fois l'impression. Particulièrement riche en détails cette nuit. Ainsi je compris que nous venions de pénétrer dans la sphère d'influence mentale des démons.

Je descendis jusqu'au pâturage silencieux avec les chevaux, les laissai s'ébrouer et travaillai souplesse et précision par des exercices au sabre. Quand mon esprit emergeât des brumes de Somnus, je m'aperçus que le noir tambour s'était tu. Ou bien le vent portait sa rumeur dans une autre direction. Au bout d'un moment, je sentis un regard sur moi. Le jeune Bayle, visage encore poupin et mine froissée d'un mauvais repos, se tenait là :

 " J'n'avais jamais vu des épées pareilles, m'sieur.

 - Ceci est mon daisho , mon garçon. Mon katana et mon wakizashi.

 - Comme ceux des hommes du désert ?

 - Non, au-delà des plus hautes montagnes du monde. Dans un pays qui voit chaque jour les premières lueurs du soleil.

 - Ce sont de bonnes armes ?

 - Excellentes. Forgées dans le meilleur acier qui soit.

 - Et contre les démons ?

 - Très efficaces mais même une bonne arme nécessite d'être sanctifiée avant un combat.

 - Et ça marche ?

 - Oui, très souvent. Je te sens troublé, mon garçon. Aurais-tu reçu de la visite dans ton sommeil ?

 - J'ai vu un démon. Enfin, je crois que c'en était un.

 - As-tu vu ce que tu crains le plus en rêve ?

 - Oui, m'sieur. C'était...

 - Garde ceci pour toi seulement, jeune Bayle. Vois-tu, nos peurs les plus intimes n'appartiennent qu'à nous. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu n'as rien à craindre des cauchemars. Ce que tu y vois ne peut pas te toucher, juste te faire douter. Et ce genre de visite nocturne est normal quand on approche de la cachette d'un démon.

 - Vous avez pas peur, vous ?

 - Si, mon garçon. Souvent. Mais à force d'entraînement, tu apprends à épouser la peur. Forge ton esprit pour que la peur apporte la vigilance et non l'oblitération. De la vigilance naît la sûreté. Va jusqu'à mon barda et ramène l'épée en bois que tu y trouveras. "

Pendant qu'il partait chercher mon boken, le soleil émergea d'un sommet à l'autre bout du plateau. Je compris la raison du nom de Pic Écarlate. Par quelque mystérieux phénomène géologique, il devint aussi rouge qu'un grenat. Je retrouvai le même présage que la veille dans le bourg. L'heure de la révélation approchait.

 " C'est ça qu'vous vouliez, m'sieur ?

 - Hmm, oui. " répondis-je en me retournant. Solbakken suivait le fils du maréchal-ferrant. À sa mine sombre, je devinai les tourments de sa nuit.

 " Grand jour sur vous, Capitaine MacKenzie. La lumière de Yuggos vous accompagne tôt aujourd'hui à ce que je vois.

 - Bonjour à vous aussi, Lieutenant. Que diriez-vous d'un peu de thé chaud ? Demandez à Josko de trouver du bois bien sec et préparez un feu enfoui. Surtout pas de fumée. Je finis mes exercices et je vous rejoins.

 - Bien, Capitaine. "

La perspective d'un thé chaud illumina son visage. Je savais d'expérience que partir sur la piste de démons avec le cœur chargé d'idées maussades n'est jamais une bonne idée.

Quand le jeune Bayle me tendit le sabre en bois, je lui expliquai :

 " Place-toi à côté de moi et imite mes gestes. Je vais te confier mon boken le temps de notre absence. Je veux que tu t'exerces pendant que je serai parti avec le Lieutenant et Josko. La recherche de la maîtrise est un excellent moyen pour chasser la peur. Je tiens ça de mon ancien instructeur à Gardenia. D'accord, mon garçon ?

 - Oui, m'sieur... Euh, Capitaine. "

Pendant que le guide partait ramasser du bois, j'enseignai au jeune Bayle les gardes basse et haute et les estocades latérales. De quoi l'occuper pendant les deux jours de notre absence. J'étais heureux de cet échange avec le gamin, il chassa les dernières amertumes de mon cauchemar.

Le petit-déjeuner se passa dans le silence. L'appréhension nous habitait mais le thé apporta du baume au cœur. L'épais porridge un peu moins. À la fin de ce repas frugal, Solbakken me demanda :

 " Où se cachent les démons d'habitude ?

 - Près de tout lieu qui possède une force énergétique.

 - Comme quoi ? intervint Josko.

 - Une vieille église, un tertre, un autel. N'importe quel édifice sacré en fait. J'en ai vu hanter un carrefour par exemple. Vous avez quelque chose qu'ils pourraient corrompre dans ces montagnes ? expliquai-je

 - Le seul endroit qui me vienne à l'esprit, c'est le temple des Frères Sicariens, Capitaine.

 - Qu'est-ce que c'est ?

 - Une très vieille croyance qui a disparu bien avant l'explosion de Penzance Pass. me répondit Solbakken.

 - Une secte noire ?

 - Non, rien de tout ça. Juste un ordre qui descendait des Frères Émérites. Comme le Frère Bogdan au village. Il vient directement de Gardenia à ce qu'on dit.

- C'est de là que vous v'nez vous aussi, Capitaine ? demanda Josko.

- Oui mais nous en parlerons une autre fois. Le soleil est déjà haut. "

Le jeune Bayle serrait fort mon boken quand nous partîmes sur ce qui restait de la vieille piste. Le ciel semblait calme ce matin ; j'espérais que cela durerait. Il faisait frais mais l'air sentait le printemps. Les nuages de pluie de la veille avaient laissé la place à de légères voilures.

 " Josko, où se trouve le temple sicarien ?

 - Sur l'autre rive du Lac Bleu. À une demi-journée de marche. "

Peu de mots furent prononcés pendant le voyage. Je mis ces heures à profit pour observer les montagnes.

Depuis la veille, je n'avais pas vu ni entendu d'oiseaux. Ni passereau innocent ni corbeaux de mauvais augure. Peut-être les espions des démons se cachaient-ils, peut-être n'avaient-ils pas suivi notre trace, occupés par les diversions de Tully et d'Hogarth dans la vallée. Un deuxième point attira mon attention.

Les nuages.

À Rävgård, on se rendait compte immédiatement que les démons maîtrisaient les humeurs du ciel jusqu'à la moindre turbulence de l'air. Ici et en cet instant, non. Les nuages semblaient dotés de leur propre vie. Un vent frais descendait des montagnes bordant le levant du plateau et les légers cirrus suivaient avec indolence le même rythme. Soit les démons ne s'en préoccupaient pas soit...

Solbakken et Josko me distançaient sur la sente tandis que je regardais les hauteurs. Là, je le vis. Tout juste une silhouette dans le couvert des sapins. Un homme encapuchonné de noir. L'invocateur au tambour. L'heure de rendre des comptes n'était pas encore arrivée pour lui mais elle se rapprochait. Je le perdis de vue quand je passai derrière un rocher, le long du sentier. Lorsque j'émergeai à nouveau, il avait disparu. Peu importe car je savais à présent où chercher sa tanière. Peut-être bénéficiait-il de complices au village ; aussi gardai-je le secret quand le jeune officier se tourna vers moi :

 " Est-ce que tout va bien, Capitaine ?

 - Oui, ça va. Je suis surpris par le calme qui règne ici.

 - Vous avez raison, capitaine. Est-ce à cause des démons ?

 - Ils ont sûrement chassé tout ce qui se trouvait sur le plateau. S'ils descendent jusque dans la vallée, c'est probablement qu'ils n'ont plus rien à se mettre sous la dent ici.

 - En plus de nous tourmenter ?

 - Oui, très certainement. Avez-vous observé une recrudescence dans les phénomènes observés dans la vallée ces derniers mois ?

 - Tout à fait. Comment le savez-vous, Capitaine ?

 - Par le silence qui règne dans ces montagnes, justement. À mon avis, ils étendent leur périmètre de chasse.

 - Je vois.

 - Je dois vous féliciter pour la résistance des vôtres, Lieutenant. Nombre de contrées de par le monde auraient fui dès les premières attaques. "

À midi, au sommet d'une crête, nous arrivâmes en vue du Lac Bleu. Nous nous postâmes sous le couvert de rochers, au pied d'un pin courbé. Nous en profitâmes pour manger un peu.

Il avait la couleur du ciel automnal après la pluie. Des sapins d'un vert presque noir le bordaient sur sa rive nord, à l'opposé de notre position. Josko pointa du doigt une langue de terre sur la droite de la forêt de conifères. Étincelantes dans la lumière du soleil, j'apercevais quelques colonnes d'un blanc grisé :

 " À quelle distance on se trouve ?

 - Deux bonnes heures de marche.

 - OK. À partir de maintenant, discrétion absolue. Pas de bruit, pas de discussion et on évite de se montrer. Josko, vous connaissez un passage qui nous cacherait à leur vue et qui nous rapprocherait du temple ? Un taillis ou un bouquet de rochers pour les observer, ce serait parfait. "

 - Je... je...

 - Et bien quoi, Josko ?

 - Je suis désolé, messires, mais je ne peux pas aller plus loin.

 - Putain, Josko ! Ce n'est pas le moment pour hésiter. Allons-y ! s'agaça Solbakken.

 - Je ne peux pas, j'ai... "

Je posai ma main sur le bras du jeune officier, l'entraînait un peu à l'écart :

 " Lieutenant, inutile de le brusquer.

 - Mais nous avons besoin de lui, Capitaine !

 - Plus maintenant que nous sommes en vue. Votre courage vous honore, Lieutenant, mais acceptez que la peur puisse hanter chacun d'entre nous. Il est préférable pour lui de faire demi-tour maintenant que de paniquer au plus près de leur tanière. "

Il s'écarta, fâché. Je me tournai vers Josko :

 " Montrez-nous un chemin sûr pour nous rapprocher de leur antre et vous pourrez partir. J'ai besoin d'aller au plus près. "

Il opina de la tête. Josko nous montra comment nous faufiler jusqu'aux abords du lac en restant couverts par la végétation ou le relief. Quand il eut fini, je le libérai et le laissai retrouver le jeune Bayle au refuge.

Nous descendîmes le flanc du coteau à l'abri des futaies et des imposants blocs de pierre aussi vite que nous le pouvions. En bas, nous nous retrouvâmes face à une prairie. Le temple sicarien était juste en face de nous, je distinguais de plus en plus nettement ses colonnes parmi les ombres des conifères. Contourner le pré par son bord le plus élevé allongerait considérablement notre route et risquait de nous exposer davantage à la vue des démons ; par son côté inférieur, cela nous était inconcevable car la pente était couverte d'un inextricable roncier. Quant à traverser la pâture en son milieu, nous n'aurions aucun endroit où nous cacher. Restait la solution d'attendre la nuit car le ciel dégagé n'offrait aucune couverture nuageuse.

Nous nous installâmes au pied d'un bouquet de roches polies par le temps. Ma cape groseille, dans l'ombre des blocs de pierre, se confondait avec le lichen. Je chuchotai :

 " Lieutenant, mangez un peu et reposez-vous. Mais, de grâce, évitez les gestes brusques et les bruits trop forts. Il n'y a pas d'activité pour l'instant au temple ; les démons dorment probablement dans les soubassements pendant le jour. Inutile de nous faire repérer. Si vous avez besoin de vous dégourdir les jambes, remontez derrière le bloc de pierres.

 - Capitaine ?

 - Oui ?

 - Je tiens à m'excuser pour mon attitude de tout à l'heure.

 - Oubliez ça, Lieutenant. "

Dans le silence des montagnes seulement troublé par le souffle de la brise dans les herbes sauvages, le temps nous envoûta par sa lenteur. Des vagues de doute et de peur, parfois de cauchemars éveillés dans le giron ténébreux des entités maléfiques nous assaillaient. Aussi m'offris-je un moment de méditation. Solbakken s'endormit un moment, la tête dodelinante sur sa poitrine mais il se réveilla vite. Des larmes rendaient ses yeux brillants.

Quand les ombres s'allongèrent au point de devenir rasantes, je réveillai mon corps de cette longue attente par des étirements. Avant de reprendre notre progression, je mis en garde mon compagnon :

 " Lieutenant, une fois en bas, nous ne pourrons pas faire demi-tour. Et plus nous serons près de leur antre, plus les visions seront puissantes. Vous êtes encore libre de renoncer.

 - Je viens avec vous, Capitaine.

 - Très bien. J'apprécie votre courage. Je vous dirai toutefois comme au jeune Bayle. Ce que vous verrez n'est que l'écho de vos regrets. Avérés ou non. Si vous vous sentez submergé, essayez de visualiser un endroit ou un moment qui vous apaise. N'oubliez pas que ce sont nos ennemis qui vous adressent ces souvenirs douloureux. Gardez votre colère pour le combat futur.

 - Compris, Capitaine.

 - Mettons-nous en route avant que la Lune ne se lève. "

Pendant notre descente, j'essayai de garder mon attention tournée non seulement sur notre chemin mais aussi sur les environs. Dans les ruines du temple, rien ne bougeait hormis les arbres dans le vent. Au bas de la pâture, nous atteignîmes des rochers gris disposés en pétales de rose suivis d'une haie de chênes nains. Un point d'observation parfait.

Je me calai contre l'arche de grès, je n'avais qu'à lever les yeux entre les racines du bosquet pour voir ce qui restait du temple. Rien n'avait survécu à l'œuvre de destruction des démons à part la dalle à présent corrompue, suintante de remugles noirs et les moignons de piliers.

Le crépuscule tomba lentement, les heures semblaient s'étirer dans le silence de notre cache. Aucun mouvement n'était visible dans les ruines. Peut-être se tapissaient-ils dans quelque cave ou dans les fourrés plus haut. Puis, alors que les premières étoiles apparaissaient dans le firmament, une forme bougea près des racines noires qui enserraient les colonnes. Aussi noire que la nuit, elle louvoyait non par manque de confiance mais car telle était leur nature, à ses frères et lui. Tully les appelait des rampants. Des manipulateurs plus que des guerriers, ils n'en restaient pas moins redoutables et rapides au combat. Solbakken se tassa sur lui-même, la main crispée sur la garde son épée. Mes yeux couraient sur chaque ombre, chaque mouvement, chaque cache éventuelle. Il me semblait, comme à chaque fois dans ce genre de situation, ressentir le monde dans son intégralité. Mais je savais, avec humour, que Delaney aurait tout de même trouvé à redire.

La Lune se leva sur notre droite. Narquoise hier soir, son éclat possédait ce soir quelque chose de faux, de comploteur. Nous n'attendîmes pas longtemps avant de voir d'autres formes émerger des profondeurs. Cinq comme nous nous y attendions. Puis... une sixième suivie d'une septième. Solbakken s'agita, je lui intimai d'un geste de rester tranquille. Quand l'une d'elles lâcha un coassement déplaisant à la gueule des étoiles, je crus que nous étions repérés. Pendant un instant, je la vis renifler l'air mais nous avions le vent avec nous. Dans la lumière blafarde de l'astre sélène, j'en comptai à présent huit. Noires comme le goudron, des corps musculeux nourris par la haine, leurs queues claquaient comme des fouets, elles jappaient tels des chiots dans leurs joutes infernales. Ces sons pénétraient les âmes et les cœurs.

Les démons menèrent leur sarabande un moment entre les piliers puis cinq d'entre eux s'élancèrent dans la nuit. Leurs petits cris aigus nous écorchèrent les oreilles longtemps après les avoir perdus de vue. Ils étaient partis en chasse, les autres gardaient leur tanière.

La pestilence nous submergea quand l'un d'eux passa près de nous, de l'autre côté de la haie. Il fila sans nous remarquer mais son odeur fétide plana un moment avec nous.

Funeste, la nuit étendit sa tenture bleue. La douceur de la journée s'était déjà évanouie. Les étoiles nous contemplaient d'un œil froid et lointain. Notre sort ne les intéressait pas. La solitude m'étreignait le cœur et avec elle, une multitude d'émotions hantèrent ma nuit. La lettre de Rachel dans la poche de ma cape pesait sur ma conscience. La peur, la colère, les regrets m'assaillirent avec des voix que je n'avais pas entendues depuis longtemps. Le dédain de mon père après la mort de ma mère, les soufflantes de Delaney lors d'une leçon mal retenue, l'agonie sur le visage d'Akemi après l'attaque de son village, les larmes du père de Samuel quand nous revînmes avec sa dépouille, la tristesse de Rachel à mon départ. Pendant des heures, cette litanie noire m'encercla, me griffa, me harcela. Solbakken s'agitait sur sa pierre. Je lui touchai l'épaule pour le rassurer. Le conaxt de mes doigts avec le tissu épais de sa tunique me raccrocha au monde du tangible et non à celui des fantômes.

La Lune s'éleva puis entama sa descente. Interminables et pénibles furent les heures avant l'aube. Les démons, eux, ne remarquèrent pas notre présence, trop occupés à se chamailler.

Le bleu de la nuit devint outremer puis saphir. Trois des démons partis en chasse revinrent, des proies encore vivantes dans la gueule. Les cris de souffrances de leur gibier semblaient les nourrir autant que la chair. Ils se jetèrent sans retenue sur le premier cabri ramené. Ses bêlements furent répugnants, presque enfantins. Solbakken devint pâle comme un mort :

 " Tenez bon, Lieutenant. Tout ira mieux à l'aube. " lui murmurai-je.

À cet instant précis, une forme glissa dans notre talus. Le dernier démon en chasse. Il tenait un lapin entre ses dents. Il ne me vit pas, son attention entière concentrée sur Solbakken. Toute la laideur du monde animait ses traits. Il lâcha le lièvre qu'il tenait. Un brouillon noir de sourire mesquin lui barra la gueule. Le Lieutenant se ratatina contre le talus, la bête allait bondir. Elle se ramassa sur elle-même à la manière d'un chat prêt à bondir. Je dégainai mon wakizashi. " J'étais le prédateur silencieux, le tueur d'engeances du Malin. Par ma main, la Mort frappait. Sans hésitation, sans honte ni regrets." Autrefois, l'un des mantras de Delaney ; aujourd'hui le mien.

D'un petit bruit de bouche, j'attirai son attention. Il pivota vers moi. Avant même qu'il puisse réagir, je lui tranchai la gorge de ma lame. Le coup fut si violent que je le décapitai. Sa tête roula dans le fossé jusqu'aux pieds de Solbakken. La bouche du jeune officier formait un grand O muet.

Mon premier réflexe fut de me tourner vers les ruines du temple. Les autres démons n'avaient rien remarqué.

Il me restait toutefois un acte à accomplir. Une cérémonie de purification que je mènerai avec Tully et Hogarth à notre retour à Rävgård, destinée à entériner la mort de mon adversaire, à attirer l'attention des autres démons et à attiser leur fureur. Car au-delà de cette colère, naîtrait la peur.

J'attrapai deux linges de Jéru dans les profondeurs de mon manteau, enveloppai dans le premier la tête tranchée. Puis, de la pointe de mon wakizashi, j'ouvris la poitrine du démon et sectionnai les artères autour du cœur. Au contact de l'acier, la chair viciée grésilla et une odeur sauvage et fétide remonta jusqu'à nos narines.

 " Ne regardez pas, Lieutenant. " chuchotai-je.

Gantée du tissu blanc de Jéru, ma main extirpa l'organe chaud et palpitant. La nausée m'envahit. Ici se concentraient toute sa haine et sa violence. Les comparses du démon ressentirent sûrement quelque chose car ils se mirent à japper, à hurler de plus belle. Mais ils ne quittèrent pas la place de leur tanière.

Le bleu du lac virait au royal à l'approche du jour. Il était temps pour nous de partir mais je jugeai plus prudent d'attendre que le Soleil soit levé, que les démons soient retournés dans leur tanière.

À notre retour à Rävgård, le feu brillerait d'une lueur de vengeance quand nous y consumerions ce cœur maudit.

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