Chapitre 36
36
Dimanche 29 juillet 2022, 17h31
Les mains agrippées au rebord de la cuvette, penché en avant, Mehdi vomit pour la troisième fois consécutive, la gorge en feu et le visage trempé de sueur. Il respirait vite et fort, n'arrivait pas à calmer les battements effrénés de son cœur. En boucle, il revoyait Vasco rentrer dans cet immeuble après lui avoir assurer que tout irait bien. En boucle, il revoyait cette rue lyonnaise tranquille, ces quelques passants blancs de toute intuitions au vu de leur attaque, innocents. Ces enfants, ces mères avec poussettes, ces vieillards, ces hommes qui n'avaient rien demandé. Puis l'explosion, puissante et destructrice, qui en quelques instants, avait rayé de la métropole une tour de sept étages de haut. Dans un nuage de fumée aussi noir que la nuit, l'immeuble avait été secoué par la base, avant de lentement se défaire, s'effondrer sous les regards incrédules des citoyens.
Comme une ombre, Vasco était ressorti de l'édifice en ruine en quelques instants, avait sauté dans la voiture, et indiqué à Matteo qu'il pouvait démarrer.
Une nouvelle gerbe le plia en deux, termina de souiller les toilettes dans une cacophonie qui à elle seule, parvenait à écœurer Mehdi.
— Oh bordel ça schlingue ici, grommela Vasco en passant la porte.
Mehdi ferma les yeux, tenta de chasser de son esprit les images atroces de l'attentat duquel ils étaient les investigateurs, se tendit comme un arc lorsque sur son dos, la main de son meilleur ami vint imposer sa présence amicale.
— Mehdi, ça va pas ?
— J'ai du mal digérer un truc, mentit le jeune homme en se redressant.
D'un revers du bras, il essuya le filet de bave au coin de ses lèvres, avant de se tourner face à Vasco. Il prit soin d'éviter le regard de l'autre garçon jusqu'à atteindre le robinet pour se laver les mains, et ainsi braquer son attention sur ses doigts tremblants sous l'eau froide.
— Mehdi, répéta Vasco, ferme.
— Quoi ? J'ai pas besoin de t'expliquer comment fonctionne la digestion si ?
— T'as rien bouffé depuis ce matin. Alors arrête avec tes mythos et dis-moi ce qui se passe.
À nouveau la présence écrasante de Vasco tout près de lui, son aura étouffante qui à défaut de rassurer Mehdi, le rendait encore plus nauséeux.
Longtemps, il avait adoré Vasco, lui avait trouvé toutes les qualités du monde : sportif, débrouillard, plein d'assurance et de détermination, il renvoyait auprès de Mehdi un idéal à atteindre, une sorte de modèle à suivre. Au Phoenix, il l'avait souvent couvert lorsqu'il allait trop loin, qu'il s'en prenait à Erwan et Gabriel, qu'il dépassait les bornes avec les éducateurs. C'était son meilleur ami après tout alors, c'était son devoir d'être de son côté, envers et contre tout.
Mais maintenant, trois ans après l'apparition du virus, trois ans après son arrestation et sa mise en cellule au centre de confinement, que restait-il du Vasco au mieux espiègle au pire sale gosse du Phoenix ? Une image délavée et aux couleurs plus sombres, déformé par la rancœur et l'envie de revanche, quitte à ne rien laisser sur son passage.
Le bilan total des morts de l'attentat s'élevait désormais à quatre-vingt personnes, et il ne s'agissait pas que du service relatif au centre de confinement, Mehdi en était certain. Dans ces quatre-vingt personnes, il y avait aussi des innocentes, beaucoup d'innocents, des enfants, des jeunes qui comme eux trois ans plus tôt n'avaient jamais rien fait à personne.
— Je...
— C'est par rapport à hier je me trompe ?
— Vasco, vous avez tué des innocents, il y avait pas que des mecs du centre dans cet immeuble.
— Tu connaissais le plan, pourquoi c'est que maintenant que tu tiltes ? Et puis, tous ces ''innocents'' comme tu dis, ils ont fait quoi pour nous aider nous, quand on était enfermés au centre ? Ils connaissaient l'existence de ces endroits, et je pense pas que la majorité d'entre eux faisait partie de la résistance. En d'autre termes, c'est comme s'ils étaient complices.
La lèvre inférieure entre les dents, Mehdi se redressa, prit son courage à deux mains et enfin, se retourna face à son meilleur ami, avant de prendre une grande inspiration.
— Tu te rends compte de ce que tu dis au moins ?
— Mehdi, il faut que ça change. Il faut que ces centres ferment et sans action comme hier, personne ne fera rien.
Mehdi ouvrit la bouche pour répondre, lorsque la porte des toilettes s'ouvrit à la volée sur Théo, les yeux brillants derrière ses lunettes.
— Amali est là.
Vasco se recula enfin, permit à Mehdi de reprendre son souffle, avant de darder son regard sur Théo. L'adolescent trépignait d'un pied sur l'autre, jouait avec une mèche de cheveux, les yeux rivés au sol.
— Et Erwan est avec elle.
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