CHAPITRE 4

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CHAPITRE 4

Le jour du départ qui n’était pas le même pour les trente, selon la distance à parcourir et selon qu'ils étaient à pied, à cheval ou à chaise à porteurs pour aller jusqu’au château, tous préparèrent leurs bagages et saluèrent ceux qui les avaient soutenus, encouragés et supportés. Avant de prendre la route à pied pour le château, Blanche-Prudence prépara elle aussi son ballot de lin. Elle y rangea des petits récipients de terre, un pilon de bois d'orme, une râpe en acier, deux pots de miel de fleurs, un gingembre entier, une dizaine de gousses d'ail, une botte de radis, trois oignons et quatre beaux citrons. Ses paquets terminés, elle mit ses plus beaux sabots, noua les rubans de son fichu sur ses boucles dorées, embrassa longuement ses parents, puis ses petits frères et sœurs au nombre de sept.

Blanche-Prudence eut deux jours de marche pour rejoindre le château au jour dit. Étonnamment, malgré le long chemin, son visage était aussi frais qu'il l’était à son départ.

Le premier jour.

À l'heure du rendez-vous fixé par le Roi et la Reine, les trente se regroupèrent devant la porte des hauts remparts et firent connaissance. Reconnaissable par la confection et le tissu de son vêtement, chacun pouvait deviner le métier de l'autre, sa fonction ou son statut. Les uns se saluèrent avec courtoisie et à distance, quand les autres se donnèrent de franches poignées de main ou des tapes amicales sur l'épaule. Étant la plus jeune des femmes, Blanche-Prudence reçut des hochements de tête de la part des hommes et des étreintes de la part des dames. Ainsi, tel qu’institué de gouvernance en gouvernance par les souverains qui s'étaient succédé au Pays de Providence, les différences sociales au sein de la population étaient fort peu visibles parmi les habitants. Dès lors, à peine arrivés, les trente formèrent un groupe hétérogène, mais harmonieux dans leurs échanges spontanés et joyeux.

Depuis une fenêtre donnant sur les remparts, le Roi et la Reine les regardaient en souriant. Ils étaient fort satisfaits de les voir dialoguer de la sorte et pensèrent que cela augurait d'un heureux futur mariage. Ils s'en félicitèrent, puis donnèrent l'autorisation aux gardes d'ouvrir la porte. Guidés de domestiques, les trente convives franchirent d'abord les magnifiques jardins. Bien que silencieux, par usage et bonne conduite, tous s’émerveillaient des somptueux parterres de fleurs composés par couleurs et variétés, et admiraient les incroyables sculptures de buis et l’alignement parfait des haies taillées au cordeau. Blanche-Prudence qui s'était positionnée la dernière, suivait le groupe en humant au passage les massifs généreux. Après avoir traversé l'immense parc, les trente furent invités à entrer dans le hall principal richement orné et décoré. Et une fois encore, ils s'extasièrent en silence en découvrant les peintures de maître accrochées en enfilade sur les tentures de velours bleu, les dorures sur les murs, les meubles imposants, mais délicatement ouvragés, les statues gigantesques et les fresques éblouissantes qui décoraient le plafond.

Toujours en arrière du groupe, Blanche-Prudence n'était pas très intéressée par le faste de la pièce. La tête tournée en direction du jardin, elle préférait remplir ses yeux du spectacle de cette nature généreuse et variée.

Mais alors que les trente s’émerveillaient, les souverains accompagnés du Prince Philibert-Armand et de Berthe-Conteuse arrivèrent par un monumental escalier au centre de la pièce. Les marches descendues, le Roi et la Reine s’avancèrent jusqu’à leurs invités avec de grands sourires. Après avoir salué chacun chaleureusement, ils leur firent part de leur grande joie de les voir et de les recevoir. Puis, ce fut au tour des futurs mariés de se présenter à leurs hôtes. Sans envie, mais par obligation et politesse, le Prince Philibert-Armand s'avança vers le groupe en toussotant derrière son poing. Il les salua succinctement et céda rapidement la place à Berthe-Conteuse qui à l'inverse, se lança dans un long discours et s'autorisa même à leur serrer la main. Heureux de cette proximité, tous gratifièrent la Princesse de courbettes plus ou moins réussies. Tous sauf une. Une qui, tellement absorbée par la beauté du parc et des jardins, n'avait pas vu Berthe-Conteuse se poster devant elle. Un raclement de gorge de la Princesse fit sursauter la jeune fille qui se retourna, les joues rouges de confusion. La scène attira l'œil du Prince maussade et souffreteux. Bien que distant d'une trentaine de pieds, il regarda cette petite paysanne dont le visage l'apaisa immédiatement.

— N'est-elle pas merveilleuse notre Berthe-Conteuse ? jubilait la Reine en s'adressant à son fils.

— N'est-elle pas la plus exquise ? exultait le Roi en interpellant son garçon.

Ne partageant pas les louanges de ses parents pour Berthe-Conteuse, le Prince ne pouvait détacher ses yeux de cette demoiselle aux boucles claires, qui dès qu'elle le pouvait, tordait son joli cou pour regarder au-dehors. Revenue se placer devant, Berthe-Conteuse s'aperçut que le Prince fixait la petite paysanne. Il semblait comme captivé et cela déplut fortement à la Princesse qui plissa le nez et fronça les sourcils, puis songea que cette jeune demoiselle serait à surveiller de très près. En attendant, pour détourner l’attention du Prince et recevoir de nouveaux éloges, elle fit une proposition aux souverains.

— Et si nous agrémentions les journées de nos invités, de jeux, de lectures, de musiques, de danses et de spectacles ? suggéra-t-elle à haute voix.

— Mais quelle bonne idée ! s'enthousiasma le Roi.

— Une excellente idée, en effet ! renchérit la Reine.

— Ma Chère, seriez-vous d’accord d’organiser cela pour nos hôtes ? demanda le Roi.

— Assurément ! claironna Berthe-Conteuse en baissant respectueusement la tête. Vous m'en voyez ravie ;

Puis, regardant le Prince du coin de l’œil, elle s’adressa aux Trente :

— Et vous mesdames et messieurs, cela vous plaît-il ?

Tous affichèrent des mines réjouies, tandis que les souverains félicitaient la Princesse pour son dévouement et son admirable investissement. À la suite, après avoir expliqué que les domestiques accompagneraient les trente au deuxième étage du château et indiqueraient sa chambre à chacun, puis qu'ils se retrouveraient plus tard pour déjeuner ensemble, la famille Royale remonta les escaliers. À mi-marche, alors que Philibert-Armand pivota pour poser un dernier regard sur l'étrange petite paysanne et son gros ballot de lin pendu au bout de son bras, Berthe-Conteuse recherchait le contact et s'accrochait à lui. Était-ce le voisinage de la gluante et entreprenante Princesse, une substance allergène sur les habits ou coincée sous les chaussures d'un ou de plusieurs des hôtes rassemblés ici, ou bien encore une émotion particulière qui faisaient que la gorge de Philibert-Armand le grattait atrocement et que son nez le démangeait terriblement ?

Le Prince n'en avait pas la moindre idée, mais cependant que Berthe-Conteuse se collait à lui telle une sangsue assoiffée, il ne put se retenir et éternua bruyamment.

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