CHAPITRE 25 et fin
CHAPITRE 25
Jambes écartées, bottes crottées, vareuses de paysans poussiéreuses et grands chapeaux de feutre noir, les deux frères de Blanche-Prudence aux allures de palefreniers, se tenaient sur le perron du lieu saint.
— Mes frères ? interrogea la jeune fille en s'appuyant sur le Prince pour se relever et ne pas chanceler.
Tout le monde déserta le milieu de l'allée, permettant à Blanche-Prudence de voir ses deux gaillards de frères qui venaient à elle en se tenant par l'épaule. Heureux de retrouver leur sœur vivante et non à l'agonie, ou même morte comme ils l'appréhendaient, Jacquot-Le-Bon et Ivanhoé-Le-Bel l'embrassèrent comme du bon pain.
— Alors Blanche-Prudence ? Que t'arrive-t-il ? Est-ce donc toi qu'on marie ? demanda le moins timide des deux en la voyant au bras du Prince en habit de cérémonie, la tête tournée vers l'assemblée.
— Non mes frères, ce n'est pas moi la promise. C'est... Enfin c'était sensé être cette... cette chose... dit-elle en montrant les résidus de Berthe-Conteuse. C'est cette chose qui aurait dû s'unir au Prince.
— Ça ?
— Je sais, c'est difficile à comprendre, mais je ne peux tout vous expliquer maintenant. L'histoire serait bien trop longue à raconter. Simplement, non ce n'est pas moi la mariée.
— Et pourquoi pas ? dit mère Gontrande de sa voix forte. Grand Dieu, pourquoi pas ?
— Quoi ? l'interrogea la petite paysanne. Que dites-vous mère Gontrande ?
— Pourquoi ne pas profiter de tout ce beau monde réuni, de cette splendide décoration, de ces nombreux plats qui mijotent sur mes fourneaux, de cet opulent et raffiné banquet qui se prépare dans le parc, et de la présence de vos frères et de quelques-uns de vos amis... comme moi et Anophèle, pour vous marier ?
— Pour me marier ?
— Eh bien oui, que diable ! s'exclama la cuisinière. Vous vous aimez vous et le Prince. Ne me dites pas le contraire, cela se voit comme le nez au milieu de la figure ! N'importe qui ici peut le deviner et facilement s'en rendre compte !
Les pommettes teintées d'embarras, la petite paysanne leva les yeux vers le Prince qui la serra contre lui et l'enveloppa de son regard amoureux.
— Accepteriez-vous ma chère Blanche ? lui demanda-t-il.
— Je... je... Je ne sais pas cher Prince, bredouilla-t-elle. Cela est si soudain...
Tout en gardant sa main dans la sienne, le Prince posa un genou à terre pour lui faire sa demande officielle.
— Chère Blanche-Prudence, dit-il à haute voix pour être entendu de tous. Voudriez-vous de moi comme légitime époux ?
Après la catastrophe à laquelle ils venaient d'échapper de justesse, contempler les sentiments partagés dans les yeux de leur fils et de cette jeune fille au visage si doux et apaisant, réchauffa le cœur des souverains. Ils approuvèrent aussitôt cet amour réciproque, mais fébrile et hésitante, Blanche-Prudence requerra l'avis de ses frères.
— Si tu l'aimes, épouse-le, lui conseilla Jacquot-Le-Bon, le plus réservé des deux.
— Oui, cet homme est un très bon parti ma sœur. Le meilleur dans tout le pays de Providence ! s'esclaffa Ivanhoé-Le-Bel, le plus fougueux. Et puis au moins, nous n'aurons pas fait tout ce trajet pour rien !
— Eh bien... soit ! répondit Blanche-Prudence, le regard plongé dans celui de Philibert-Armand. Je consens à m'unir à vous !
Avec surprise et étonnement, alors qu'un mariage entre un Prince de haut rang et une petite paysanne aurait d'ordinaire offusqué la famille et déclenché des scandales, voilà que dans une exaltation commune, la salle entière lançait des "hourras" joyeux sous des applaudissements nourris.
Après ce consentement général, des intendants nettoyèrent et ramassèrent les restes de l'araignée et du lézard putréfié qu’ils jetèrent dans le jardin sur un tas de végétaux en putréfaction à usage d’engrais. Puis, le mariage s'organisa sur le pouce. La Reine diligenta son domestique pour aller récupérer une cape de brocards et de fils d'or dans ses effets personnels, et en recouvrir les épaules de la future mariée. Dans ce laps de temps, le Prince Philibert-Armand prit Anophèle comme témoin et Blanche-Prudence s'associa à mère Gontrande, très émue d'être choisie.
En moins d'un quart d'heure, tout fut arrangé. Dans un silence religieux, face à l’évêque de la famille qui réajustait sa mitre tombée dans l'affolement, l'union du Prince et de la paysanne fut célébrée et légalement entérinée. Après l'échange des vœux et celui des anneaux, les nouveaux mariés s'embrassèrent dans un très long baiser. La scène bouleversa mère Gontrande et la Reine. Côte à côte, elles versèrent quelques larmes et reniflèrent à grand bruit dans leurs mouchoirs.
— L'alliance d'une paysanne et d'un prince, dit la Reine à son époux, tapotant ses joues humides avec un carré de soie. Mon cher, n'y a-t-il pas là meilleure représentation du Pays de Providence ?
— Si fait, ma chère, approuva le Roi. Voilà bien l'expression parfaite de l'état d'esprit du Royaume !
Foulant main dans la main, l'allée tapissée de pétales de roses pastel, les nouveaux mariés s’avancèrent sous le regard bienveillant des invités. À voix basse, la Princesse Blanche-Prudence s'adressa à son époux :
— Cher Philibert-Armand, me voilà une femme bénie.
— Ma Blanche... lui dit-il à l'oreille en posant le pied sur le parvis de la chapelle enrubannée. Je me sens fort à tes côtés. Avec toi ma Princesse, ma magicienne, je sais que la vie me sera bien plus douce. Que Dieu fasse prospérer notre mariage, notre future et belle famille, notre pays et tes talents...
— Justement, à ce propos, ne vous ai-je pas parlé du thym qui débouche le nez et désencombre les voies respiratoires ? Le thym calme les quintes de toux sèche, et on peut l’utiliser en inhalation ou en tisane…
— Ma fée merveilleuse, chuchota le Prince, posant son index sur les lèvres de sa jeune épousée. Je vais bien maintenant, et tant que vous serez à mes côtés, je suis certain d’être en parfaite santé.
Mais alors que les mariés s’embrassaient tendrement, dans le jardin, sur le tas d’engrais, quelque chose bougeait et se dissocia des déchets végétaux. Minuscules par leurs tailles, mais bel et bien vivants, l’araignée monstrueuse et le lézard venaient de renaître de leurs cendres… Mesurant moins de cinq centimètres, mais recomposés de tous leurs membres, les bestioles se faufilèrent à travers les allées fleuris, puis disparurent dans une haie touffue.
FIN
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