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Mardi 04 octobre 2022,18h07

    Nathan était des plus stressés. Les paumes moites, l'intérieur des coudes collants, il transpirait de tous les pores, sentait sa tension monter de seconde en seconde. Contre la peau humide de son cou, il parvenait à sentir sa ceinture de sécurité s'imbiber de sa sueur à chaque respiration.

Sur la banquette en face de la sienne, Vasco semblait bien plus calme, les traits détendus, il regardait le paysage défiler à travers la fenêtre de la fourgonnette.

— Je comprends pas pourquoi je peux pas faire partie du groupe offensif, siffla Théo, sur sa droite. Je suis aussi capable que Vasco pour le combat. C'est ridicule.

— C'est pas comme si t'étais relégué au placard. Tu es notre assurance vie, n'oublie pas ça.

Le plus jeune du convoi dévisagea Matteo, longuement, avant de resserrer le cordon de sa veste à capuche dans un geste sec.

— Ouais, en définitif si Jelena, Vasco et tous les autres pouilleux du groupe A arrivent à leurs fins, moi j'ai plus qu'a remballer mes dix doigts et remonter dans le fourgon ?

— T'es en train d'espérer qu'on échoue pour faire étalage de ton don ou je rêve ?

— Tu rêves pas du tout oh grand atout majeur de la mission.

— T'es jaloux en fait ? ricana Vasco, un sourire en coin.

Théo grinça des dents, enroula rageusement une mèche de cheveux autour de son doigta avant de répliquer, acerbe :

— Entre tes explosions et mes radiations, les brûlures sont équivalentes.

— Tu peux faire sauter un bâtiment avec tes radiations ? Moi je crois pas non.

Nathan put entendre un distinct « Fais pas trop le malin » marmonner par un Théo sur les dents, avant de se replonger dans ses pensées, la gorge nouée.

Dans moins d'une heure, les fourgons se gareraient de part et d'autre de l’Élysée. Le groupe A en sortiraient les premiers, et pénétreraient dans l'enceinte du bâtiment avec pour mission principale d'atteindre la salle occupée par la réunion des généraux et des figures fortes de trois armées, pour l'assiéger. Le groupe B, dit de ''sûreté'', se déploierait autour de l'endroit pour en bloquer les sorties, empêcher quiconque d'y entrer mais surtout, d'en sortir. Quant au groupe C, ils s'occuperaient du renfort qui sera forcément appelé, à peine le groupe A passé l'entrée principale du bâtiment.

Lui, faisait partie du groupe B. Avec son don, il pourrait soutenir Matteo et quatre autres personnes dans leur mission de rendre le bâtiment hermétique. Bloquer les portes, les fenêtres, les canalisations et les aérations, tout. Rien ne devait sortir de la bâtisse, sous aucun prétexte.

Théo devait pour sa part rentrer avec le groupe A, mais se placer stratégiquement au centre de l’Élysée, de façon à pouvoir, en cas de refus d'obtempérer ou de révolte, irradier l'entièreté du bâtiment. Un rôle crucial, mais qui ne semblait pas convenir au plus jeune. Pour ce qui était de la sûreté des mutants sous la direction de Jelena, cette dernière s'était assurée que tous disposent d'un masque à gaz chimique, au cas où. De même, elle avait insisté sur un code de sûreté et d'évacuation du bâtiment avant toute offenssive de la part de Théo. Mieux valait être prudents, bien qu'il ne fasse aucun doute pour Jelena de la réussite de leur plan.

— Quand vous aurez fini avec votre concours de ''qui à la plus grosse'', on pourrait peut-être se recentrer sur les choses vraiment importantes ? siffla Nathan, dépité.

— Vous pensez que la résistance risque de nous tomber dessus ?

— Y'a moyen. Après... t'as peur de quoi ? Dans les mutants qu'on connaît... aucun nous arrive à la cheville, répliqua Matteo.

— Une fois que Eden t'aura ordonné de t'enfoncer le poings dans le rectum jusqu'à ce qu'il soit assez haut pour t'étouffer avec, on en reparlera. Moi je suis pas tranquille.

La remarque de Vasco fit ricaner Théo, pâlir Matteo.

Il n'avait pas tout à fait tort. D'après Nathan, et bien que personne ne semble donner de crédit à la résistance, ils pouvaient compter dans leurs rangs des mutants dont ils ignoraient l'existence, peut-être plus forts que Vasco ou Jelena. Ils connaissaient le noyau dur bien sûr, et bien que Iverick oit relativement ''inférieur'' avec ses griffes, il n'en restait pas moins que Jon parvenait à jeter des voitures comme si elles ne pesaient rien, que Erwan parvenait à faire léviter à peu prêt tout ce qui pouvait être déplacé, et que Eden...

Il déglutit, les images du massacre du barrage de l'Ain encore bien vives dans son esprit.

Jelena n'avait pas souhaiter prendre en compte l'inconnu ''résistants'' dans son fabuleux plan de prise de l’Élysée, elle pourrait le regretter.

— T'as raison. Son don marche qu'avec la parole ?

— Comment tu veux donner des ordres sinon ? rétorqua Théo, acide.

— Faudrait lui couper la langue, ça nous enlèverait une épine du pied !

Bien que sa remarque fut prononcé sous l'angle de l'humour, personne ne rigola. Nathan se tendit, Théo haussa un sourcil dubitatif, tandis que Vasco secouait la tête avec dépit.

— On fera pas de mal à Eden. Ni à lui, ni à aucun autre résistant du groupe de Amali. C'est nos amis, souffla Vasco. Ils ont pas fait le bon choix mais...

— C'est à cause d'eux que Mehdi s'est fait tuer.

— C'est l'armée qui nous est tombée dessus, pas la résistance.

— Et à ton avis, qu leur avait balancé notre loc ?

— La weed t'a bouffé le cerveau mon pauvre Matteo : Amali est pas assez bête pour lancer faire intervenir l'armée alors qu'elle se trouve elle-même avec nous. T'es complètement con.

Le silence retomba, ponctué par leurs seules respirations saccadées et lourdes.

Il était presque l'heure. Les mains de Nathan étaient passées de moite à trempées, il n'osait même plus desserrer les poings.

Il n'aurait pas dû être tant stressé, tant prêt à se rompre au moindre contre-ordre. Le plan était bon, il était calculé, calibré, rien n'y était laissé au hasard. Plus de trois mois que Jelena le travaillait, le peaufinait, qu'elle faisait en sorte que chacun ait son rôle, sa place, son utilité dans tous les schémas possibles et inimaginables.

Mais, sans doute était-ce sa nervosité naturelle qui remontait à la surface et lui enserrait la gorge. Après tout, ils s'apprêtaient à assiéger l’État militaire mit en place depuis la mort du président trois ans lus tôt. Ce n'était pas rien.

— Nathan, faut te détendre, lui lança Vasco.

Les yeux du jeune homme brillaient d'une certaine appréhension qu'il s'efforçait de cacher derrière une assurance de façade. Nathan n'était pas dupe, il voyait bien le tremblement léger mais perceptible de ses doigts.

En réalité, tous appréhendaient le moment où les portières du fourgon s'ouvriraient pour libérer leurs mouvements et leur pouvoir d'agir.

…

Mardi 04 octobre 2022, 18h42

   François Meunier ne comprenait pas comment ils avaient pu en arriver là. Depuis sa plus tendre enfance, il avait admiré la gouvernance de son pays, la sûreté qu'il offrait à son peuple, la grandeur de son armée et de sa justice. Son père, major au sein de l'armée de terre avant lui, avait su lui transmettre la passion de l'uniforme et de l'ordre. Engagé à ses dix-huit ans, il n'avait jamais cessé de monter en grade, de servir sa patrie et ses causes, de se plier en quatre afin d'accomplir les missions qui lui incombaient.

Il avait toujours tout bien fait, toujours. Il n'arrivait donc pas à comprendre pourquoi, ou plutôt comment, il pouvait être tenu en joue par un mutant adolescent à l'air revêche, un sourire narquois au coin des lèvres.

Une faille dans le système, un défaut dans leur stratégie militaire, peut-être même un traître parmi eux ? Lui qui crachait sur cette fichue Jelena avant de quitter son domicile, voilà qu'elle venait de faire irruption dans la salle du conseil avec perte et fracas, escortée par une bonne vingtaine de mutants aux dons travaillés pour le combat.

Le général chef n'avait montré aucune résistance à leur entrée, comme si, au fond de lui, il avait senti que la situation leur avait bel et bien échappée et définitivement. Si les terroristes avaient atteins la salle du conseil, nul doute qu'ils avaient investis l’Élysée, et mis à mal leurs brigades spéciales.

Le souffle court, François tenta de couler un regard désespéré à ses collègues, se heurta à leur visages terrifiés, leur mâchoires crispés.

— Eva ? appela Jelena, ferme.

Du groupe informe de mutants, se détacha une jeune femme à l'épaisse chevelure rousse, un air sévère étirant ses traits d'une façon disgracieuse.

— Menotte-les.

Avant qu'ils n'aient pu anticiper, Eva commença à lier les poignets des différents généraux à l'aide d'une matière étrange, d'une couleur mauve à l'aspect brillant. De ce que François put en voir, ses collègues ne semblèrent pas souffrir de la mise en place des menottes mauves, mais ne purent une fois l'opération terminée, plus s'en défaire, et ce malgré leurs différentes tentatives.

— Une sorte de plasma ultra-résistant, expliqua Jelena, postée à côté du général chef.

— Qu'est-ce que...

— Vous allez être content. Nous avons réinvesti les bâtiments du centre de confinement d'Île de France afin de pouvoir vous y loger. Ces belles prisons dont vous êtes si fiers, n'est-ce pas là une belle forme d'ironie ?

Le général chef cracha son dédain, vrilla l'ancienne militaire d'un œil mauvais, tout en indiquant à ses collègues de rester tranquilles.

— Vous n'avez pas le droit de faire ça.

— Je pensais sincèrement que prendre la main sur l’Élysée serait plus compliqué, admit-elle. Vos troupes sont a priori toutes maîtrisées à l'heure qu'il est. Idem pour la police et la gendarmerie nationale. Les brigades spéciales chargées de la défense de ce bâtiment sont également pris au piège par les mutants de mon groupe, et ne pourront donc plus vous venir en aide. Que vous reste t-il ?

Le général chef ne répliqua rien, préféra baisser les yeux sur ses mains toujours libres de tous mouvements.

— J'hésite entre qualifier notre action de révolution ou de coup d’État. Qu'en pensez-vous général ?

— Vous êtes la preuve vivante que les centres ont une utilité, saloperie de mutant !

Du bout de son index, Jelena fit jaillir une flammèche qui sous le regard impuissant du général, lécha la peau de son cou. La flamme, d'un bleu clair hypnotisant, ne mit guère de temps à faire gronder le général chef.

— Saviez-vous que les flammes bleus sont les plus chaudes qui existent ? Alors : coup d’État, ou révolution ?

— Vous êtes une ancienne militaire non ? Soldat de première classe ? Dans ce cas-là : mutinerie.

Un rire mauvais s'éleva des lèvres de la jeune femme.

— Déployez vos ailes général, et admirez la mise en place d'un gouvernement juste et nouveau, je vous laisse admirer la supériorité évidente des nouveaux hommes, ceux qui ont su évoluer avec le temps et renaître de leurs cendres...

En un claquement de doigt, et alors que les autres membres de la réunion commençaient à être dirigés vers la sortie de la salle, Jelena laissa ses flammes entamer le costume du général, ses cheveux, ses cils :

— … vous connaissez les Phoenix ?

…

— Bonsoir à tous, je m'appelle Nathan Chevet et je suis le nouveau porte-parole du gouvernement et de madame la présidente. Vous devez sans doute avoir des interrogations sur ce qui vient tout juste de se dérouler à l’Élysée : n'ayez craintes, nous y reviendrons juste après cette allocution officielle. Sachez simplement, françaises et français que ce jour marque un nouveau tournant dans la configuration de la gouvernance de notre pays. Madame la présidente tenait par la présente, à vous transmettre ses sincères excuses pour la façon brutale dont ce changement s'est opéré, mais tenait également à vous rappeler l'importance de revenir à un système plus juste et plus inclusif. Loin d'elle l'idée de vous mettre dos au mur face à cette annonce quelque peu inattendue. Sachez simplement que la situation est sous contrôle, et que vous n'avez pas à vous en faire. Vos modes de vie et le fonctionnement de notre beau pays resteront inchangées, au détail prêt que l'inclusion des personnes ayant mutés à la suite de la pandémie de deux-mille-dix-neuf seront désormais inclus dans la société comme tout individu. Pour ce faire, et à compter de ce soir, notre présidente Jelena Razbun détiendra la totalité des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Sachez que les anciens membres de notre gouvernance militaire ont été redirigés vers les centres de confinement afin d'y être enfermés le temps de trouver un terrain d'entente entre nos deux parties. Vous avez le droit de vous interroger, de remettre en questions cette prise de pouvoir mais, sachez une chose mes chers compatriotes : le monde est un éternel renouveau et quoi de mieux que d'évoluer avec lui ? Aujourd'hui sonne la fin de cette cécité face à l'évolution de notre société, face à la pandémie qui nous a tous, bien au-delà de l'ADN, fait changer. À partir de ce soir et jusqu'à nouvel ordre, nous allons déployer nos ailes et renaître de nos cendres. L'avenir appartient aux nouveaux hommes et à leurs alliés, sachez avancer avec le changement, sachez accepter le renouveau, sachez renaître.