Chapitre 34

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Vendredi 27 juillet 2022, 14h10

   Nathan n'en revenait pas. Debout au milieu d'un hall de gare immense, il regardait tout autour de lui les mutants du centre de Rhône-Alpe se presser autour de Jelena à la façon d'une secte autour d'un gourou. La jeune femme, vraisemblablement étourdie par la foule et le bruit qu'intensifiait l'écho du hall, cherchait du soutien du côté de Matteo qui les bras croisés n'en menait pas plus large. Les yeux écarquillés, l'ancien étudiant infirmier n'arrivait pas à garder son regard rivé sur un point fixe ; il détaillait tout et tout le monde.

— On était pas si nombreux au centre, lança Nathan, tout bas.

Il ne souhait pas que tout le monde l'entende, simplement Vasco qui les sourcils froncés, se tenait près de lui.

— C'est un fait, reconnut-il. J'ai entendu des filles parler de bouche à oreille. J'imagine qu'à part nous, les mutants du centre devaient être originaires de cette région et... bah ils devaient connaître des gens en-dehors du centre, peut-être d'autres mutants qui étaient cachés et qui veulent se rallier à nous ?

— Je vois pas ce que ça pourrait être d'autre.

Les deux jeunes échangèrent un regard entendu, avant de suivre avec discrétion, la progression d'une petite fille dans la dizaine, jusqu'au côté de Jelena. Énergique, la petite attrapa le bras de l'ancienne militaire afin d'attirer son attention.

— C'est vous qui avez tiré les feux ?

Jelena resta un instant interdite, avant de se baisser à hauteur de l'enfant pour replacer une mèche de cheveux derrière son oreille, le sourire aux lèvres.

— Oui c'est moi. Comment tu t'appelles ?

— Julie. Maman arrêtait pas de répéter que lorsque les feux seraient tirés dans le ciel, il faudrait les rejoindre, et on retrouverait papa.

— Ton papa était enfermé au centre ?

— Oui, avec ma sœur Anaëlle.

Jelena hocha la tête, se passa la langue sur les lèvres afin de les humidifier, palier à leur sécheresse. De se retrouver sous le feu des projecteurs ne lui plaisait pas vraiment, elle n'avait jamais aimé se retrouver face à la foule, à devoir parler, convaincre.

Nul doute que Amali aurait été meilleure que moi à ça, songea t-elle avec amertume.

Depuis quatre jours qu'ils avaient quitté la maison souterraine, ils n'avaient pas arrêté : tout d'abord, et comme il avait été convenu lors de la préparation de la phase B de leur plan, elle avait retrouvé un artificier dont le nom lui avait été transmis par une femme d'un certain âge à l'intérieur du centre. De là, elle avait récupéré de quoi indiquer un périmètre de regroupement aux différents mutants du centre, dispersés aux alentours de Lyon, et qui n'attendaient que son signal. Certain avaient quelques réticences lors de la préparation du plan, à miser leurs retrouvailles sur un élément aussi voyant que des feux d'artifice mais, elle avait contré en assurant que les feux étant tirés à plusieurs endroits différents afin de créer un périmètre, il serait très difficile pour la milice de les prendre en embuscade. Et, de toute manière, sans leurs bracelets électroniques inhibiteurs, ils avaient avec eux l'avantage de leurs dons, face à des humains normaux, sécurisés par de simples armes.

Après avoir tiré les feux, ils avaient donc attendus quelques heures, et avaient rejoint le centre de leur périmètre d'action ; une ancienne gare abandonnée, assez grande pour accueillir tous les rescapés, et bien plus encore.

— Et dis-moi Julie, tu possède un don toi ?

— Non, soupira la petite fille. Mais mon papa et ma sœur oui, c'est pour ça qu'ils ont été enfermés. Nous on vient en soutien, pour vous aider.

Comme pour imager sa détermination, la petite frappe du poing dans sa paume, un sourire aux lèvres.

Jelena acquiesça, fit signe à Nathan et Vasco de les rejoindre.

— Tu vas avoir du mal à capter l'attention de tout le monde vu le bruit, la prévint Nathan.

— On parie ?

Lentement, elle leva le bras, paume ouverte vers le plafond, et laissa jaillir de sa paume une colonne de flammes qui à défaut de mettre le feu au bâtiment, attira au moins l'attention des mutants et de leurs alliés.

Impressionné par la façon de faire de la jeune femme, Nathan s'adossa au mur le plus proche, et l'écouta déblatérer un semblant de discours quelque peu décousu. En quelques phrases brèves, elle réexpliqua le plan de base, celui qui leur avait permis de s'échapper du centre, avant de revenir sur la Phase B, celle qu'ils avaient tenu muette, qui s'avéra être à la vue du nombre de personnes réunis, un franc succès.

— Je sais que pour beaucoup, la suite des opérations c'est l'inconnu mais, dites-vous que face à la vie du centre, l'inconnu sera toujours préférable.

Un cri de foule gutturale et virulent lui répondit, fit frémir Vasco.

— Je tenais également à m'excuser d'avance : lors de notre préparation de ''l'après'', je vous vais parlé d'un possible soutien du mouvement de résistance. Il n'en sera rien. Après entretien avec certain de leurs membres, il est désormais clair que face à cette dictature militaire, violente et discriminante, la résistance n'agira pas de façon assez forte pour faire cesser cette haine injustifiée que le peuple a envers nous. Leur force d'attaque étant la force douce, nos convictions et nos axes d'attaque n'auraient pas pu cohabiter. J'en suis navrée car il est vrai que bien qu'inefficace, la résistance possédait tout de même un réseau que nous n'avons pas.

Elle s'arrêta un instant, reprit son souffle, captivée par l'attention que tous avaient envers ses paroles.

— Cependant, après notre premier coup d'envoi de demain, n'ayez plus peur de notre, invisibilité auprès du grand public : les gens connaîtront notre nom, notre but et mieux encore, ce qu'il en coûtera de nous sous-estimer et de nous mépriser.

Théo et Vasco hochèrent la tête, lancèrent une vague d’applaudissement qui comme une traînée de poudre se répandit en quelques secondes à travers la foule.

Nathan pour sa part, resta stoïque, hésitant face aux derniers mots de Jelena, choisis pour gargariser les mutants, choisis pour exciter la foule.

Quelque chose dans cette approche de leur recherche d'écoute et de considération de la part du gouvernement ne lui semblait pas intelligente, peu travaillée. Une sorte d'action bourrin dont le seul but serait de choquer par la violence. Sans parler de pacifisme pur et dur, il existait d'autres méthodes pour interpeller.

Cependant, à la vue de cette foule grouillante portée par un besoin vengeur et gorgée de colère, il ne put faire autrement qu'applaudir, bien que son cœur n'y soit pas.

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