7 : Les deux cannes
La nouvelle du retour de Grand’Pa se répand vite au sein de la communauté. Deux autres fossiles efflanqués rejoignent la femme difforme. J’identifie un garçon d’une dizaine d’années et un homme entre deux âges. Je comprends à leurs réactions que la séparation ne date pas d’hier et qu’il ne va pas être aisé de les comprendre, ils parlent un autre langage. Heureusement, Grand’Pa se propose de traduire.
— V’là tète à me, Uhna, dit-il avec fierté.
Des présentations ont lieu : la difforme s’appelle Aube car elle est née aux premières lueurs du jour. Elle caresse son ventre qui est énorme. On dirait qu’il est prêt à éclater. Est-ce qu’elle a mangé quelque chose qui est mal passé ? Subit des radiations ? Je me sens gênée pour elle et je m’abstiens de tout commentaire. Le petit a pour nom Poucet, on me dit en rigolant qu’il ne grandira plus beaucoup. Sa dentition est dans un sale état, ce qui me dégoute. Il me regarde sous toutes les coutures et me bombarde de questions sans queue ni tête. Le quarantenaire à l'aspect défraîchi me fait un signe de la tête en guise de salutation et m’annonce qu’il s’appelle Alhassan.
Tout notre petit monde se dirige avec entrain vers le grand chalet. C’est le cœur du hameau : le lieu où ils dorment, préparent et consomment les repas, reçoivent des leçons d’instruction, se réunissent en toute occasion. En pénétrant dans la pièce principale, arrangée de bric et de broc, je sens un parfum d’herbes aromatiques. Je découvre une cuisine ouverte sur un salon pourvu d’une grande table en bois rectangulaire. Des tabourets sont rangés en dessous. Une vieille dame courbée aux cheveux d’argent remue le contenu d’une marmite avec une spatule. Elle chantonne. La douceur de son visage me rassure immédiatement.
— Bienvenue au hameau Les deux cannes, ma petite Uhna. Je suis Mamouna.
Son élocution parfaite me surprend. J’apprendrai lors d’une prochaine rencontre que cette dame a vu le jour dans une cité similaire à la mienne.
Je salue la fossile et m’empresse de la remercier pour son accueil. Elle me fait signe d’approcher et me demande de humer la préparation qui mijote.
— C’est en ton honneur que nous avons préparé cette soupe de légumes, explique-t-elle.
Je me penche pour mieux voir à quoi ressemble ce plat. Mis à part les senteurs aromatiques, je ne sais pas distinguer les différents ingrédients.
— En voilà une belle idée, dit Grand’Pa. Pomme de terre, courge et girolles. Mais, je ne pense pas que son système digestif l’appréciera, Mamouna.
— Cela en fera plus pour nous, ajoute-t-elle en lui adressant un clin d’œil.
Les deux vieux s’observent puis se font une accolade chaleureuse. Ils s’informent l’un et l’autre des nouvelles. Grand’Pa fait remarquer que ses cheveux sont plus courts que la dernière fois. Mamouna évoque un sacrifice nécessaire.
Un garçon que je n’avais pas remarqué descend un escalier pour venir à la rencontre de Grand’Pa. Il a un air bêta et il sourit tout le temps, c’est pourquoi tous l’appellent affectueusement Sourire.
— Où est notre ado rebelle ? et notre petite flèche ? s’enquiert Grand’Pa.
— Elaïs est partie chasser, elle ne devrait plus tarder, répond la fossile. Quand à la flèche… Sourire, te remplace me.
Mamouna prend un air grave, nous fait signe de la suivre et sort du chalet. Elle contourne un potager et s’arrête devant un monticule de terre fraîchement retournée. Des fleurs blanches et violettes sont disposées en cercle. Elles forment un symbole de paix universel.
— Un germe pathogène s’est répandu il y a quelques semaines et a fait de grands ravages dans le secteur. Quand Ceux-du-Ciel sont venus, j’ai troqué une tresse de mes cheveux contre un de leur puissant remède. Mais, l’organisme de la petite flèche était trop faible.
Les traits du visage de Grand’Pa se crispent. Une larme puis une seconde et encore une autre se met à ruisseler sur ses joues. Il pleure. Mamouna étreint son bras en signe de soutien.
— Tu dois te poser des questions, petite, me dit-elle.
— Oui. Je ne comprends pas ce que je vois.
— C’est la sépulture de l’un des nôtres. La Flèche, c’était un petit gars qui filait aussi vite que le vent. Il n’aura pas eu dix printemps. Ce monde est cruel pour les hommes libres.
Le mot « sépulture » me donne des frissons. Je chasse vite une image qui tente de s’imposer à moi : celle d’un cadavre en putréfaction et je songe aux derniers mots de Mamouna. Les fossiles croient fondamentalement qu’ils sont libres par rapport à nous autres qui sommes connectés. Or, ils s’exposent à la corruption du temps qui passe, à la férocité de la nature, au climat imprévisible, aux virus et à bien d’autres dangers. Je ne peux pas concevoir qu’on puisse naître dans une cité et choisir délibérément de quitter ce mode de vie pour celui-ci. Qu’y-a-t-il de plus important que la vie en sûreté ?
Le mot « sépulture » me donne des frissons. Je chasse vite une image qui tente de s’imposer à moi : celle d’un cadavre en putréfaction et je songe aux derniers mots de Mamouna. Les fossiles croient fondamentalement qu’ils sont libres par rapport à nous autres qui sommes connectés. Or, ils s’exposent à la corruption du temps qui passe, à la férocité de la nature, au climat imprévisible, aux virus et à bien d’autres dangers. Je ne peux pas concevoir qu’on puisse naître dans une cité et choisir délibérément de quitter ce mode de vie pour celui-ci. Qu’y-a-t-il de plus important que la vie en sûreté ?
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