Chapitre 11 : Le plateau des Vénérables
L’air s’est considérablement réduit et la température a baissé d’au moins dix degrés. Mon corps grelotte et ma respiration fait des petits nuages de vapeur d’eau. Je suis impressionnée par le souffle olympien du fossile. Son organisme a peut-être subi une évolution pour supporter ce changement.
J’inspire une profonde bouffée d’oxygène et saisis la main ridée qui m’est tendue. Nous continuons notre ascension. Tous les dix pas, j’ai besoin de m’arrêter pour respirer. Je ne sais pas où Grand’Pa m’emmène. J’espère que ça n’empirera pas.
Nous marchons encore quelques minutes. Et là, j’ai le souffle coupé ! Non pas par le manque d’oxygène mais par la beauté surnaturelle de ce nouveau lieu. Je contemple des lignes d’arbres à perte de vue. Pas n’importe quels arbres… Ils sont gigantesques, s’élèvent à au moins soixante mètres du sol, sont de couleur clair et ont de très rares branchages. Les principaux rameaux se situent en hauteur et forment une cime végétale de couleur vert sauge.
— Voici le plateau des Vénérables. Respire un peu cet air pur, Uhna !
Je m’aperçois que cette action n’est plus aussi laborieuse. Comment est-ce possible ?
Nous entrons dans cette étrange forêt où les rayons du soleil peinent à filtrer à travers les branchages, créant une atmosphère singulière. Un silence végétal nous accueille. Tandis que je m’approche d’un de ces géants, je crois entendre un battement sourd. J’ai l’idée, irrationnelle, de mettre mon oreille contre l’écorce pour écouter. D’abord, le silence m'accueille. Puis au moment où je vais rompre le contact « Papoum………Papoum » Est-ce que je rêve ?
— Tu l’entends ? demande Grand’Pa. C’est le battement du cœur de la forêt.
Pour vérifier ses dires, je réitère l’expérience.
L’arbre est-il en vie ? A-t-il une conscience ? Sait-il que je suis en train de l’écouter ?
Je l’entoure de mes bras pour être dans une position confortable et soudain, ce n’est pas une pulsation que j’entends mais l’écho végétal de mon prénom. Uhna…na….na…na….
— Uhna ? s’inquiète Grand’Pa et brise la magie de l’instant. Continuons un peu si tu veux bien, je vais te présenter aux vénérables qui demeurent dans cette forêt.
— Mais je pensais que c’étaient eux, les Vénérables.
— Ils sont grands et superbes, ce sont les gardiens des Vénérables.
Nous nous enfonçons un peu plus dans le cœur de la forêt. Je m’émerveille de la sérénité du lieu. La cime se balance au rythme du vent, des feuilles se décrochent des rameaux et virevoltent jusqu’à recouvrir le sol en un tapis soyeux. Il n’y a pas un tronc de travers, pas un qui soit ceinturé de mousse ou de liane. Je me demande qui les a plantés dans cette symétrie parfaite. Est-ce la Mère ? Et d’ailleurs, à quoi peut bien ressembler cette Mère ?
Au fur et à mesure de notre progression, les arbres se raréfient et laissent bientôt la place à une étendue fleurie. En son centre se trouve un curieux bosquet d’arbres fins dont l’ensemble dessine la silhouette d’un arbre.
— Les voilà, dit Grand’Pa en les désignant et en indiquant une allée qui conduit vers l’intérieur du bosquet. Allons-y !
Nous empruntons ce chemin et le suivons jusqu’à son cœur où un rondin fait office de banc.
— Installons-nous !
Nous nous asseyons. Je m’attends à ce que quelque chose se produise quand soudain, Grand’Pa se met à raconter :
— C’est ici et en même temps, à des milliers de kilomètres de ce lieu, que ma vie de fossile a pris un tournant inattendu. J’explorais les terres du Sud quand une tribu d’autochtones m’a capturé. Ils me rendraient ma liberté si je consentais à les débarrasser de leur Grande Frayeur.
Je m’apprête à lui demander ce que c’est lorsqu’il précise :
— C’était une gigantesque panthère noire !
— Un gardien de la Mère ?
— Exactement. Mais à ce moment-là, j’ignorais totalement l’existence de la Mère.
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