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Elle ouvrit les yeux. Elle était étalée sur le sol, dans la terre. Un faible rayon de lumière lui permettait de distinguer une lourde charpente en bois au-dessus d'elle. Où était-elle ? Elle l'ignorait. Qui était-elle ? Elle n'était guère plus informée à ce sujet. Elle cherchait en vain un prénom qui eût pu être le sien, mais il lui était impossible de se le remémorer.

Elle bougea faiblement le bout des doigts, déplaçant quelques cailloux et poussières. Son cœur battait horriblement fort, résonnant dans sa tête comme des coups de tambour. Une douleur insoutenable avait envahi son crâne. Ses membres tremblaient. Sa respiration était faible. Elle bascula la tête sur le côté. Une odeur nauséabonde monta subitement à ses narines. Elle baissa les yeux et constata que sa tête baignait dans une marre de sang. Ses doigts s'enfoncèrent dans la terre humide et grasse, ses bras tremblants se tendirent alors qu'elle tentait dans un effort désespéré de se redresser. Elle ne semblait plus être que douleur et convulsions.

Prenant appui sur ses talons, elle trouva assez d'élan pour s'asseoir. Elle amena alors sa main pleine de terre dans ses cheveux. Elle y sentit le liquide chaud et poisseux. Elle ramena sa main devant ses yeux pour constater avec horreur quelle était couverte de sang. La plaie sur son crâne paraissait importante. Les larmes lui montèrent aux yeux tandis que la peur envahissait tout le reste de son être. L'hystérie naissant en elle lui donna la force nécessaire pour se mettre debout. Elle s'était réveillée dans une espèce de vaste grange à l'abandon. Son sang jonchait le sol.

Elle scruta plus attentivement les lieux. Elle remarqua alors qu'un corps gisait à terre, à quelques mètres à peine d'elle. Elle s'en approcha prudemment. Il s'agissait d'une jeune femme. L'inconnue était étalée sur le ventre et couverte de terre. Elle la retourna. Aucun souffle. Aucun mouvement de la poitrine. Elle colla son oreille sur le cœur de la jeune femme. Pas un battement. La femme était morte. Elle remarqua alors que le cadavre avait été transpercé d'une balle. Elle parcourut à nouveau la grange du regard. Il n'y avait pas l'ombre d'une arme en vue. Instinctivement, elle porta la main à la poche intérieure de sa veste et amena son doigt contre la détente. L'arme était sur elle.

Elle écarquilla les yeux avec effroi et déglutit bruyamment : elle avait probablement tué la défunte. Pourquoi ? Elle n'en savait rien, elle n'en avait pas le moindre souvenir.

Elle passa ses mains dans toutes les autres poches qu'elle pouvait trouver sur ses vêtements : sa veste, son jean. Toutes étaient vides. Elle ne possédait rien, à l'exception de ce revolver. Elle avisa le corps inanimé de l'inconnue. Elle se jeta alors dessus et fouilla les poches de son jean. Elles contenaient un briquet et un paquet de cigarettes. Elle les lui prit, quand bien même elle ignorait si elle fumait ou non habituellement. Elle s'attaqua ensuite aux poches du manteau. Elle y trouva des clés, un porte-feuille et un téléphone portable. Elle s'empara des trois objets.

Le téléphone et les clés trouvèrent vite leur place dans ses nombreuses poches vides, mais elle s'attarda plus longuement sur le porte-feuille. Il contenait quatre mille dollars en espèces, la photo abîmée d'un homme à l'air peu commode, un bon de réduction dans une laverie automatique et une carte d'identité. Cette dernière pièce fut jugée la plus intéressante. La morte était une dénommée Chris McSteel, âgée de vingt-sept ans. Elle venait du Texas, de Fort Worth plus précisément. La jeune femme fixait la carte d'identité, mais elle avait beau relire chaque mot, analyser chaque trait du visage de la jeune femme sur la photo, sa victime demeurait une parfaite inconnue.

Elle eut soudainement une idée. Elle ignorait complètement qui elle était, et une morte se trouvait là avec elle. Elle connaissait à présent l'identité de cette dépouille, gracieusement placée sur son chemin. En bref, il y avait dans cette grange une jeune femme vivante sans identité et une morte en possession de tous ses papiers. N'y avait-il pas quelque cruelle injustice dans cette situation ?

On peut se passer de connaître l'identité d'un défunt. Il est plus difficile de ne pas se soucier de celle d'un vivant, qui plus est lorsqu'il se trouve être son assassin. Mais l'assassin allait être amené à disparaître, tout comme le cadavre. Ce meurtre, quelle qu'en fût le mobile, allait être étouffé. Il pourrait ne jamais avoir existé. Elle allait devenir Chris, prendre simplement l'identité que lui offrait la défunte et adopter sa vie ainsi que ses coutumes.

Elle rangea la carte dans le porte-feuille et glissa ce dernier dans la poche de sa veste. Elle reporta son attention sur le cadavre. Elle ne pouvait le laisser ici. Elle repéra immédiatement une planche de bois posée contre le mur de la grange. Elle s'en saisit et entreprit de s'en servir comme pelle pour creuser la terre grasse. L'entreprise demanda beaucoup d'effort, mais elle parvint, au bout d'innombrables minutes, munie de la planche et de ses propres mains, à creuser un trou suffisamment large. C'est là que Chris jeta avec détermination la dépouille de celle dont elle adoptait l'identité, comme pour sceller leur pacte.

Elle ramena avec énergie la terre au-dessus du corps, reboucha la sépulture. L'humidité du sol lui facilita la tâche. Ce fut alors comme si ce cadavre n'avait jamais existé. Il gisait à six pieds sous terre et personne ne s'en préoccuperait, puisque Chris McSteel n'était pas morte : c'était elle à présent.

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