Meurtre au clair de lune
La voiture aux sirènes hurlantes malgré l’heure tardive s’engage précipitamment dans le petit chemin longeant de vastes friches industrielles. Les faisceaux bleus éclairaient alternativement les deux côtés de la route, les baignant dans une lumière bleutée angoissante, presque irréelle. Le capitaine Léo « Patte de lion, cervelle de moineau » Braconnier la conduisait à une main, tenant de l’autre une cigarette fumée jusqu’au filtre, mais qu’il ne voulait résolument pas jeter. « ‘tain, avec leurs foutus paquets à dix briques, ils veulent me tuer » disait-il en grognant pour justifier soit sa pingrerie, soit son addiction complète, ou les deux. Il noyait sa mauvaise humeur fatiguée dans la fumée et dans la musique dissonante qui déferlait des haut-parleurs. Quel connard avait idée de tuer à une heure pareille ? Il pouvait penser aux flics, quand même, on voyait bien que ce n’était pas lui qui devait à cette heure. Une heure du matin passée… Celui-là, il le coffrerait, et pour de bon !
Il arriva devant un entrepôt délabré entièrement tagué. Une grande dalle en béton servait de parking, et c’était justement là qu’étaient garées trois autres voitures, plus une ambulance. La scène était éclairée par tous les gyrophares, ce qui donnait aux médecins en blouse blanche un aspect extraterrestre. D’ailleurs, que faisaient-ils tous, à ne rien faire ? Ils avaient un corps à examiner, pourtant. Il se fit soulever la rubalise inutile du fait de l’isolement et de la nuit. C’était un homme trapu au visage tout rond qui l’accueillit.
« Ah, Patte de Lion, on vous attendait pas si tôt !
- Oui, demande pourquoi à ta femme. Qu’est-ce qu’ils foutent, ces guignols ? Ils sont pas en train de tâter du macchabée ? C’est leur boulot, pourtant !
- C’est que…
- Bah, t’embêtes pas, Michou, je leur demanderai moi-même, à nos nécrophiles en blouse. Alors, il est où le mort ?
- Ben, il n’y en a pas, capitaine. Rien, zéro, nada, pas de corps !
- Comment ? On m’a appelé pour un meurtre, pourtant ! N’allez pas me faire croire que c’est un cambriolage, il n’y a rien, ici, que des clodos ! C’est quoi, cette affaire ?
- Il y a bien un mort, mais le problème, c’est qu’on ne sait pas où il, ou elle, est !
- Il s’est pas envolé quand même ! Dites-moi, Michel, auriez-vous bu ou c’est une caméra cachée ?
- Ah ça, j’aimerais bien, capitaine… Mais on n’est pas plus avancés que vous…
- Mais bordel, qu’est ce qui se passe ? Si vous m’avez appelé pour vous foutre de moi, vous avez eu la pire des idées, Michel !
- Je suis on ne plus sérieux, capitaine ! Je vais vous expliquer. »
Il le conduisit au milieu des policiers et des médecins qui s’affairaient au téléphone, à prendre des photos et à essayer de comprendre. Ils arrivèrent à une zone éclairée par des projecteurs près de l’entrepôt, à une dizaine de mètres de l’entrée. Quatre personnes prenaient des photos et plaçaient des petits panneaux numérotés. Léo ne vit pas tout de suite ce qu’ils observaient. Pas de cadavre poignardé, pas de bras coupé, pas de pistolet encore fumant. Non, rien. Juste cette flaque d’eau, assez grande d’ailleurs. C’était étrange, il n’avait pas plu depuis plusieurs jours. Il s’approcha du liquide et sursauta brusquement, lâchant sa cigarette. Elle tomba à terre et brilla quelques secondes avant d’être soufflée.
« Bordel de Dieu… Qu’est ce que c’est que ça ?
- Du sang, capitaine.
- Je le vois bien, ça ! Mais qu’est ce qui s’est passé ?
- On aimerait le savoir, ça. C’est un mec qui a trouvé ça en voulant se griller un joint, précisa-t-il en pointant du doigt un homme d’une cinquantaine d’année en sweat.
- On parle de meurtre, mais on est certain que c’est pas un chien ou quelque chose comme ça ?
- Non, au vu de la quantité, c’est improbable. Les médecins affirment que c’est du sang humain.
- Bon dieu, il a été vidé complètement… Il n’a pas pu être attaqué par une bête ou autre ?
- On ne pense pas. Aucun animal ferait une blessure assez importante pour laisser couler autan de sang, et on aurait plutôt retrouvé un cadavre déchiqueté.
- Alors, le mec qui a fait ça est complètement taré. Non content de le vider de son sang, il emporte le corps avec lui.
- C’est là que c’est étrange, capitaine.
- Comment ça ?
- Si quelqu’un avait trainé ou porté le cadavre, on aurait retrouvé des traces sanglantes sur le sol. On a fouillé toute les alentours, rien, pas la moindre giclée, ni même une trace de pas. Pas non plus de passage de véhicule… On baigne dans le mystère le plus complet.
- Peut-être qu’il est retourné vider tout le sang après avoir commis le meurtre autre part…
- Ah, on n’y a pas pensé. Mais à vue de nez, je dirais que si on verse quelque chose, ça ne fait pas quelque chose de lisse comme ça, ça ferait plutôt des éclaboussures. Et puis, faut vraiment être dingue…
- Tu l’as dit, bouffi… »
Le capitaine investigua encore une heure avec ses coéquipiers, fouillant le bâtiment, inspectant les traces de sang, interrogeant le témoin… Rien ne fit apparaître d’autres éléments ou indice. Bientôt une équipe scientifique arriva et on procéda à des analyses du sang. Il s’agissait bien du sang de la même personne. Mais, fait étrange, un autre composant y était mêlé. On ne put le reconnaître, mais sa composition semblait proche de la salive du chien. Le lendemain, les journalistes affluèrent, les flashs crépitèrent et l’histoire fit la une de tous les journaux. Longtemps on en parla, on tenta de l’élucider, on fit de nouvelles analyses, mais aucune explication ne put être apportée. On ne sut jamais ce qui s’était passé dans cette friche, et le crime fut connu sous le nom de « La flaque du sang fantôme ».
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