Chapitre 27

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Lundi 29 décembre 2019, 17h49

     La nouvelle était tombée le matin-même : garder secrète l'existence d'un ''mutant'' relevait désormais de la mise en danger d'autrui. Aller à l'encontre de la demande pourtant simple de conduire les individus touchés dans les centre relevait désormais de la peine d'emprisonnement. Avec sursit bien sûr, mais selon Iverick, nul doute que la sanction prendrait de l'ampleur à chaque nouvelle prise de parole du gouvernement. Ou plutôt, ce qui restait du gouvernement.

Bon en prédiction, la plus alarmante des options avait finalement été adoptée par le peuple comme une bénédiction : un général cinq étoiles de l'armée de terre avait pris les rênes. Plus de nouvelles du premier ministre, ni de la première dame, aux abonnés absents depuis le déclin du président et son suicide suggéré.

— Mais vous êtes pas genre... des déserteurs ? avait demandé Nathan, alors qu'ils préparaient leurs bagages.

— Oh que si. Mais, dans le sens où jusqu'à maintenant mes intuitions se sont révélées être bonnes, je préfère pas prendre le risque de retourner auprès de ma division avec ma nouvelle arme intégrée si tu vois ce que je veux dire.

L'adolescent avait hoché la tête, et était retourné au paquetage de ses affaires.

Iverick n'était pas dupe ; il savait bien que ces centres n'étaient ni plus ni moins que des moyens de contrôler les personnes ayant mutées. Cette mutation de l'ADN, c'était l'inconnu, et l'inconnu faisait peur. Ce qu'on ne peut contrôler, les choses sur lesquelles personne n'a de main mise avaient toujours fait grincer des dents aux gouvernement et de façon plus restreinte, aux personnes haut placées. Si on prenait l'exemple de Vasco ou Eden, dans un cas comme dans l'autre l'enjeu était de taille. Créer des explosions à partir de ses paumes ou contrôler l'esprit humain par un simple regard, il y avait de quoi frissonner. Eux étaient enfants, sous le contrôle et l'autorité d'adultes en qui ils semblaient avoir du respect et de l'affection. Mais, un criminel, un terroriste, qui viendraient eux aussi à développer ce genre d'aptitudes, les craintes ne seraient pas les même, et à raison. L'armée classique se devait d'admettre que face à la menace jusqu'à peu chimérique du ''super-pouvoir'', elle ne faisait pas le poids.

— Pas mal ce bateau, c'est quoi exactement ?

— Un cabine-cruiser, onze mètres de long, deux cabines de quatre couchages chacune, une de mes plus grandes fiertés après ma femme et mon poste de maître saucier !

Iverick sortit de sa rêverie lorsque les voix de Amali et de Pierre Troncy lui rappelèrent où il se trouvait, et pourquoi.

Port de Toulon, sur un ponton d'embarquement pour un cabine-cruiser que Pierre Troncy, vieille connaissance de son défunt père, mettait gracieusement à leur disposition pour leur trajet jusqu'à la côte italienne. La seule obligation était de l'emmener avec eux, afin que sa femme et lui puissent échapper aux contrôles surprises de la police nationale. Depuis que madame avait commencé à expirer de la fumée toxique, il était devenue compliqué de vivre sans la peur tenace qui les suivait à chaque sortie, celle de se faire prendre, et arrêter.

— Je pense que jusqu'à Massa, on en a pour presque trente heures de trajet, lança Pierre. J'espère que vous avez pris de quoi vous occuper les gamins !

Regroupés en tas difforme sur le ponton, les concernés lui jetèrent de drôles de regard, à mi-chemin entre la méfiance et la curiosité.

Lorsque vint le moment d'embarquer, Vasco fut l'un des premier à bondir du quai jusqu'au bateau, fier de fouler un pont pour la première fois de sa vie.

— Hé, je pourrais y prendre goût, lança l'adolescent, un immense sourire plaqué au visage.

D'un ton cassant, Nathan lui indiqua de la mettre en veilleuse avant de le rejoindre.

— Je suis toujours pas convaincu, grogna Yannick alors que tous sautaient un à un dans le bateau.

—Moi non plus, soupira Amali. Mais on a pas vraiment le choix. Entre les contrôles de police qui se multiplies et notre performance au barrage dans l'Ain, il vaut mieux pas se faire chopper.

— Qui te dit qu'en Italie ce sera mieux ?

— On a aucune garantie. Sauf qu'en Italie Jelena et Iverick seront pas recherchés pour désertion et nous autre pour mise en danger d'autrui. Il est hors de question que les gamins se retrouvent emmenés dans ces centre que nous ne connaissons que par les mots du général et que nous nous retrouvions nous, en taule.

— Je veux pas aller en prison, j'ai même pas encore mon diplôme d'infirmier ! marmonna Matteo.

Yannick tourna la tête vers le jeune homme, huma l'air pour s'assurer qu'aucune effluve de cannabis n'émanait de ses cheveux, avant de lui désigner le bateau du menton.

— Avance au lieu de dire des conneries.

— Hé ! Respectez-moi un peu tous les deux, je suis pas sous votre res...

Sous le poids du regard contrarié de Yannick, Matteo préféra ne pas achever sa phrase, déglutir et sauter sur le pont.

— Elies ! Viens me voir !

Le petit garçon accourut jusqu'à son éducatrice qui, accroupie, ferma la fermeture Éclair de son blouson rouge. Le sourire aux lèvres, Elies joua quelques instants avec les longues mèches châtains de la jeune femme, tandis qu'elle renouait les lacets de ses chaussures, y ajoutait un double nœud au cas où.

— C'est presque comme les vacances, murmura Elies, songeur.

— Un peu oui. Tu étais jamais venu à la mer toi non ?

Elies hocha négativement la tête, lui désigna l'horizon d'un doigt équivoque, fasciné par toutes les nuances d'orange, de rose et de bleu qui se confondaient dans les vagues.

— C'est beau.

— Tu as tout à fait raison, c'est magnifique. Allez, va rejoindre les autres.

Une étreinte et un bisou plus tard, Elies courait rejoindre les autres jeunes, se fit aider par Jon pour grimper sur le pont du bateau.

— Il en est où de son don ? murmura Yannick.

— Il s'active a priori que quand il dort ou qu'il a peur, comme l'autre soir à l'hôtel.

— Si on se base sur l'analyse plutôt... maligne de Jon, il créé ces sphères grâce à la pensée ?

Amali hocha la tête. Deux jours plus tôt, Mehdi était venu la trouver, inquiet, et l'avait tirée à sa suite jusqu'à leur chambre où Elies sanglotait, une immense sphère lumineuse au-dessus de sa tête. L'éducatrice s'en était rapproché, avait jaugée la chaleur qui émanait de la sphère, rien. Elle pouvait passer sa main au travers, elle n'était pas solide, ressemblait plus à une projection dans l'espace qu'à un véritable objet en lévitation. Après cette découverte, elle avait consolé Elies et tout à coup, la sphère avait disparue. Elle était cependant revenue la nuit, durant le sommeil du petit garçon, qui tout le monde le savait, craignait de dormir dans le noir le plus total.

— Il est loin d'aussi bien le maîtriser que Erwan, Vasco ou Jon.

— Ça devrait pas tarder à se mettre en route, sourit Yannick en avisant le ciel. Pas sûr qu'il y ait des veilleuses dans la cabine.

Le soleil était sur sa pente descendante ; il serait plus facile et moins suspect de quitter le port une fois la nuit tombée. Cependant, jusqu'à ce que le moteur n'ait démarré, Yannick n'était pas tranquille. À tout moment, un contrôle pouvait leur tomber sur le coin du nez et il était hors de question que le massacre du barrage ne se reproduise. Jelena s'approcha de Amali qui instinctivement, lui proposa son bras pour l'aider à marcher. La militaire bien que debout, souffrait toujours énormément de ses blessures, et ce malgré les anti-douleurs assez puissants que Yannick avait réussi à lui négocier avec un pharmacien.

— Tout va bien Jelena ?

— J'ai envie de clamser.

— C'est justement pour éviter ça qu'on se tire, répliqua Iverick, un énorme sac à dos sur l'épaule. En route mesdames, j'ai faim et envie de boire un bon café.

Amali roula des yeux, mais emboîta tout de même le pas au caporal, Jelena en appui sur son avant-bras.

Yannick, fut le dernier à grimper sur le pont. Avant de quitter le ponton, il balaya le port d'un regard embêté, n'arrivant pas à savoir si monter à bord représentait réellement leur seule solution de repli. Peut-être, après tout il n'était qu'éducateur, comment aurait-il pu savoir ce qui était de rigueur dans une situation frôlant la catastrophe politique ?

Avec un soupir, il tourna le dos au port, et embarqua à son tour, sans voir à quelques dizaines de lui, les deux hommes et la jeune fille qui les observaient partir.

    Le bateau avait quitté le port de Toulon depuis moins d'une heure lorsque le ciel, lentement, commença à changer. Au début, personne n'y fit réellement attention, occupé que chacun était au bon fonctionnement de la traversée. Selon Iverick, le trajet ne devait pas durer plus de deux jours, si la météo s'y prêtait. Donnée qui au vue de l'obscurité qui se mettait à tomber autour d'eux, devrait sans doute être revue à la hausse. Entre la nuit qui commençait à prendre ses droits et la grisaille qui emplissait le ciel, il n'y avait pas à être un génie pour comprendre qu'à peine partis, leur traversée prendrait du retard.

Jelena, Matteo et Amali tournaient en rond sur le premier pont, aux aguets du moindre navire suspect aux alentours. Si un jour quelqu'un leur avait dit qu'ils deviendraient les cibles d'une traque sans répit au cœur d'une déclaration de guerre approchante, ils n'y auraient jamais cru ! Mais le fait était que désormais, sous le poids de l'insécurité de l’hexagone, la seule solution restait de fuir en direction de l'Italie dans un bateau de fortune. Pierre était aux commandes, sa femme près de lui. Dans la cabine du capitaine avec Iverick et Yannick, ils n'avaient pas donné signe de vie depuis leur départ.

— Le temps est en train de virer, nota Matteo en s'abritant les yeux du vent.

— Bravo petit génie. T'en as d'autre des commentaires aussi instructifs ?

Le ton mordant de Jelena ne le blessait plus désormais, mais l'irritation qui en découlait le poussa à abandonner les deux jeunes femmes à la poupe du bateau. D'un regard, Amali fit comprendre son point de vu à sa vis à vis, tout en gardant un visage aussi neutre que possible.

— C'est pas parce que t'es stressée que tu dois aboyer sur tout le monde.

— De quoi je me mêle ? Et puis les anti-douleurs font presque plus effet.

— Baisse d'un ton. J'ai déjà dû gérer les crises existentielles de Vasco et Jon ce matin, je suis pas d'humeur à remettre le couvert, et encore moins avec toi. Si tu veux des cachets, tu me le demande et je vais t'en chercher.

La militaire renifla, mais n'ajouta rien, préférant couler un regard en biais à Amali. Les cheveux de l'éducatrice volaient en tout sens, lui barraient le visage et cachaient ses yeux. D'une main, Jelena repoussa les mèches, afin que Amali puisse constater son sourire en coin.

— Excuse-moi.

— Peut-être. Je suis pas sûre d'en avoir envie.

Le visage de Jelena, confuse face à la réponse de Amali, se fendit d'un sourire lorsque cette dernière se mit à rire, plutôt fière de son effet.

Longuement, les deux jeunes femmes restèrent à contempler les vagues, le ciel nuageux et la mer, à perte de vue. Ce paysage, ce moment de pause faisait du bien à Amali. Le matin même, et comme elle venait de le rappeler à Jelena, elle avait dû gérer un accrochage des plus conséquents entre Vasco et Jon. Dans un monde classique, les disputes entre jeunes se réglaient souvent d'un coup de poing et d'une insulte, mais dans cette nouvelle réalité, Vasco avait commencé à menacé Jon de lui ''exploser la gueule'', au sens propre du terme. Pour ne rien arranger, les fan clubs respectifs des deux camps avaient fini par s'en mêler, et la ''TeamJon'' comme les avait surnommés Yannick, comptait tout de même Erwan et Eden, ce qui n'était pas négligeable compte tenu de la menace d'utiliser les dons. L'affrontement s'était soldé de hurlements de la part de Amali, d'une remise à plat de la situation et du besoin vital de rester en bonne entente, de se serrer les coudes. Le message était passé du côté de Vasco mais étrangement, Jon y était resté sourd, explosant une table de nuit de son poing serré, la verve aux lèvres. Et malgré un interrogatoire en bonne et due forme, à l'heure qu'il était, Amali ne savait toujours pas ce qui avait déclenché la guerre.

Jelena gronda en tenta de dénouer son dos, s'attira le regard inquiet de l'éducatrice.

— Tu veux que j'aille te chercher tes caches ?

— Pourquoi sur tous ces gosses, y'en a pas un qui a le pouvoir de guérir les blessures ?

Amali sourit, haussa les épaules avant de se redresser. Sur le pont, de petites gouttes d'eau commençaient à tomber du ciel. L'orage arrivait plus rapidement que prévu.

— Attends, je viens avec t...

Un éclair, suivi de près par un coup de tonnerre tout proche coupa court à ses mots. Sous le choc elle avala sa lèvre inférieure entre ses dents, battit des cils. Dans la cabine, Yannick et Iverick leur faisaient signe de les rejoindre.

Le temps qu'elles atteignent les portes, la pluie s'était mise à tomber, glaciale et violente sur le pont.

Face au poste de commande, Iverick et Pierre étaient agités. Le caporal ixait le ciel d'un gris de plus en plus sombre tirant sur un noir d'encre qui ne lui inspirait rien de bon. Ses mains tremblaient légèrement sur le gouvernail, il ne savait pas comment appréhender la mer de plus en plus agitée.

— Iverick, ça va ?

Il releva la tête vers Jelena, ne répondit pas immédiatement : il n'avait pas de réponse claire à lui apporter. Il ne savait pas très bien conduire ce genre d'appareil, et malgré les conseils de Pierre à côté de lui, il se sentait prêt à faire une connerie dans les secondes qui arrivaient. C'était bien leur chance, de se prendre un orage sur la tête une heure après leur embarquement !

Contrarié, il grinça une injure, plissa les yeux pour avoir une meilleure vue sur l'horizon : les vagues gonflaient, d'une façon qui ne lui inspirait rien de bon.

   Dans la cale, assis en tailleur sur la banquette qui lui avait été attribuée, Nathan jouait au solitaire, à des lieux de se douter de ce qui se tramait à la surface.

À côté de lui, Théo et Elies se disputaient une partie de petit bac sous la surveillance discutable d'un Erwan plus intéressé par les expérimentations de Vasco que par ses deux camarades.

— Tu devrais pas faire ça ici, souligna Nathan sans quitter son jeu du regard.

— Je m'en tape.

— Si t'as encore les boules par rapport à la branlée que t'a mis Amali, tu l'avais méritée.

Vasco grinça des dents, adressa un doigt d'honneur équivoque à Nathan avant de revenir aux crépitements qui désormais, arrivaient à se localiser au bout de ses doigts. Mehdi rigolait en comparant ses doigts à des baguettes magique, ce qui ne le faisait absolument pas rire. La cabine était minuscule, ils se montaient tous dessus en voulant faire trois pas, c'était insupportable. Et, loin de dissocié de ce constat, une cabine de dix mètres carrés remplie d'adolescents à la senteur discutable commençait à lui courir sur le haricot. Le déodorant existait, était-il le seul à être au courant de ça ?

Avec irritation, il considéra longuement Jon, occupé à se ''recentrer'', les yeux clos et les mains à plat sur les oreilles.

Eden près de lui, l'observait avec un drôle d'air, quelque chose à mi-chemin entre l'interrogation et l'inquiétude.

Depuis que monsieur avait développé en plus du reste, cette capacité à accroître ses sens de façon non-contrôlé, il passait la plupart de son temps dans cet état, prostré, le visage tordu dans une grimace douloureuse.

— Vasco, ta manche brûle.

La voix de Mehdi le tira de ses pensées. Avec lassitude, il agita le bras afin d'éteindre les quelques flammèches qui léchaient sa manche déjà bien entamée, avant de revenir à son ami, un sourire au coin des lèvres. Assis en face de lui, Mehdi rigolait à gorge déployée, le qualifiait de ''pétard mouillé'', ce qui au bout d'un moment, finit par arracher un rire à Vasco.

— Tu as vu que...

Un choc d'une violence inouïe le coupa brutalement, le laissa sans voix. Comme s'il venait de se recevoir un coup de poing, l'air s'échappa de ses poumons en une seconde. Le jeu de carte de Nathan venait de voler en tous sens, et s'étalait désormais sur le parquet de la cabine. Hébété, le jeune homme commença à se pencher pour ramasser les cartes lorsqu'un nouveau choc ébranla la cabine. Elies poussa un gémissement effrayé en constatant le mouvement des ampoules au plafond, qui bougeaient de droite à gauche dans un rythme tendu. Par réflexe, le plus jeune de la cabine rejoignit Eden et Jon, qui fixaient le plafond d'un air soucieux.

— Il se passe quoi ? s'enquit Mehdi.

Jon ouvrit la bouche, prêt à répondre, lorsqu'un nouveau choc, le plus violent de tous, sembla retourner la cabine.

Dans une cacophonie de cris et de jurons, tous essayèrent de se retenir aux meubles, aux murs, se se raccrocher les uns aux autres, en vain : le bateau venait tout bonnement de chavirer.

En chutant, Nathan se heurta à l'armature de sa couchette, au niveau du crâne. Étourdi, il ne comprit pas immédiatement que la situation venait à l'image de leur bateau, de chavirer en quelques secondes. Étendu sur ce qu'il devinait être à l'origine un des murs de la cabine, Nathan patina en se redressant, manqua glisser sur la surface lisse d'un hublot. L'ampoule grésillait, menaçait de s'éteindre.

— Tout le monde va bien ? demanda t-il.

Il avait eu de la chance, ne s'était pas blessé en chutant, ce qui n'était visiblement pas le cas de tous, à en juger les voix isolées qui lui répondirent.

— Jon ça va ?

Un gémissement plaintif lui parvint, lui indiquant ainsi à quelle masse obscure appartenait la voix de Jon. Tremblant, il le rejoignit en se retenant du mieux qu'il le pouvait, la cabine toujours agitée de chocs plus ou moins violents.

— Tu entends Amali ? Et Yannick ? Qu'est-ce qu'ils disent ?

D'un bras autour des épaules de son ami, Nathan l'aida à se redresser en position assise, chercha son regard dans le peu de luminosité qu'il leur restait.

— Je les entends pas, ils parlent pas..., murmura t-il au bout de quelques instants de silence. Mais j'entends les battements de leurs cœurs, ils sont vivants.

— Ok génial euh...

Nathan, à nouveau debout, balaya la petite pièce d'un regard attentif, repéra Elies, étendu près d'une armoire renversée. Alors qu'il amorçait son avancée vers le plus jeune, un détail attira soudainement son attention : de l'eau ruisselait à ses pieds, et montait vite.

— Merde, souffla t-il. Merde, merde ! Tout le monde, faut émerger là ça craint !

Rapidement, il parcourut la distance qui le séparait de Elies, le secoua doucement pour le faire revenir à lui, et constata au ralenti que le petit garçon était blessé au niveau du crâne.

— Tu as mal Eli ?

— Elle est où Amali ?

Le cri de Théo surprit l'adolescent cependant, au moment de se retourner pour prendre connaissance de son état, la faible luminosité que leur offrait encore l'ampoule disparue, noyée dans l'eau qui leur arrivait désormais à la cheville.

— Par où rentre la flotte ? demanda Vasco, à l'autre bout de la pièce.

— Je sais pas putain. Tout va bien de votre côté ? Comment vont Erwan, Eden et Mehdi ?

— Moi ça va, répondit Erwan en le rejoignant.

Ses pas dans l'eau étaient spongieux, tout le monde pouvait entendre le supplice des semelles imbibées d'eau glacée. Nathan frissonna, puis revint à Elies, qu'il redressa à bout de bras, pour prendre son visage en coupe.

— Eli c'est Nathan écoute il faudrait... il faudrait que tu nous éclaires.

Nathan priait, espérait qu'Elies parvienne à gérer son don, à l'exercer malgré les circonstances. Le petit garçon sembla opiner, puis, comme une libération, de ses mains jaillirent deux sources de lumière assez faible, mais qui dans leur situation étaient mieux que rien.

— Mehdi est inconscient, lança alors Vasco, la voix blanche.

— Il respire ?

— Oui oui.

Nathan remercia Elies d'un baiser sur le front, rassura l'enfant avant de retourner auprès de Jon qui, horrifié, fixait un point dans la salle que Nathan lui-même, n'avait pas remarqué depuis le retournement de la cabine.

L'eau qui peu à peu inondait la cabine, provenait de l'encadrement de la porte, la seule issue de la pièce, au plafond. L'eau en s'écoulant, produisait un bruit si infime que face à la respiration lourde et saccadée des jeunes, il n'y avait pas portée attention.

— Non..., souffla t-il.

Il comprenait au ralenti que la situation de critique, venait de passer à désespérée. La cabine s'était retournée, de façon à ce que leur sol soit désormais l'un des deux murs de la cabine. Ainsi c'était de la porte qui donnait accès au couloir de sortie, désormais au plafond, dont gouttait l'eau. De ce constat, deux conclusions : le bateau était totalement inondé et quand bien même ils voudraient quitter la pièce, il leur faudrait atteindre la porte, au plafond.

— Toujours pas de nouvelles des adultes ?

— … rien. On fait quoi ?

Nathan réfléchit, quelques secondes, qui lui parurent une éternité puisque lorsqu'il revint à lui, l'eau lui arrivait désormais aux genoux.

— Combien de temps depuis que l'eau a commencé à passer ?

— Trois minutes je dirais, marmonna Vasco.

— Ok donc l'eau monte très, très vite. Il faut qu'on trouve une idée.

Ils n'avaient pas dix-mille solutions : soi ils prenaient le pari de grimper jusqu'au plafond et d'ouvrir la porte, ce qui entraînerait une inondation immédiate de la pièce, mais aussi une possibilité de sortie jusqu'à la surface, soit ils tentaient de casser un hublot grâce à la force de Jon, ce qui malheureusement voudrait dire une fuite par le fond.

— On peu pas attendre, grogna Eden, la voix pâteuse.

— On tente par la porte ?

— Une fois passée, il suffit de retrouver l'escalier de sortie qui mène au pont, et ensuite ça sera bon non ?

La remarque de Vasco détendit légèrement Nathan, qui n'eut cependant pas le temps de se réjouir longtemps. En simultané, les sanglots de Erwan et Théo éclatèrent à ses oreilles.

Anesthésié par l'urgence et la peur, l'adolescent entendit de loin la voix de Jon, tentant de rassurer les deux enfants, les appréhensions de Vasco, les battements de son cœur qui de seconde en seconde, cognait de plus en plus fort dans sa poitrine.

L'eau, lui arrivait désormais en haut des cuisses.

— Je vais pas pouvoir, sanglota Erwan. Je peux pas, je veux Amali, je veux rentré à la maison, je veux pas me noyer !

— Tu vas pas te noyer, promit Jon, un sourire réconfortant aux lèvres. Tu es fort, tu es un grand garçon Erwan, on va ouvrir la porte et après, il te suffira de nager jusqu'à la sortie et...

Les pleurs redoublèrent, Erwan sanglotait à grosses larmes, l'eau au niveau de la taille.

— J'ai froid, lança Elies.

Rapide, Nathan le rejoignit et lui indiqua de grimper sur son dos : il était le plus petit de taille mais surtout leur seule source de lumière, ils ne pouvaient pas prendre le risque de le voir tourner de l’œil à cause du froid.

Tandis que Jon tentait par tous les moyens de rassurer Erwan, il sentit soudainement une main se refermer sur son épaule. À côté de lui, Eden se baissa pour avoir un meilleur contact visuel avec Erwan puis, aussi doux qu'il le pouvait, il lui offrit un sourire en coin.

— Tout va bien se passer Erwan. Tu n'as pas peur, tu vas y arriver.

À mesure que ses mots quittaient sa bouche, Jon comprit la manœuvre. Dans l'obscurité de la pièce, et outre les sphères lumineuses de Elies, c'était désormais les yeux de Eden qui éclairaient le visage terrifié de Erwan.

— Eden ça craint de faire ça, s'offusqua Nathan.

— C'est soi ça, soi on pourra pas bouger d'ici. Ils sont tétanisés.

Eden n'avait pas quitté Erwan des yeux, bien que ses mots eurent pour cible Nathan, à quelques mètres de lui.

— Tu vas être un grand garçon, et nager jusqu'à la sortie, sans t'arrêter, ok ?

Les sanglots se tarirent presque immédiatement. Lentement, Erwan opina, rendit son sourire à Eden, tandis que ce dernier s'attaquait à Théo, sur le même ton mielleux.

— Pas con, reconnut Vasco. Il a raison, pour une fois. On aurait pas pu les tirer de force.

— Tu vas pouvoir porter Mehdi ou tu veux que je m'en charge ?

La question de Jon fit frémir Vasco, qui lui répondit par la négative : il pouvait très bien se charger de son meilleur ami tout seul.

— Je vais partir devant avec Elies, Erwan et Théo vous me suivez, puis Vasco et Mehdi, quant à Eden et toi, vous fermerez la marche ok ?

Jon acquiesça aux directives de Nathan, incapable de se représenter lui-même dans ce plan d'évacuation suicide.

Quelques minutes plus tard, et alors que l'eau arrivait désormais au niveau des côtes des plus grands, Eden souffla une dernière indication à Erwan :

— Tu vas ouvrir la porte avec ton pouvoir d'accord ? Tu n'as pas peur.

L'instant d'après, la salle se noyait totalement dans l'eau glaciale.

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