Chapitre 13

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13

Vendredi 10 décembre 2019, 11h19

   La détonation alerta tout le Phoenix. De Yannick et Vasco sur le groupe des Petits jusqu'à Amali et les enfants devant la télévision du groupe des Grands, tout le monde perçut le coup le ressentit, l'interpréta.

Amali paniquée, se redressa et ordonna aux petits de rester tranquille et sous la surveillance de Erwan tandis qu'elle s'élançait dans les marches, quatre par quatre. Elle savait très bien d'où venait le coup de feu, ne voulait juste pas se l'admettre.

Son cœur tambourinait dans sa poitrine, comme s'il cherchait à s'en échapper. Au rythme erratique de son souffle, il guidait ses pas et mouvements au travers du couloir désormais silencieux

— Jason ?

Un vacarme sourd suivit son apostrophe : il venait de la chambre de Jon.

Avec hâte, elle rejoignit la porte blafarde le long du mur vert pâle du couloir. Tout lui semblait distordu, difforme, sans rapport avec ce qu'elle connaissait.

L'effet ''coup de feu''.

Sa main se referma sur la poignet au moment où quelqu'un à l'intérieur, poussait la porte dans sa direction. Bousculée, la porte la heurta dans l'épaule, la fit reculer pour mieux pouvoir se retrouver nez à nez avec Jelena, une expression tout à fait alarmante au visage.

— Vous avez tiré ? s'exclama t-elle, folle de rage. Il était menaçant peut-être ?!

— Calmez-vous. Le gosse va bien.

— Après s'être pris une balle ?

— Vérifiez par vous-même.

Le ton de la militaire était traînant, bas, incrédule. Amali fronça les sourcils en tentant de comprendre ce qui se passait derrière les yeux impénétrables de Jelena, lorsque les mots de Jason l'interpellèrent.

— Elle n'est même pas rentrée...

Amali secoua la tête, et pénétra dans la chambre pour trouver son partenaire agenouillé par terre, une balle entre les doigts.

— Elle a tiré à bout portant, c'est des neuf millimètres c'est...

Soudain, Amali comprit, et sentit son sang se glacer dans ses veines. En s'agenouillant près de Jason, elle put constater la balle de revolver propre entre ses doigts, lisse et brillante à la lumière du soleil qui filtrait timidement à travers la fenêtre.

Assis sur le lit, Jon respirait vite, les mains repliées sur son abdomen. Ses doigts contractés, blancs, contrastaient avec l'éclat de son vêtement d'un bleu électrique.

— Jon, souffla Amali en faisant un pas vers lui.

— Je suis pas mort, hein ?

— Je...

Le plus délicatement possible, elle écarta les doigts de l'adolescent, et constata bel et bien un trou dans le tissu de son sweat. Le tissu avait percé, mais pas sa peau.

— C'est pas normal ça, hein ?

— Non, acquiesça Jason en se relevant. Tu as eu mal ou pas ?

— Pas vraiment. Juste... comme si on me jetait une balle rebondissante contre la peau.

— Oh bordel, là ça craint, là ça pue grave.

Avant que Amali n'ait pu l'intercepter, Jason quitta la chambre, les mains dans les cheveux, les yeux écarquillés par l'inquiétude.

— Au moins t'être pris une balle t'a refroidi les idées, grommela Eden. Tu es calmé ?

— Excuse-moi, je... je voulais pas vous faire peur ou quoi que ce soit.

— Eden sois cool avec lui. Je pense qu'on a un souci plus important que de simples sautes d'humeur à régler là.

L'éducatrice se redressa pour venir s'asseoir à côté de Jon, tout en gardant sa main au creux de la sienne.

Son corps avait fait barrière à une balle de revolver de neuf millimètres, un calibre respectable. Le vêtement qu'il portait avait cédé, pas sa peau.

C'était incompréhensible.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? s'étrangla l'adolescent.

— Si on savait mon chat.

Eden s'était rapproché à son tour, pour soulever le sweat troué d'une main tremblante. La peau était intacte, aucune trace de ne serait-ce qu'une égratignure, un bleu.

Jon le laissa faire tandis qu'il effleurait la peau du bout des doigts : froide, douce, rien d'anormal.

— Je dois appeler mon chef, lança la voix de Jelena, à l'extérieur de la pièce.

— Bah faites donc. Et barrez-vous.

Le sifflement furieux de Eden tétanisa Amali et Jon, qui se concertèrent d'un long regard embêté.

Que devaient-ils faire maintenant ? Il était désormais clair qu'au-delà d'une simple pandémie mortelle digne d'un énième flm de science fiction, ce qui se propageait dehors était pire que ça. Dangereux car évolutif, ou du moins, c'est ce que pensait Amali, aux suites de ce qui venait d'arriver à Jon.

Quelque chose en lui n'était définitivement plus humain.

Jason, totalement abasourdi, fondit à l'intérieur du bureau des éducateurs pour s'asseoir derrière leur ordinateur en veille, la sueur au front.

Jon, son petit Jon qu'il avait vu grandir, passer de gamin perturbé à adolescent un minimum équilibré, venait d'éviter une mort certaine en faisant barrière à une balle de revolver. Sa peau venait de faire barrière à une balle de revolver.

Rapidement, il entra ses mots de passe sur le poste informatique, se connecta à internet, chercha pendant de longues minute si quelque chose se rapprochait de près ou de loin à ce qu'ils venaient de vivre... mais rien. Des actualités sur le virus, il y en avait à la pelle, des infos mais aussi beaucoup d'infox, des titres aguicheurs qui laissaient l'éducateur de marbre. Le monde était en train de convulser et des gens, il ne savait pas o exactement, s'amusaient à relayer des informations inexactes, s'amusaient sans doute de ces ''blagues'' qu'ils rendaient accessible au plus grand nombre.

Dans un geste défensif, il étouffa son visage entre ses mains, tenta de retrouver une certaine contenance, de comprendre, de relativiser.

Il n'y avait cependant rien à relativiser. Jon venait de prouver son imperméabilité aux balles, point.

Alors qu'un soupir tremblant franchissait ses lèvres, la porte s'ouvrit sur Erwan, la main du petit Timéo au creux de la sienne.

— Jason ? Je veux pas te déranger mais les petits ont... ils commencent à avoir faim.

D'un rapide coup d’œil, l'éducateur avisa l'horloge au mur : quatorze heures trente, pas étonnant que les plus jeunes commencent à s'agiter à l'extérieur du bureau.

— J'arrive, répondit-il en se relevant. Pâtes ça vous va ?

— Avec du ketchup ?

— Beaucoup de ketchup même.

Le sourire qu'il adressa à Timéo lui parut aussi faux et mal joué que pouvait l'être un jeu d'acteur de série B mais que pouvait-il faire d'autre ? Timéo n'avait que quatre ans, il ne capterait sans doute pas le malaise. Ce qui n'était pourtant pas le cas de Erwan.

L'enfant le fixait de ses yeux bruns aussi profonds que la détresse dans laquelle ils se trouvaient, les lèvres serrées.

Jason l'esquiva pour sortir du bureau, et fut soulagé de tomber sur Yannick, en pleine discussion avec Mehdi et Vasco.

À sa vue, Yannick fronça les sourcils, et se rapprocha de lui d'un pas aussi rapide que brusque.

— C'était quoi ce coup de feu... ? souffla t-il, incisif.

— Tu devrais monter à l'étage. Amali et sa nouvelle copine la militaire maboule t'expliqueront.

Sans plus lui accorder la oindre importance, Yannick s'éloigna, laissant Jason seul face à l'attroupement d'enfants et de pré-adolescents qui n'attendaient que ses mots pour bouger, agir.

— Pâtes ça va à tout le monde ?

Une cacophonie de cris lui répondit. Il ne pouvait cependant pas cuisiner dans sa minuscule cuisine du groupe : d'ordinaire, la cuisine centrale du Phoenix, située dans un autre bâtiment leur fournissait les repas. Pour nourrir une quinzaines de jeunes ainsi que quatre adultes, il lui fallait rejoindre cette cuisine. Sauf qu'autour de lui, il comptait plus de dix enfants, qu'il ne pouvait décemment pas laisser en plan ici pendant que ses collègues et les adolescents discutaient à l'étage.

— Amali !

En bas des marches, il appela sa partenaire mais à sa place, ce fut Jelena Arcos qui apparut, visage et poings crispés.

— Vous ne devriez pas être repartie vous ? Ou vous avez envie de tester l'efficacité de vos balles sur d'autres jeunes ?

— Vos cris m'ont fait penser que vous étiez en danger.

— Vous êtes complètement folle ma pauvre dame. Où est Amali ?

— En train de gérer un nouvel angle du problème ''Gamin imperméable aux balles''. Figurez- vous que le petit sur qui j'ai tiré vient d'arracher la poignée de la fenêtre en tentant de l'ouvrir. De surprise en surprise, cette histoire me passionne de plus en plus, pas vous ?

   Yannick en avait connu des enfants spéciaux. Des petits fracassés, explosés dans leurs têtes qui par effet ricochets, se retrouvaient bien souvent à décompenser de leur plus jeune âge, et de la façon la plus violente qui soit. Il avait connu des jeunes atteins de pathologies psychiatriques dites ''précoces''. Il avait travaillé avec des enfants violents, des jeunes auto-destructeurs.

Cependant jamais oh grand jamais il ne se serait douter travailler un jour avec un adolescent... plus vraiment humain.

— J'ai pas fait exprès je vous jure !

La nuit avait commencé à tomber dehors. Après les deux incidents qui avaient inclus Jon, il avait été décidé de l'isoler, du moins le temps qu'ils comprennent, ou qu'ils essayent du moins, était la meilleure des choses à faire. Et l'éducateur n'était pas dupe : si Jon n'avait pas été un gamin gentil, un de ceux qui respectent encore un minimum les demandes de l'adulte, il lui aurait simplement suffit d'arracher la porte et de sortir de sa chambre. À l'inverse, depuis bientôt quatre heures qu'il patientait dans sa petite chambre, Jon n'avait eu de cesse de s'excuser, de s'informer sur l'avancée de leurs recherches. Lui aussi souhaitait savoir ce qui arrivait à son corps.

— Vous êtes des barbares.

Le ton glacial de Eden ramena Yannick à lui. Assis à même le sol en face de lui, l'adolescent le fixait de toute sa froideur, les traits durs et les sourcils froncés. Lui non plus n'avait pas quitté son poste depuis quatre heures, et s'assurait que Jelena Arcos ne remette pas les pieds à l'étage.

— Je crois que tu es assez intelligent pour comprendre notre geste Eden.

— L'enfermer comme une bête sauvage en attendant que quelqu'un trouve une vraie solution ?

L'adolescent renifla, dédaigneux, et se rassit plus confortablement contre le mur en soupirant d'irritation.

— Je vous précise juste à toi et à Tic et Tac en bas, que depuis hier nous en sommes au même point.

— Et que veux-tu qu'on y fasse ? On est pas scientifiques, pas chercheurs, pas militaires...

— Encore heureux vu que la seule qui se trouve ici à essayer de buter Jon !

Sa voix claqua comme un fouet, tandis que Nathan, émergeant des escaliers, vint s'asseoir près de lui, deux verres de jus de fruit dans les mains.

— Il y en a un pour J mais j'imagine que le monstre n'a pas droit à ce luxe.

Yannick soupira, se prit la tête entre les mains, avant de balayer les jeunes d'un regard exaspéré.

Comment Jason et ses collègues du groupe des Grands pouvaient-ils faire pour endurer le mauvais caractère des adolescent chaque jour de la semaine ? C'était un vrai supplice.

Derrière la porte close, trois coups résonnèrent contre le panneau de bois :

— Du coup je peux ? Pour le jus de fruit ?

— Écoute Jon, on veut éviter tout nouveau changement et... pour le moment, on cherche des réponses à ce qui t'arrive, alors il vaudrait peut-être mieux éviter de manger ou boire quoi que ce soit... ?

Un nouveau soupir déchira l'air tandis que Eden se redressait, le verre de Jon à la main. D'un bon pas, il rejoignit la porte qu'il entrouvrit pour tendre le verre à meilleur son ami, piteusement assis à même le sol de sa chambre.

— Vous êtes d'un ridicule affligeant.

— On fait comme on peut, soupira Yannick.

— Non. Vous faites comme vous voulez, pas comme vous pouvez.

Yannick ouvrit la bouche pour relancer le débat lorsqu'une nouvelle silhouette émergea des escaliers au bout du couloir. Amali les rejoignit en quelques enjambés et tous purent constater deux choses à sa simple démarche : elle était tendue, plus que tendue, et affichait sur son visage un sourire aussi crispé que ses poings.

En s'arrêtant près d'eux, elle prit un instant pour considérer les adolescents, son collègue, avant de fermer les yeux.

— Vous pouvez laisser sortir Jon. Yannick, viens avec moi.

Ravi, l'intéressé émergea presque aussitôt de sa chambre, pour rejoindre ses deux camarades toujours interloqués face à l'attitude étrange de Amali.

Yannick quant à lui, suivi la jeune femme à assez bonne distance des oreilles inquisitrices des trois adolescents.

Peu à peu, sa tension se transforma en peur. De ses mains, elle attrapa celles de son collègue, qu'elle étreignit avec force.

— Je viens d'avoir Jérôme, de l'AEC. Les enfants ont été emmenés.

Un instant, Yannick resta abasourdi. Dans sa tête s'assemblèrent les pièces du puzzle que Amali venait de lui délivrer : Jérôme, l'AEC, les enfants...

— Jérôme Petit ? Au foyer Arc-En-Ciel ?

— Qui d'autre Yannick sérieux ?

— Du calme, grinça l'éducateur. Qu'est-ce que tu entends par ''emmener les enfants'' ?

Amali inspira à pleins poumons, et lui raconta alors rapidement ce que leur avait délivré leur collègue du foyer Arc-En-Ciel, situé à plus de deux heures de route.

Selon ses dires, plusieurs camionnettes militaires se seraient infiltrés à l'intérieur de l'enceinte du foyer, avant de menacer les membres restant d'une équipe explosée et éparse : sous la menace d'armes, ils avaient dû livrer les enfants, sans mot dire, sans se battre. D'après Jérôme, une de ses collègues aurait tenté de s'interposer : elle n'aurait pas dû.

— Jason est en train de gérer mon groupe. On se tire Yannick, avant que ces types n'arrivent chez nous.

— C'était peut-être un cas isolé ?

— Selon Jérôme, la même chose est arrivé dans un autre foyer de sa région. Ils les avaient prévenu, mais à l'AEC, ils n'ont pas eu le temps de s'enfuir. Nous, on l'a.

— Tu es certaine que ce soit la bonne solution ?

— Dans le doute, il vaut mieux se tirer. Va t'occuper de ton groupe, je vais me charger des ados. Un sac par personne, couette et oreiller, doudou si doudou il y a. Ok ?

Yannick hocha lourdement la tête, avant de regarder sa collègue tourner les talons pour rejoindre les jeunes restés près de la chambre de Jon.

Partir ? Aussi vite ? Les Touts Petits dont il avait la charge ne seraient pas difficiles à mener, il pourrait leur vendre la chose comme un jeu, une grande aventure ? Pour ce qui était des Grands en revanche...

D'un œil avisé, presque couvrant, il observa Amali manœuvrer avec les trois jeunes, avant de la dépasser pour aller s'occuper de son propre groupe.

— Je te fais confiance, lui souffla t-il en passant.

— On a plus que ça à faire de toute façon. Se faire confiance.

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