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Mardi 16 janvier 2024, 17h49
Tremblant, les mains agitées de secousses aussi violentes qu’incontrôlables, Erwan fixait la carcasse de voiture qui, au-dessus du sol, l’évitait depuis presque six minutes. Il avait à peine battu des cils, fermer les yeux rendant sa prise moins puissante sur les objets qu’il faisait flotter.
En retrait, adossé à l’un des nombreux arbres qui longeaient le terrain vague, Iverick le regardait faire sans mot dire, les bras croisés sur le torse. La météo n’était pas au beau fixe et le froid mordant transperçait ses vêtements, mais il ne se sentait pas d’abandonner Erwan. Cela faisait plus d’une heure que l’adolescent s’entraînAit à soulever tout un tas d’objets, qu’il s’acharnait à tenir toujours plus longtemps, à tout faire léviter toujours plus haut. Il n’en pouvait plus, Iverick le voyait bien, la transpiration malgré le froid commençait à former des tâches sombres à l’encolure et dans le dos du sweat que portait Erwan.
Il ne voulait cependant pas rentrer, et ce n’était pas faute de le lui avoir demander.
Depuis une semaine, depuis leur tour de Lyon, il semblait à Iverick que Erwan, Eden et Jon ne respiraient plus, qu’ils vivaient leur vie en suspend, attendant une retombée de Jelena. Chacun le manifestait à sa façon bien sûr : Erwan se tuait à la tâche, semblait s’entraîner pour combattre le pire, Jon enchaînait insomnie sur insomnie, portait sous ses yeux toutes les traces des nuits passées à errer dans les couloirs du FJT. Quant à Eden, il avait simplement décider de se murer dans le silence. Il parlait toujours, mais se contentant de monosyllabes, ou de hochement de tête. Même Jon n’arrivait plus à lui soutirer le moindre mot.
— Erwan !
L’adolescent venait de tomber à genoux dans une flaque, épuisé, après que la voiture qu’il s’efforçait de faire voler soit tomber à quelques mètres de lui. Rapide, Iverick le rejoignit en quelques enjambés, s’agenouilla près de lui pour s’assurer de son état.
— On va rentrer là c’est bon, marmonna t-il en aidant le jeune à se relever.
— Je suis nul putain, j’arrive pas à tenir plus de sept minutes.
— Arrête un peu, tu maîtrises parfaitement. Là t’es juste crevé, trempé de sueur et de pluie alors tu vas rentrer, te changer et boire un truc chaud, c’est bon?
Erwan ne rétorqua rien, laissa l’ancien caporal le redresser d’un bras autour de la taille, avant d’entamer leur marche retour jusqu’au FJT.
Bien qu'il ne l'avouerait jamais, depuis le temps qu'il avait rejoint le petit groupe, l'ancien caporal avait commencé à développer une réelle affection pour les jeunes qu'ils accompagnaient. Erwan en particulier, par sa candeur et ses grands yeux bruns, éveillait en lui une sorte d'instinct, comme un devoir, celui de le protéger, de le garder près de lui, un peu à la façon dont un père le ferai . Les soucis de Erwan étaient les siens, ses maux également : pas que ceux de Eden et Jon n'eut pas d'importance à ses yeux : il n'y accordait simplement pas la même importance.
À l’intérieur des locaux régnait une agitation qui aux premiers abords, n’alarma pas Iverick ; il était habitué depuis une semaine à voir ses collègues et amis s’agiter en tous sens. Cependant, et alors qu’il laissait Erwan s’éloigner vers les dortoirs, il fut surpris de voir passer Jon, un énorme sac sur l’épaule, les traits tirés.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit Iverick en lui attrapant le bras.
— On sait pas trop. C’est le bordel plus au sud, la milice traque la Résistance et les Humanfirst.
Sans plus d’explications, il se défit de la prise et s’éloigne, laissant dans son sillage un Iverick plus interloqué que satisfait par ses mots. D’un pas rapide, il suivit le jeune homme jusqu’à leur salle informatique où il trouva Amali, la tête enfoncée entre les épaules, blême.
— Pourquoi ils s’en prennent à nous alors que c’est Jelena qui a pété une durite ? Ils sont complètement malades ! s’écria t-elle soudainement.
— C’est que maintenant que tu t’en rends compte ?
— C’est pas le moment de déconner Iverick sérieux ! Ils ont abattu à vue je sais pas combien de résistants ! Tu imagines un peu ?
Penaud, Iverick attrapa une chaise à roulette, s’y assit à l’envers de façon à pouvoir croiser ses bras sur le dossier, avant de se rapprocher de Amali. D’un coup d’œil, il considéra les écrans d’ordinateur sur lesquels s’affichaient différentes localisations, différentes entrées audois, quelques messageries instantanées ouvertes sous forme de fenêtres.
— C’est gérable ou pas ?
— Ils sont en train de nous exterminer là ! On pourra jamais monter au créneau contre eux !
— Attends quoi ? Tu comptais sincèrement tenter quoi que ce soit contre elle ? Tu vas pas bien ?
La mâchoire crispée, Amali le dévisagea un long moment avant de retourner à son poste d’observation des différents signaux aux écrans.
Iverick ne prononça plus un mot quelques minutes durant, se contenta de suivre le déroulé des choses d’un œil externe et critique. La façon presque théâtrale qu’Amali eut de couiner à la vue d’une nouvelle fenêtre de conversation, l’entrée triomphante de Yannick, un plateau de sandwich entre les mains.
— Où est Jon ? demanda t-il.
Personne ne lui répondit. À la place de Jon, ce fut finalement Eden qui pénétra dans la salle, suivi de près par quelques autres résistants, les mines sombres. Sans un mot, le jeune homme s’approcha des écrans d’ordinateur pour en jauger les interfaces avant de se reculer, mal à l’aise.
— Tu comptes dire quelque chose ? lança Amali, acide.
— Pourquoi tu l’agresses comme ça ?
La question de Yannick fit gronder la jeune femme, qui se replia un peu plus su elle-même, prostrée.
— Tu voudrais que je dise quoi ? rétorqua Eden.
— Une phrase de plus de deux mots pour commencer.
— T’es sérieuse là ?
Eden lui coula un regard assassin avant de revenir aux ordinateurs.
— Regarde-moi quand je te parle Eden.
— Et puis quoi encore ? De un tu m’aboies dessus alors que j’ai rien dit et de deux, tu es plus mon éduc, alors j’ai pas d’ordre à recevoir de toi.
— Alors que t’as rien fait ? Ça fait une semaine que tu dis rien, tu trouves pas que t’as abusé ?
— Et toi ? À rester couchée toute la journée à déprimer parce que cette pauvre Jelena a enfin exploser, tu trouves que t’as assuré ? Arrête de rejeter la faute sur les autres, et vois la réalité en face : on va tous y passer, et tu sais pourquoi ? Parce que t’as vexé l’autre folle.
D’un rire amer, Amali se redressa, s’approcha de Eden d’un pas vif pour le faire reculer d’une pression de sa main contre son torse.
— De ma faute ? Rappelle-moi qui a fugué à la base ?
D’un geste sec, Eden se défit de la main de son ancienne éducatrice pour la dominer de toute sa hauteur, les sourcils froncés.
— Si on était pas parti, Erwan serait mort.
— Et grâce à vous, il va y rester de toute façon vu que Jelena et les autres vont nous faire la peau.
— Tu sais très bien que c'était qu'une question de temps avant que Jelena ne reprenne le combat contre nous. Alors oui, on a peut-être légèrement accéléré le processus, mais le truc qui a tout fait exploser, à la base, c'est toi, donc arrête maintenant.
D'un air mordant, Amali se recula, jaugea le jeune homme avec froideur avant de s'en retourner aux écrans d'ordinateur :
— Tu sais quoi ? Je préfère quand tu dis rien.
Mardi 16 janvier 2024, 23h52
Le contact de la paume glacée de Jon sur sa bouche le tira brusquement du sommeil. Comme si son souffle lui était arraché en un instant, Eden ouvrit brusquement les paupières en même temps que ses lèvres s’ouvraient pour trouver de l’oxygène. Dans la pénombre, il parvint à distinguer son meilleur ami, debout près de lui, qui lui indiquait d’un doigt sur les lèvres de rester silencieux. Eden hocha doucement la tête, indiquant à Jon qu’il avait compris, avant que la main ne se retire de sa bouche.
— Qu’est-ce qui se passe… ? murmura t-il.
— Y’a du bruit dans la forêt. Et au sous-sol.
— T’es sûr ?
D’un regard équivoque, Jon affirma avant de désigner la porte du menton.
— Je vais aller jeter un œil.
— Je t’accompagne.
En quelques mouvements, Eden fut debout, à la recherche dans la pénombre et le silence du dortoir de quoi se vêtir pour quitter la pièce. Hormis quelques ronflements et froissements de draps, rien ne perçait le silence de l’endroit. Dehors, par les rideaux à peine tirés, Eden distinguait le ciel d’encre, les quelques étoiles qui parvenaient à percer à travers les nuages.
Jon l’attendait à la porte, lui fit signe de faire le moins de bruit possible avant de s’éclipser du dortoir. Incertain, Eden lui emboîta le pas.
Il n’était pas tranquille. Le fait que ce réveil en pleine nuit de Jon survienne seulement quelques heures après la montée en angoisse de Amali quant aux bases résistantes massacrées n’était pas un hasard. Peut-être que Jon s’affolait pour rien, il l’espérait. Ou alors, et c’est ce qui l’inquiétait, peut-être avait-il raison de s’en faire mais dans ce cas-la, que pourraient-ils faire face au Phoenix ? Ils ne faisaient pas le poids.
Assez rapidement, sans faire le moindre bruit, les garçons descendirent jusqu’au rez-de-chaussée du FJT, s’arrêtèrent dans le sas menant des escaliers au couloir principal, le doute au creux du ventre.
— Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée, souligna Eden, une main sur l’épaule de Jon.
— Tu t’éloignes pas ok ?
Eden hocha la tête, et lui emboîta à nouveau le pas tandis que Jon quadrillait le couloir central, l’oreille tendue. Il était certain d’avoir entendu du bruit venant de l’extérieur, ainsi que quelques murmures au sous-sol.
— Je peux aller jeter un coup d’œil dehors si tu veux ?
Jon haussa un sourcil en se retournant vers Eden qui, stoïque, tenait entre ses mains une arme à feu récupérée à l’instant même dans l’une des nombreuses cachettes du FJT.
— Si on est envahi, il vaut mieux qu’on évalue le plus de terrain le plus vite possible.
— Je sais pas trop Eden je…
— Tu gardes une oreille sur mes battements de cœur, on fait ça ok ?
Jon se passa la langue sur les lèvres, la gorge sèche : il hésitait. Il savait bien que Eden avait raison et que pour optimiser leurs chances en cas de réelle intrusion, il serait préférable de couvrir tout le terrain le plus vite possible. Cependant, et c’est ce qui l’embêtait, bien que son meilleur ami eut un don performant, il n’était pas offensif.
— Tu me fais confiance, ça va aller.
— Qu’est-ce que vous foutez tous les deux ?
Eden et Jon dans un même mouvement, se statufièrent d’effroi. Sortie de nul part, la voix bien que murmurée, sembla tonner dans le couloir.
D’un coup d’œil par-dessus son épaule, Jon distingua la silhouette de Erwan dans le contre-jour des lumières d’urgence de la cage d’escalier.
— Qu’est-ce que tu fais là Erwan ?
— Je vous ai vu vous tirer du dortoir. Vous êtes pas discrets.
— Remonte te coucher, on vérifie juste un…
Les mots de Jon moururent avant qu’il n’ait pu terminer sa phrase. Au bout du couloir, la maigre porte en métal menant au sous-sol venait de s’ouvrir dans un grincement minime, mais bien perceptible. Aussitôt, Erwan et Jon se positionnèrent en position défensive, tandis que Eden reculait, sa vue occultée par ses deux camarades postés devant lui.
Au bout du couloir, la porte semblait s’être figée : sans doute celui ou celle derrière le panneau de métal les avait-il entendu ?
D’un seul bond, Jon se rapprocha de l’entrée du sous-sol, avant de saisir la poignée de la porte et de tirer dessus d’un coup sec.
Eden et Erwan, restés en arrière, n’eurent pas le temps de comprendre ce qui se passait qu’un cri rauque s’échappa des lèvres de Jon. Titubant, le jeune homme recula précipitamment avant de se heurter au mur derrière lui, une main crispée en bas de son abdomen.
— Jon ça va ? s’écria Erwan.
Pour toute réponse, Jon leur indiqua de reculer, avant de se redresser, tremblant. De là où il se trouvait, et ce malgré la faible luminosité, Eden parvint à percevoir un liquide sombre s’échapper d’entre les doigts crispés de son meilleur ami.
Tandis que la porte du sous-sol s’ouvrait à nouveau, quatre silhouettes en jaillirent : si l’une d’entre elles se hâta de quitter le FJT après avoir croiser le regard de Jon, les trois autres l’encerclèrent. Deux d’entre elles tenaient entre leurs mains des lames qui à la lumière de la lune, renvoyaient un reflet ignoble dans la direction de Erwan et Eden.
— Désarme-les Erwan, je m’occupe du quatrième.
— Attends quoi ?
Sans rien ajouter, Eden le contourna, fonça tout droit sur les trois intrus, perça leur barrage sous l’effet de surprise engendré par son geste avant de bondir dehors, à la recherche de la quatrième silhouette.
Derrière lui, il entendit vaguement les râles contrarias des assaillant sans doute désarmés par Erwan, avant de se focaliser sur le bruit de pas de l’inconnu, fondant à travers bois.
— Reviens ici toi !
Tandis qu’il se mettait à la poursuite du quatrième intrus, Erwan, resté face aux trois autres assaillants, venait de récupérer leurs couteaux et de les jeter au loin, derrière lui.
— Qui êtes-vous ? gronda t-il.
— À ton avis ?
Avant qu’il n’ait pu réagir, les pupilles de l’une des silhouettes s’illuminèrent d’une teinte brune luminescente, au moment où sous ses pieds, le sol se mit à trembler.
— Vous croyez me faire flipper sérieux ?
Les mains en avant, paumes ouvertes, Erwan tenta de faire abstraction des fissures qui commençaient à se dessiner sous ses pieds, pour se concentrer sur l’une des silhouettes, celle qui dangereusement, se rapprochait de Jon.
— Vous êtes du Phœnix je me trompe ?
— Quel génie tu fais !
Le tremblement sous ses pieds redoubla d’intensité. Autour de lui, les murs, le plafond, tout tremblait, grondait : de la poussière commençait à tomber des tapisseries et des lampadaires au plafond.
— Si vous êtes sous les ordres de Jelena, alors vous devriez savoir qu’il vaut mieux pas vous attaquer à nous, cracha t-il avec froideur.
— Elle nous a prévenu de nous méfier de celui-ci et de celui qui vient de se faire la malle. En aucun cas elle nous a parlé de toi !
Un sourire en coin étira les lèvres de Erwan, tandis que dans sa tête, tout s’accélérait.
De sa main gauche, il stabilisa à distance le bras de la silhouette qu’il voulait mettre hors d’état de nuire, tandis que du droit, il focalisa sa concentration sur l’un des ongles de la silhouette. La silhouette, une fille à en croire son gémissement affolé au constat de son bras immobilisé, retourna brusquement son visage vers lui.
— Vous lui direz de mettre à jour ses recommandations dans ce cas.
D’un geste vif, il écarta ses bras et alors dans un hurlement de douleur, l’ongle de la silhouette fut arraché avec brutalité, avant de finir par terre, à quelques mètres d’elle.
— Comment tu as fais ça ?
— Ne pensez pas être les seuls à vous être entraînés durant ces dernières années.
L’affolement semé entre les trois intrus, Erwan en profita pour les faire s’élever les uns après les autres, pour les envoyer avec fracas contre les murs. La première rentra de plein fouet en collision avec le plafond, tandis que les deux autres allèrent s’écraser contre le mur à leur gauche. Quelques craquements indiquèrent à Erwan qu’il avait mis assez de force dans ses impulsions pour les rendre inoffensifs. Après s’être assuré qu’aucun des trois intrus ne remuaient, il s’approcha de Jon pour considérer l’étendu des dégâts ; sa blessure au ventre ne semblait pas profonde, mais saignait énormément. Du mieux qu’il le put, Erwan tenta de rassurer le plus âgé qui le souffle erratique, fixait avec étourdissement les trois corps étendus autour d’eux.
Au bout du couloir, dans les escaliers, une salve de pas se fit bientôt entendre, suivi de près par le ton grave de Yannick :
— C’est quoi ce bazar ?
Les lumières au plafond venaient de s’allumer, déchirant les rétines des deux adolescent, habitués à l’obscurité ambiante qui régnait jusqu’alors. Jon inspira à pleins poumons, se crispa en refermant sa prise sur sa blessure, les dents serrées.
— Yannick ! Descend vite, Jon est blessé !
— Qu’est-ce qui se passe enfin ?
Yannick les rejoignit rapidement, s’accroupit près de Jon, lui attrapa une main.
— Ça va aller ?
— C’était Vasco, croassa Jon, essoufflé. Le quatrième, c’était Vasco.
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