3 : La dernière volonté
Quelques secondes plus tard, dans la pièce voisine, tandis que mon père énonce un certain nombre de recommandations, Bonne Ma’ me transmet par voie intraveineuse une ration énergétique pour les prochaines soixante-douze heures. Elle me tend une combinaison connectée que j'enfile. Elle est de couleur écru. Dans ses fibres se trouvent un traceur intégré permettant de me géocaliser et une fonction caméléon dont le tissu change de couleur selon l’environnement. Enfin, je reçois de mon père un sac à dos d’appoint.
Mes parents étaient donc résolus à m’envoyer dans la Zone Fossile mais pas sans précaution. Je m’interrogeai sur ce que ce vieux fossile avait pu leur dire pour faire plier leur volonté. Aucun parent conscient n’accepterait de confier son enfant à un étranger pour aller en perdition.
Je posai une question dont la réponse m’effrayait d’avantage :
— Est-ce que je vais vieillir comme Grand Pa’, pendant ces trois jours ?
— Il faut passer beaucoup de temps en dehors de la cité pour que tes cellules commencent à se détériorer, répondit mon père.
Je pensais que quelques heures suffisaient. Après tout, c’est ce qu’on nous racontait pour nous effrayer et cela avait le mérite de fonctionner !
— Beaucoup comment ?
— Beaucoup comme trois ou six mois, je dirais, précise-t-il.
Il y avait donc de la marge.
Revenue dans la pièce principale, le Fossile me tend une main toute ridée et marquée de tâches brunes. Je suis surprise de trouver ce contact chaud et doux. Nous quittons le foyer, suivi de près par mes parents.
Main dans la main, le vieil homme et moi traversons le quartier résidentiel à la hâte. Il y a environ cent habitations similaires à cet étage de la cité ainsi que de multiples mediajardins. Il n’y a pas de vent pourtant les branches des méca-arbres se balancent et j’aime toujours entendre le bourdonnement des méca-abeilles qui butinent les fleurs artificielles.
Quelques voisins nous voient passer et dévisagent mon grand-père, s’interrogeant certainement sur son aspect visuel. Ils doivent comprendre par sa gestuelle qu’il s’agit d’un vrai vieux et affichent une mine choquée. Les vrais vieux ne viennent que d’un seul endroit, c’est-à-dire, hors de la cité. Par crainte du danger, on évitait soigneusement de la quitter et on craignait que des fossiles viennent la contaminer. Heureusement, il n’y avait pas de malveillance. Les Fossiles et les gens de la cité restaient généralement dans leur zone respective.
Nous arrivons devant l’Elévatium, un gigantesque ascenseur circulaire aux parois transparentes qui corrèlent tous les niveaux de la cité. Grand Pa’ a l’air de bien connaître les lieux. Il pianote sur la console centrale et la cage descend vers les souterrains, où travaillent les technos et les cyber-machinistes. Nous quittons l’ascenseur et longeons un corridor bordé de portes. Tout au bout se trouve un espace nommé « Porte Est » gardé par des guetteurs en faction. Je m’attends à tous instants à ce que les gardiens arrêtent le Fossile mais ils se contentent de noter qu’il va sortir de la cité en ma compagnie.
Une porte-tambour constitue la Porte-Est ; un des quatre accès extérieurs de la cité.
— Bon Pa’ ? Bonne Ma’ ?
— Nous te retrouverons dans 3 jours, annonce mon père confiant. Suis bien les indications de ton Grand Pa’ et tout ira bien.
— Il n’est pas trop tard, on peut encore faire demi-tour.
J’insistais mais la décision des adultes était prise.
— N’aie pas peur, ma Nana, me console Bonne Ma’ en m’étreignant doucement. Si nous n’avions pas confiance en ton Grand Pa’, jamais nous n’aurions accepté sa dernière volonté.
Ainsi, tout s’expliquait.
Toutes dérobades étaient donc vaines.
Personne ne pouvait refuser à un mourant sa dernière volonté. Or, cette pratique était devenue désuète puisque dans notre société, les gens ne mouraient plus.
La perspective de passer trois jours en compagnie d’un vieux fossile déclinant me fit froid dans le dos. S’il venait à expirer pendant la balade, si je me retrouvais coincée dans la Zone Fossile, parviendrais-je à rentrer ?
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