Chapitre 39

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39

Lundi 30 juillet 2022, 21h49

   Jon hésitait. La hauteur à laquelle il se trouvait lui semblait exorbitante. En bas, il ne discernait presque rien, si ce n'était le hall immense, obscur et froid de la gare à moitié détruite. Des éclats de verre brillaient à la lueur du soleil couchant, renvoyaient sur les murs des ombres aux couleurs calmes et apaisantes. En sautant de cette hauteur, qu'est-ce qui lui garantissait qu'il ne finirait pas broyé sur un tas de fragments de verre conséquent, coupé ou blessé ? Bien que son acquitté visuelle, tout comme son ouïe et ses muscles, se fut améliorée avec sa mutation, il ne possédait pas de vision nocturne lui permettant de voir dans la semi-pénombre.

— Jon, tu rêves là ?

— Je suis venu ici un jour avec une de mes familles d'accueil. Il y avait plein de monde et ça sentait la javel. On devait prendre un train pour St Étienne, et on avait manqué le louper à cause du manque d'indications et...

— Jon ?

— Oui ?

— On en parlera plus tard tu veux ? Quand on sera pas sous la menace de se faire voir par les flics.

Eden ne lui laissa pas le temps de répliquer, et sauta en avant, presque sans hésiter, laissant derrière lui un Jon étourdi. Son meilleur ami le regarda plonger dans le vide sans appréhension ou presque, se réceptionner en bas sans un pli. Droit, net, sans bavure.

Iverick sauta à son tour, se réceptionna avec souplesse sur le sol carrelé du hall, tout près de Eden et Erwan.

— Personne aux alentours, les rassura Jon après avoir sauté à son tour. J'entends rien d'alarmant à plus d'un kilomètre.

— Génial. Alors on s'active : on récupère Mehdi, on fait le tour de la zone et on dégage vite fait, cette gare me fout les jetons.

Eden et Erwan hochèrent la tête, pour se mettre dans l'instant à la recherche de leur camarade, impossible à identifier sous les nombreuses bâches. Jon et Iverick quant à eux, débutèrent leur inspection des lieux, à la recherche du moindre indice qui peut-être, pourrait leur indiquer où se dirigeaient Jelena et les autres.

Ils comptaient venir inspecter l'endroit bien sûr mais, un message de Jelena sur le portable de Amali avait quelque peu précipité leur mission : « Mehdi mérite pas de pourrir dans cette gare ». Dans les minutes qui avaient suivi le message, Amali avait bien sûr tenté de joindre l'autre jeune femme en vain, le numéro n'était selon la boîte vocale, plus attribué.

C'était donc à peine un jour après la mort de l'adolescent que Iverick, Erwan, Eden et Jon s'étaient détachés pour venir récupérer le corps, afin de pouvoir lui faire leurs adieux et lui offrir un enterrement nécessaire.

À côté de leur recherche initiale, demeurait le besoin de comprendre, et théoriser sur le départ précipité de Jelena, Matteo et leur groupe.

— Je l'ai, lança Erwan.

Ses doigts tremblants étaient refermés sur un pan de bâche. En-dessous, froid et inerte, Mehdi semblait comme endormi, les bras le long du corps, les yeux clos et l'expression figée.

Jon fut le premier à le rejoindre, et à constater l'adolescent dont seul le cou trahissait de la violence de sa mort ; bien que le sang eut séché, il formait tout de même une croûte épaisse autour de la blessure béante. Erwan tressaillit, accepta volontiers la main réconfortante de Jon sur son épaule, avant de tirer complètement la bâche pour dévoiler le corps de l'adolescent dans sa globalité.

— Putain, souffla Iverick en s'agenouillant près du jeune. Ils l'ont pas loupé ces fils de pute. Ça fait chier, pauvre gamin, il méritait pas de finir comme ça.

Sans plus attendre, il passa ses bras sous les genoux et le dos de Mehdi, gronda à la découverte du poids mort du jeune, avant de se redresser.

— On peut rentrer, les informa Eden. Il reste que dalle ici à part des cadavres et des déchets.

— Et pour...

— Ils finiront bien par faire reparler d'eux. Barrons-nous d'ici, cet endroit est super glauque.

Personne ne répliqua, unis dans u n sentiment d'accord quant aux paroles de Eden. Ils étaient partis en catastrophe certes, mais n'avaient rien laissé derrière eux.

Erwan soupira, balaya une dernière fois le hall du regard avant de se planter face à Iverick, et de lever les mains :

— On fait comme on a dit ?

— Vas-y mon grand.

En un instant, le corps de Mehdi se mit à léviter, sous le regard et la concentration inébranlable de Erwan. En quelques secondes, le corps inerte atteignit le rebord des fenêtres, stable. Afin de regagner la sortie à leur tour, Eden se hissa sur le dos de Jon qui, d'une simple impulsion, sauta assez haut pour se réceptionner sur les rebords de fenêtre. Quant à Erwan, il prit également place sur le dos de Iverick qui quoi que plus long, retrouva à son tour la sortie en s'aidant de ses griffes pour gravir le mur de la gare. À la façon de piolets, il s'en aida pour se hisser mètre par mètre jusqu'à la seule sortie praticable de la gare, à savoir les immenses baies vitrées brisées donnant sur une place pavée. De ce qu'ils avaient pu constater en arrivant sur place, les deux entrées principales s'étaient effondrées à la suite de l'explosion de Vasco.

— Même opération pour descendre ? On saute ? J'aime pas sauter dans le vide.

— Arrête de faire ton bébé pleureur Jon, ça risque rien, le rabroua Eden tout en lui tapotant le crâne d'une façon hautement infantilisante.

— T'es le seul ici qui n'a pas de don qui en cas de raté te permettrait de t'en sortir, alors moufte.

Eden secoua la tête, jeta un coup d’œil à Erwan pour s'assurer de la bonne prise en charge de Mehdi avant de sauter à l'extérieur de la gare. Les fenêtres n'étaient pas si hautes, cinq mètres au plus ; durant les trois ans qu'il avait passés avec Amali, Yannick et Mehdi, il avait conditionné son corps à pouvoir répondre à ce genre de sollicitation. D'arbres en arbres dans la forêt tout autour de la maison, il avait pris en souplesse et en force, n'avaient plus peur de se jeter dans le vide car assuré d'y parvenir, et sans casse.

La voiture n'était pas garée loin, à quelques rues seulement et pourtant, cette distance fut suffisante pour qu'une petite équipe de policiers ne les remarque, et les interpelle.

Jon se tétanisa, en regardant les trois hommes en uniforme les rejoindre, toutes armes braquées dans leur direction. Elle était loin, l'époque où on ne prenait plus les forces de l'ordre au sérieux. La vapeur avait tournée, et pas à leur avantage à eux, mutants récemment évadés d'un centre de confinement.

— Qu'est-ce que vous faisiez là ? Cette gare est fermée au public dep...

L'homme qui s'adressait à eux jusqu'alors se tut, ses yeux rivés sur le corps de Mehdi, entre les bras de Iverick. À la couleur de la peau du jeune homme, à la raideur de ses membres, il ne fallait pas être un génie pour deviner le problème inhérent à son manque de réaction. Il sembla à tous voir la mâchoire de l'homme se contracter, pour ne plus se desserrer.

— Il a été pris dans la tuerie de la gare hier, expliqua Iverick. On venait juste récupérer son corps.

— Qu'est-ce qu'il faisait dans cette gare en premier lieu ?

— La faute a pas de chance, soupira l'ancien caporal. Il ne faisait pas parti du groupe terroriste qui a fait sauter l'immeuble en centre-ville, je vous le garantie.

Le policier en face de lui semblait réellement impacté par la vue du corps mort de l'adolescent, se tourna un instant face à ses collègues pour constater la présence des test de dépistage d'ores et déjà entre leurs mains.

Erwan tremblait de tous ses membres, se raccrochait au bras de Eden avec force, les yeux écarquillés par l'appréhension.

— Vous savez que la loi de janvier deux-mille-vingt m'oblige à vous tester afin de vérifier votre état de santé ?

— On sait, répondit calmement Iverick. Mais si je peux vous éviter de gaspiller vos tests : nous sommes tous mutants ici.

Erwan se figea, le cœur tétanisé dans sa cage thoracique. Pourquoi Iverick faisait-il ça ? Les vendre auprès des policiers, le tout avec un petit sourire en coin ? Sa prise sur le bras de Eden se fit plus forte, arracha un grognement au jeune homme. En relevant la tête, il constata les orbes vertes luminescentes de Eden, songea à se détendre avant que son attention ne soit à nouveau braqué sur les forces de l'ordre, dont la voix s'éleva à nouveau :

— … je vois, répondit le policier. Dans ce cas, je vais devoir contacter le centre de Rhône-Alpe pour vous y faire admettre ?

— J'en ai peur oui.

L'homme demanda leur téléphone de service à son collègue, le déverrouilla avant de pianoter sur l'écran tactile. Erwan s'agitait de plus en plus, tirait sur le bras de Eden, tentait de le faire réagir.

— Je veux pas retourner au centre par pitié, souffla t-il au plus âgé.

Eden le couvrit du regard, passa une main dans ses cheveux pour le rassurer, tout en regardant le policier porter son portable à son oreille. Quelques secondes, bien trop longues pour Erwan, s'écoulèrent avant que l'homme ne hausse un sourcil, dubitatif :

— Pas de réseau ?

— C'est vraiment pas de chance, ajouta son collègue. Bon... on va devoir vous donner une convocation écrite dans ce cas ?

Le troisième agent se hâta de sortir un calepin duquel il arracha une feuille qu'il noircit d'encre, expliqua la procédure de convocation à la mairie pour tout mutant non-déclaré. Avec un sourire, il la tendit à Iverick, avant de lui adresser un hochement de tête.

— Nous y serons, sourit l'ancien caporal.

— Je n'en doute pas. Et, que je ne vous revoie pas traîner près de cette gare.

Les trois agents, le plus discrètement possible, serrèrent le poing gauche le long de leur torse, avant de desserrer les doigts. Eden, sous les regards étonnés de Jon et Erwan, les imita, tout comme Iverick.

À peine les policiers eurent tourné les talons que le petit groupe fit de même, rejoignant la voiture sans échanger un mot. Ce ne fut qu'une fois à l'intérieur de l'habitacle que Erwan explosa, l'appréhension transformée en irritation de ne pas avoir compris les dessous de leur entrevue :

— C'était quoi ça ? Ça va pas Iverick de nous...

— Ce sont des résistants, le coupa Eden, calmement. Regarde.

Il se tourna vers le plus jeune, et lui présenta sa main gauche.

— Pour nous reconnaître, on place les doigts de la main gauche de cette façon...

Lentement, pour que Erwan puisse suivre le mouvement et l'imprimer, il abaissa son index et son majeur, repliées au creux de sa paume.

— Il faut le faire discrètement bien sûr, poursuivit-il. Et pour se saluer et se souhaiter bonne chance, il faut que tu serres ton poings gauche une fois.

Erwan était ahuri, reproduisait les gestes de Eden avec attention, partagé entre l'admiration et la frustration d'avoir été laissé à l'écart de ce signe de reconnaissance du mouvement résistant.

— Et comment Iverick le savait ?

— Amali m'en a parlé, répondit l'ancien caporal. Mais on vous doit des excuses, c'est vrai que nous aurions dû vous en parler avant.

— On a tout de même eu de la chance de tomber sur des flics résistants.

— Il y en a bien pus qu'on ne le croit, sourit Eden. Contrairement à ce que Jelena semble croire, tous les policiers, les gendarmes et les militaires de ce pays ne sont pas pour l'oppression des mutants et ces satanés centres de confinement, crois-moi.

Erwan hocha la tête, s'assura d'avoir l'attention de Eden avant de serrer le poing gauche.

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