CHAPITRE 23

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CHAPITRE 23

Tout à coup, un grand bruit fit sursauter l'assistance. À l'entrée de l'église, le Prince en habit de marié portait dans ses bras une jeune fille inconsciente dans une chemise immaculée. Il était suivi d'Anophèle et de l'herboriste, lestés de sacs dodus et de gourdes remplies et impressionnés par ce rassemblement de têtes couronnées et de gens de haute noblesse, qui marchaient têtes baissées.

— Voilà ton œuvre Berthe-Conteuse ! hurla le Prince en se rapprochant à grand pas de l'autel des sacrements. Voilà le résultat de ta haine et de ta soif de pouvoir ! Tu as empoisonné cette jeune fille pour l'écarter de moi et m'attraper dans tes filets, mais sache que je sais qui tu es !

— Quoi ? s'étonna Berthe-Conteuse à haute-voix. Je ne comprends pas ? Que signifient cette attitude et ces reproches ? Cette fille que tu tiens dans tes bras est une sorcière et c'est moi qui t'en ai débarrassé ! C'est elle la mauvaise ! C'est elle qui en voulait à ton argent et à ta vie, pas moi ! Moi je ne voulais que ton bien !

Le Prince déposa délicatement Blanche-Prudence qui n'avait toujours pas repris conscience sur les marches de l'autel et se tourna vers l'assistance.

— C'est faux ! s'indigna le Prince en pointant le doigt sur Berthe-Conteuse. C'est toi la manipulatrice ! Toi la machiavélique et la menteuse ! Toi qui t'es jouée de moi, de mes parents et de ces vingt-neuf personnes de qualité que tu as enrôlé par tes stratégies séductrices ! Ce n'est pas prendre soin de moi que tu désirais en acceptant ce mariage, mais mon statut et ma fortune !

Le Prince se retourna vers l'auditoire sidéré, se courba en signe de respect et s'exprima d'une voix forte :

— Mesdames et messieurs, je vous demande pardon pour cette arrivée non protocolaire, mais vous devez savoir que cette femme ci-présente n'est pas humaine !

Des interrogations s’élevèrent de l'assemblée.

— Mais enfin Philibert-Armand, que dites-vous ? Voyons, reprenez vos esprits, je suis votre promise et vous vous égarez ! Sans conteste, vous êtes sous l'influence de cette fille !

— Dites la vérité ! s’énerva la Reine terrorisée et se protégeant derrière son époux.

— Quelle vérité, chère mère ?

— Mère ? s'offusqua la Reine. Je vous interdis de m’appeler ainsi !

— Mais ?

— Nous savons tout ! s’écria le Roi. Nous connaissons votre véritable nature ! Nous savons qui vous êtes !

— C'est vrai ! ajouta la Reine en se plaçant devant tout le monde mais à distance de Berthe-Conteuse qu'elle gardait dans son champ de vision. Cette femme est... une... une bête... Un monstre...

— Oui, nous l'avons vu de nos yeux se métamorphoser ! précisa le Roi. Nous l'avons vu avant sa transformation, lorsqu'elle était une araignée géante qui gobait des insectes !

Ces terrifiantes révélations firent s'évanouir quelques dames. Les hommes eux, se figèrent. Dans l'incompréhension de ce qu'ils entendaient, tous étaient sous le choc. Soudain, un râle puissant et effroyable sortit de la gorge de Berthe-Conteuse et fit tomber des personnes de leurs chaises. Face à des centaines de témoins éberlués, pareille à une mue, la dissimulatrice se dépouilla de son enveloppe de chair comme d'un habit trop étroit. Sa peau de femme sur le sol, elle déploya son corps massif, noir et velu, étira ses crochets puis fit rouler ses orbites excavées sur le haut de son crâne.

— Mon Dieu, une Tarentula ! s'écria une personne dans l'assemblée. Une mygale de l'ancien monde !

Sous les cris d'effroi, le coiffeur se changea en un lézard colossal, à l'appendice agressif. Les personnes assises dans le fond de la chapelle prirent la poudre d'escampette. Elles coururent se mettre à l'abri, alors que la plupart, craignant d'être rattrapés puis dévorés par ces monstres à la langue déroulante et aux pattes démesurées, ne bougèrent pas de leur place.

Les vingt-neuf, regroupés en arrière de l'oratoire, ne remuèrent pas un cil. Inconcevable pour eux d'imaginer que Berthe-Conteuse était cette bête diabolique. Le regard halluciné, tous refusaient de croire que leur si dévouée et si adorable Princesse, celle qui avait investi tant d'heures et tant d'énergie pour les divertir et les combler, était un monstre terrifiant. C'était un cauchemar. Ils allaient se réveiller. Persuadés d'être sous le coup d'un maléfice et certains que cette sorcière inanimée était l'unique coupable de ce mirage, les vingt-neuf répondirent aussitôt à l'appel aigu de la femme-araignée. Comme hypnotisés, ils traversèrent la salle telle une armée de morts-vivants et se placèrent en renfort aux côtés de leur maîtresse.

— Tuez-les tous ! hurla le monstre à l'intention des vingt-neuf sous influence.

Avant qu'aucun ne réagisse et ne s'en prenne à la salle abasourdie, Anophèle jeta l'eau bouillante renfermée dans sa cruche sur l'araignée qui gémit de douleur et paraissait sonnée. L'herboriste profita qu'elle était désorientée et ralentie dans ses mouvements pour asperger ses pattes de devant de jus de pommes de terre contenue dans son flacon. Les membres paralysés par l'amidon à prise rapide, la bête se démena. A force de luttes, elle réussit à se mouvoir et s'avança vers ses deux attaquants.

— Anophèle ! cria l'herboriste. Sers-toi des feuilles de tomates !

Le garçon s'exécuta. Il sortit de son sac en bandoulière, le répulsif naturel qu'il étala devant eux comme une barrière infranchissable. L'araignée recula. Impossible pour elle de dépasser cette ligne. Revenue en arrière, elle agita ses crochets et les vingt-neuf se mirent en marche. Comme un seul homme, ils balayèrent les feuilles de tomates du bout de leurs chaussures et créèrent une ouverture pour leur maîtresse.

— Vite Prince ! cria à nouveau l'herboriste. Utilisez la terre de diatomée*.

Réactif et courageux, le Prince s'approcha de la bête entourée de ses vingt-neuf soldats. Tous avaient un regard de tueur et cheminaient vers l'assemblée. Dans un réflexe rapide, le Prince déposa une couche de poudre dissimulée dans une poche intérieure de sa veste sur le passage de l'araignée. L'action fut immédiate. Au contact de la terre de diatomée*, son abdomen gonfla. Il se cisela en deux et, dans une longue plainte, l'araignée se vida de ses fluides, expira dans un hoquet et se dessécha comme une vieille outre. Simultanément, le lézard expira dans un cri rauque et le visage des vingt-neuf se déforma dans d'horribles grimaces. Ils convulsèrent, puis leurs corps se secouèrent dans une danse de Saint-Guy.

— Mais... mais que s’est-il passé ? demanda l'un d'eux, comme s’éveillant d'un long sommeil, le regard hébété.

— Que faisons-nous ici ? dit un autre en se frottant les yeux.

* Les diatomées : Algues microscopiques composées de fossiles d'algues très coupants. Elles ont un effet abrasif et desséchant sur les insectes rampants (fourmis, cafards, cloportes, punaises de lit, poissons d'argent...)

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