CHAPITRE 8
CHAPITRE 8
Le quatrième jour.
Le lendemain matin, bien avant le chant du coq, mère Gontrande et Anophèle étaient déjà en plein travail.
— Anophèle, va me chercher des pommes de terre à la réserve ! demanda mère Gontrande qui étalait de la farine sur la table pour préparer une pâte à pain. Ce soir, je vais préparer un gratin !
Dans le même temps, Blanche-Prudence quittait sa chambre sans se douter que, jalouse et soupçonneuse, Berthe-Conteuse la traquait et que, pareil à un loup ravisseur, elle se cachait dans les coins pour la pister. Blanche-Prudence avançait joyeusement, mais sa démarche sautillante exaspérait sa poursuiveuse. A son goût, la demoiselle était bien trop fraîche et trop enjouée. C’est donc en soupirant et en fulminant qu’elle la suivit jusqu’aux cuisines, et s’enveloppa dans un rideau épais pour guetter sa sortie sans se faire repérer.
— Bien le bonjour mère Gontrande ! s’exclama Blanche-Prudence.
— Bonjour demoiselle, grogna la cuisinière.
— Où donc est Anophèle ? demanda Blanche-Prudence.
— Je l'ai envoyé chercher des pommes de terre à la réserve.
— Fort bien. Je ne vous dérange pas longtemps mère Gontrande. Une simple préparation à faire et je m’éclipse.
— Faites-donc... Faites-donc...
Blanche-Prudence mesura, versa, chauffa, puis nettoya. Avant de repartir, elle embrassa mère Gontrande sur la joue.
— Hein ? Ho ? s'étonna la cuisinière.
— Ce n'est qu'un tout petit bécot, mère Gontrande, dit la petite paysanne. Un bécot pour vous remercier.
— Humpf... grommela la cuisinière, déroutée par ce baiser.
Enroulée dans la tenture, Berthe-Conteuse reconnut le pas trépidant et léger de Blanche-Prudence qui réapparut les mains pleines. Sortie de sa cache, elle marcha derrière sa proie et bouillonna lorsqu'elle comprit qu'elle s'orientait vers les appartements du Prince Philibert-Armand. Sa colère augmenta lorsqu'elle vit les gardes saluer Blanche-Prudence et lui ouvrir spontanément la porte. C'en était trop ! Berthe-Conteuse se plaça devant une fenêtre teintée qui reflétait son image. Elle glissa son index sur sa bouche peinte en rouge, réajusta son chignon crêpé et dégrafa son corsage. « Cette fille ne se mettra pas en travers de mon chemin... » rumina-t-elle en trépignant dans le couloir. « Je vais en finir avec elle... »
— Bonjour votre Altesse, dit Blanche-Prudence en s'inclinant devant le Prince.
— Ma Chère ! s’exclama le Prince. Je me réjouis de vous voir !
— Comment vous portez-vous aujourd'hui ? Vous m'avez l'air d'avoir plus beau visage qu'hier.
— En effet, l'action du miel sur ma peau fut salutaire. Et à part quelques petites plaques persistantes de-ci de-là, on peut dire que je vais bien et que j'ai plus belle figure.
— Bien, dites-vous ?
— Oui, bien, autant qu'on puisse l'être après les dernières semaines de crises passées qui m'ont terriblement affaibli. Je respire mieux c'est indéniable. J'ai de plus, meilleure humeur. Bien que simples et basiques, vos remèdes sont d'une grande efficacité, et votre présence me fait beaucoup de bien. Vous êtes si complaisante... si apaisante.
— Votre Altesse, je suis en joie d'entendre cela, mais nous n'allons pas nous arrêter en aussi bon chemin ! J'ai encore quelque chose pour vous.
— Encore ? Décidément, vous êtes une fée.
— Non, pas une fée mais une petite paysanne qui prend plaisir à aider son prochain et à lui faire profiter de son petit savoir-faire.
— Vous êtes trop modeste chère Blanche-Prudence, vous n'êtes pas juste une petite paysanne, vous êtes une jeune fille exceptionnelle. Vous êtes douée. Vous êtes une magicienne et votre cœur est bien plus noble que celui des grandes dames de la Cour.
— Altesse, vos compliments me touchent... dit la jeune fille en rosissant. Toutefois, votre santé m'importe davantage, c’est pourquoi je vous ai apporté un oignon !
Blanche-Prudence tendit sa main droite et montra fièrement le condiment-légume pelé et coupé en deux dans un petit récipient de terre.
— Il devra être placé sous votre lit, précisa-t-elle. Bon, je vous le concède, l'oignon n'a pas un parfum agréable aux narines. Cependant, il devrait vous empêcher de tousser durant la nuit et c'est cela qui compte.
Le Prince prit le récipient. L'aromate à l'odeur acide et envahissante lui fit tordre le nez et tourner la tête.
— Bien. Je ferai comme bon vous semble.
Écœuré par les relents de l'oignon mis à nu, il le déposa sur une console très éloignée puis retourna vers Blanche-Prudence. Tout sourire, la demoiselle serrait dans sa main gauche un autre récipient de terre.
— Celui-ci a été préparé dans vos cuisines, expliqua-t-elle. Il s'agit cette fois-ci d'une tisane de feuilles d'orties séchées ébouillantées dans un peu d'eau, qui par ses propriétés astringentes, vous purgera et vous purifiera. En prime, cela vous redonnera des forces.
— Fort bien et quand devrais-je le prendre ?
— En cas de forte crise, vous en ferez une cure de quatre semaines, à raison de quelques gorgées le matin à jeun et de quelques gorgées une demi-heure avant votre petit-déjeuner. Une fois la crise terminée, vous n'en prendrez plus qu'une seule fois par jour durant l'année complète. Ceci, en prévention.
— Vous êtes incroyable ! dit Philibert-Armand. Si je le pouvais, je vous prendrais à mon service en tant que soignante personnelle et attitrée.
Ces paroles spontanées amusèrent Blanche-Prudence. Elle se mit à rire à gorge pleine et communiqua sa joie au Prince. Mais alors que tous les deux s'esclaffaient, on annonça Berthe-Conteuse à la porte. Le Prince n'eut pas le temps de donner sa réponse que celle-ci repoussa les gardes de ses coudes et ouvrit en grand les deux battants.
— Eh bien ! dit-elle furieuse. Il semblerait que dans ces pièces, nobles et gens du peuple s'acoquinent et se gaussent sans retenue !
— Qu'est-ce qui vous autorise à entrer chez moi de cette façon ? gronda le Prince.
— Et comment donc ? N'ai-je pas le droit de venir voir mon futur époux quand bon me semble ?
— Fichtre non ! Je n'ai point pour habitude que l'on s'impose ainsi dans mes appartements ! Je vous prierai donc de ressortir immédiatement !
— Résolument non, je suis votre promise ! C'est à cette petite intrigante de partir, et certainement pas à moi !
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