CHAPITRE 15
CHAPITRE 15
L’après-midi tirait à sa fin quand la cuisinière et son marmiton galopèrent vers les cuisines. Cette fois-ci, Anophèle ne lambinait pas. Pressé de porter secours à Blanche-prudence, il avançait à grandes enjambées. Le cou en avant et le dos courbé, il ressemblait à une tortue qui accélère son pas, tandis que mère Gontrande, les joues écarlates et le souffle court, faisait de petits pas rapides en s'essuyant la figure avec un torchon noué à sa jupe. Aux cuisines, dans la salle de préparation, Anophèle le discret se comportait en chef de salle entreprenant.
— De l’huile ! demanda-t-il à mère Gontrande d’une voix assurée. Il me faut de l’huile de pépins de raisin !
— Tout de suite mon garçon, répondit la cuisinière en se hâtant de récupérer l’ingrédient sur l’étagère. Tout de suite, voilà.
— Hum... Si je me souviens bien, il faut aussi des clous de girofle.
— Combien ?
— Une poignée qu’il faudra moudre finement au pilon !
— Bien... dit mère Gontrande essoufflée. Voilà... ce qu'il te faut... mon... mon garçon.
— Bien et maintenant j'ai besoin de menthe poivrée.
— De menthe poivrée ? s'écria mère Gontrande. Mais où diable va-t-on trouver cela ?
— Comment ça ? Nous n’en avons pas ? s'étonna le garçon qui réduisait les clous de girofle en poudre dans un récipient de terre. N’y en aurait-il pas dans le potager ?
— Ma foi non, mon garçon. Nous n’avons rien de cela.
— Et l’herboriste ?
— Quel herboriste ?
— Celui dont Blanche-Prudence m’a parlé.
— Je ne vois pas de qui tu parles.
— Elle m’a dit qu’il y avait un herboriste à une demi-journée de sa maison et que de temps en temps, elle se fournissait chez lui quand elle n'avait pas les ingrédients nécessaires à ses traitements.
— Une demi-journée de sa maison. Mais où diable est sa maison ?
— Je ne sais pas, dit le garçon en haussant les épaules.
— Qui peut le savoir ?
— Eh bien, je dirais quelqu’un parmi les vingt-neuf avec qui elle aurait discuté. Ou alors le Roi et la Reine qui ont certainement eu des indications sur chacun des convives, ou encore le Prince à qui elle l’aurait dit pendant leurs face-à-face. Pour finir, je pense à Berthe-Conteuse qui dit-elle s'est renseignée sur Blanche-Prudence dans son village.
— Hum… Cela fait beaucoup de monde en vérité… Mais qui interroger sans éveiller les soupçons ?
— Peut-être, vaudrait-il mieux solliciter le Prince ?
— Tu as raison mon garçon. Va vers Pierrot-Guillou, dis-lui qu'il nous faut savoir où habite Blanche-Prudence et parle lui aussi de cet herboriste pour qu'il en avise le Prince. Peut-être aura-t-il une solution ? Quelle que soit la réponse, reviens prestement me l'apporter. Je vais réfléchir à la suite et commencer à cuire le repas de ce soir.
— Bien, mère Gontrande. J’y vais de ce pas.
Dans le hall, à proximité des appartements du Prince, le jeune marmiton trouva Pierrot-Guillou avec un domestique commissionné de lui rapporter des bougies neuves. Sur ordre du Prince, la nuit présageant d'être longue, il n’était pas question de manquer d'éclairage pour veiller la jeune malade.
Anophèle se tint à distance de Pierrot-Guillou qui l'aperçut et lui fit signe d'avancer. À voix basse, le jeune garçon transmit le message au valet de pied qui lui demanda d’attendre, car il allait de ce pas en informer le Prince. Adossé à un mur, les bras croisés et la tête penchée sur ses chaussures, Anophèle patienta. Tout était silencieux, mais l'heure du dîner s'approchant, le château commença à s'agiter et les portes s’ouvrirent. Le garçon entendit les vingt-neuf sortir de leurs chambres, descendre les escaliers et se rassembler dans le hall en petits groupes pour bavarder un peu avant d’aller manger. Dans l’espoir d’intercepter une information susceptible de le mettre sur la piste de Blanche-Prudence, Anophèle s'était camouflé en arrière d’une lourde tenture et écouta les bruits de couloir. Hélas, ce soir-là, les derniers essayages et les tenues qu'ils porteraient le lendemain, jour du mariage, furent les principaux sujets de discussion des vingt-neuf.
— Vous verriez ma robe, disait une femme. Elle est de toute beauté. Simple mais d’un tissu d’excellente facture. Et les couleurs ? Tout-à-fait celles que j’aime.
— Et la mienne ? ripostait une autre. D'un bleu cendré somptueux. Jamais je n’ai eu de robe plus magnifique que celle-là. Et la vôtre, de quelle couleur est-elle donc ?
— Moi, elle est bleue lavande, renseignait la première d’une voix enjouée.
— En tous les cas, il y en a une qui n’aura pas l’honneur de se montrer en robe de cérémonie…
Au milieu des échanges de chiffons, la conversation dévia sur ce qui intéressait particulièrement Anophèle. Il tendit l’oreille.
— Ah ça, c’est bien vrai ! s’interposa un homme à la voix rauque. Et dire que notre jeune Prince a bien failli tomber dans ses filets… Il a eu de la chance que la Princesse Berthe-Conteuse ait déjoué à temps les mauvais desseins de cette petite ensorceleuse... Souhaitons qu’elle soit vite retrouvée et vite chassée du Pays de Providence…
— Oui, ou écrouée… puis pendue haut et court…
Tapi dans la pénombre, Anophèle eut un frisson d’effroi et se promit, lorsque l’occasion lui en serait donnée de réhabiliter Blanche-Prudence dont il savait la bienveillance et l’honnêteté, et défendre sa cause. Par grappe, les vingt-neuf quittèrent le hall et le silence régna de nouveau. L’attente était longue. Le garçon de cuisine, d’ordinaire calme et nonchalant, commença à trépigner derrière le tissu. Il espérait la réponse du Prince pour pouvoir vite soigner sa jeune amie et rétablir la vérité sur elle, mais Pierrot-Guillou tardait à revenir.
Plusieurs minutes s’écoulèrent encore avant que Pierrot-Guillou ne se montre enfin à la porte et engage Anophèle qui avait sorti sa tête, à s’avancer par un geste de la main. Par aubaine, personne n’était dans les parages et le garçon put entrer dans les appartements princiers sans être vu de quiconque, puis conduit dans la chambre de Philibert-Armand qu’il trouva bien pâle au chevet de la malade. Visiblement très affecté, le corps ramassé, le prince se tourna vers Anophèle et lui tendit un papier.
— Voici où réside cette jeune fille, précisa-t-il dans un souffle.
À la suite, le Prince expliqua au garçon de cuisine qui semblait étonné, avoir eu connaissance du village de Blanche-Prudence dès le lendemain de son arrivée, puisqu’il avait interrogé chacun des trente.
— Pour ce qui est de l’herboriste, ajouta le Prince, je n’ai, hélas, aucune information sur lui. Néanmoins, je vais envoyer des hommes qui auront ordre de chevaucher sans s’arrêter jusqu’au village de Blanche-Prudence et seront chargés de retrouver sa maison, ou ses parents, ou des proches, des amis… Peu importe, mais ils devront écumer cet endroit jusqu’obtenir des informations sur cet herboriste et ramener l’ingrédient manquant. Et si toutefois, personne n'était en mesure de les renseigner, alors il leur faudra élargir leurs champs de recherche aux alentours, puis plus loin et encore plus loin, et ne revenir qu’à la seule condition de l’avoir retrouvé.
— Hum… Peut-être serait-il bon de ramener cet herboriste au château, suggéra Anophèle. Sait-on jamais, il pourrait nous être utile.
— Excellente idée ! s’exclama le Prince. Tu es décidément un garçon plein de ressources ! Je ferai en sorte d’ajouter cette instruction à mon ordre de mission.
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