La besace - Semaine 6
Sa besace à son côté semblait lourde, presque encombrante. Pourtant, elle ne contenait que... Que contenait-elle, déjà ? Il ne savait plus. Pourtant, il se souvenait très bien avoir pris quelque chose, quelque chose de léger, un petit paquet sûrement, et l'avoir mis à l'intérieur. Ça lui paraissait si loin. Quand était-ce ? Hier ? Ce matin ? Le mois dernier ? Le temps avait échappé à son contrôle, et les horloges se jouaient de lui. Une année était pour lui une minute, et une heure une semaine. Le temps n'était plus linéaire, mais formait des boucles, des virages, et des retours en arrière, comme un prétendu chemin dans un labyrinthe. Seul l'espace demeurait clair à ses yeux. Il marchait dans une immense plaine, bordée d'un côté par un fleuve rendu éblouissant par le soleil, de l'autre par une chaîne montagneuse déchiquetée. Il connaissait cet endroit, il était certain d'y être déjà venu. En revanche, comment et pourquoi aujourd'hui il y était allé, il l'ignorait.
Il avançait donc sur un sol inégal, caillouteux et aride, cheminant entre des plantes faméliques et des squelettes d'arbres calcinés par le Zenith comme après un incendie. Le ciel exempt de nuages était presque rendu blanc par l’astre brillant. Aucun oiseau ne chantait et un silence pesant régnait en maître, démultipliant chaque son. Aux battements de son cœur se rajoutait le tapotement régulier de sa besace contre sa hanche et cela créait à ses oreilles un tintamarre pareil à une dizaine de tam-tam. Parfois il se passait la main dans les cheveux et la ressortait poisseuse de sueur. Celle-ci lui brouillait la vue et troublait l’horizon comme s’il le regardait à travers de la fumée. Sa respiration était saccadée, il haletait, croulait sous la chaleur. Mais il continuait à marcher inlassablement.
Souvent il voulut s’arrêter et regarder ce que contenait sa besace. Qu’avait-il mis dedans ? Et pourquoi était-il ici ? Il avait l’intime conviction qu’il trouverait des réponses à l’intérieur. Pourtant, alors qu’il tendait des mains avides pour l’ouvrir, ses jambes refusaient de se stopper et continuaient à le porter, comme s’il en eut perdu le contrôle. Alors il comprenait qu’il ne devait pas, laissait retomber ses bras et les laissait ballant. Et il marchait, il marchait, encore et toujours.
Il connaissait ce lieu pour y être déjà allé. Mais il ne savait pas où et ce que c'était. Ses pieds suivaient un chemin invisible et pourtant bien présent, et il cheminait habilement. Il continua des heures durant, sans que le paysage ne se modifie, avec pour seul changement la course de l’astre dans le ciel et l’agrandissement des ombres. Il avait toujours à sa gauche le fleuve, qui se parait maintenant de pourpr, et à sa droite le même chaos rocheux, pics effilés, blocs erratiques et aêtes tranchantes. Alors que le firmament délaissait sa robe flamboyante pour arborer ses tissus nocturnes aux mille bijoux étincelants, il changea de direction. Il se dirigea vers l’ouest, comme pour rattraper le soleil, et il avait à présent les montagnes couronnées d’or devant lui. Et il marchait, déterminé à atteindre un but inconnu.
Il quitta le terrain plat pour monter sur un chemin escarpé bordé de précipices. La température avait chuté depuis le crépuscule, mais il suait toujours dans l’effort. Par deux fois il faillit tomber dans le ravin lorsqu’une pierre roula sous ses pieds. Il se rattrapait de justesse et voyait le caillou se précipiter dans le vide, ricochant sur les parois pour finalement toucher le sol et se fragmenter sous le choc. Il frémit en imaginant ce que serait devenu son corps après une pareille chute. Il se serait sûrement disloqué et fondu dans le décor à l’atterrissage, servant de prochain repas aux charognards, si tant est qu’il y en ait eu. Peut-être n’aurait-il même pas poussé un cri. Cependant, il marchait, bravant la mort et le danger.
Bientôt la pente diminua : il était arrivé sur la cime des crêtes, tutoyant les étoiles. Il se tenait sur un plateau rocheux illuminé par la lune et dominait la plaine entière. Il était entouré par le vide et cerné par la roche. Devant lui une falaise, derrière lui le chemin par lequel il était venu. Au centre de ce plateau se trouvait une sorte d’autel de pierre sur lequel était posé une urne. À côté de celle-ci, un marbre sur lequel était gravé un nom : Erina. Tout d’un coup, il se mit à pleurer. Il savait pourquoi il était ici, quel était son but et ce qu’il transportait. Tout lui était revenu. Et il marcha jusqu’au bord du plateau.
Là, il ouvrit enfin sa besace. Il en sortit une boîte en bois finement sculptée. Il la contempla dans un rayon de lune. Elle luisait d’un éclat surnaturel et semblait lui parler. Enfin, il la porta à sa bouche, la baisa tendrement et l’ouvrit à son tour. Dedans se trouvait une fine poussière grise. Des cendres. Une larme tomba dedans, laissant une auréole sombre. Il la brandit au-dessus de sa tête. Comme en réponse à ce geste, le vent se leva. Il resta quelques temps ainsi. Puis, soupirant, il jeta les cendres au-delà de la falaise, les laissant se faire emporter par la brise. Elles tourbillonnèrent, semblant lui dire au revoir, puis disparurent. Le visage baigné par la lune et par ses larmes, il murmura « Adieu, papa ! ». Puis il marcha, posa la boîte sur l’autel et s’en alla comme il était venu.
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