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Samedi 19 avril 2024, 08h56
Il en était désormais certain : il allait mourir ici. Dans sa minuscule cellule où l’air se faisait rare et ou l’odeur d’humidité et de poussière avait occultée toutes les autres senteurs qu’il avait pu connaître. Le temps passait, et il en avait oublié la notion. Depuis combien de temps Théo et Nathan ‘avaient-ils enfermé là ? Des heures ? Des jours ? Des semaines ? Peut-être des mois ? Non, pas des mois, ce n’était pas possible. Avec le peu de nourriture et d’au qu’il recevait, il n’aurait pas pu tenir des mois. Admettons des semaines, il en arrivait à se demander jusqu’à quand son corps continuerait de ne pas s’accorder avec son esprit, et le maintiendrait ainsi dans une sorte d’entre-deux, trop brisé et affaibli pour être vivant, mais encore trop chaud et palpitant pour être mort.
Il n’arrivait pas à statuer, savoir si oui ou non, il avait envie de vivre, finalement. D’un côté, il savait que la vie en elle-même méritait qu’on la chérisse et qu’on s’y consacre de son premier à son dernier souffle. Que le monde était vaste et intéressant à découvrir, mais d’un autre côté il y avait son monde à lui, celui qui avait changé cinq ans plus tôt, et qui n’avait plus rien à offrir.
Son monde pourri dans lequel il n’avait fait que des mauvais choix, où il avait perdu son meilleur ami d’une balle perdue, où il avait laissé une personne qu’il avait longtemps considérer un ami tuer la femme qui l’avait le plus inspiré, et mutilé l’homme qui le fascinait le plus.
Un échec sur toute la ligne. Et de ce qu’il savait, un autre drame se préparait, sur fond de vengeance et de camps adverses, d’idéologies contradictoires et pourtant similaires dans leur façon de procéder. Il n’avait pas envie de voir ça.
Les bras encore et toujours tordus dans une position aussi inconfortable que douloureuse, il tenta de se déplier pour détendre ses jambes, ne parvint qu’à déclencher une nouvelle décharge douloureuse qui partit de ses mains jusqu’à la racine de ses cheveux. Dans un sifflement douloureux, il s’immobilisa, fixa le vide face à lui, le mur luisant d’humidité rendu visible par la simple petite lumière qui diffusait son faible éclat jaunâtre au-dessus de la lourde porte blindée.
Il avait souvent lu par le passé des romans, vu des films où le héros, même dans les positions les plus critiques, s’entêtait à vouloir s’en sortir, à vouloir sauver la situation en agissant pour le mieux. Jamais il n’avait constaté de héros qui face à la médiocrité de sa position, avait souhaité mourir du plus profond de son être. Il ferma les yeux, s’imagina héros de sa propre histoire et décida que pour la première fois dans le monde de la fiction, le héros souhaitait s’éteindre.
Alors que ses pensées divaguaient vers son univers fictif où prisonnier, il cessait progressivement de croire en la possibilité de vivre, il perçut de façon lointaine comme un tintement, une sorte de choc métallique assez aiguë. Lentement, ses yeux se rouvrir, il voulait vérifier que le tintement était réel, et non le fruit de son cerveau anesthésié par le manque d’air et la douleur.
Un nouveau tintement, plus proche cette fois-ci. Et encore un. Il réalisa petit à petit qu’en réalité, le tintement était tout proche, de l’autre côté de la porte blindée.
La faible luminosité de la pièce ne lui permettait pas de bien discerner ce qu’il se passait en revanche, il parvint tout de même à voir les gonds sauter un par un pour que finalement, la porte ne soit déloger de son encadrement. La lumière qui envahit soudainement son champs de vision l’aveugla, il ferma prestement les yeux, sentant des larmes d’éblouissement couler le long de ses tempes.
— Oh mon Dieu.
Il ne reconnut pas tout de suite la voix. Incapable d’ouvrir les yeux sous peine de se confronter à un monde flouté par les larmes. Il se tendit néanmoins en sentant une main se poser sur sa joue, la caresser brièvement avant de se mettre à la tapoter de façon légère, presque aérienne.
— Vasco ? Vasco tu nous entend ?
La voix se faisait plus nette dans sa tête. Il la reconnaissait, et il la bénissait : Erwan. Un sentiment de gratitude immense s’empara de lui, entremêlé à un autre sentiment, celui de profonde honte et de misérabilisme. Depuis le temps qu’il était enfermé, rares étaient les occasions où on lui rendait visite pour le nourrir, lui donner à boire et l’aider à se soulager. Autant dire que par plusieurs fois, il avait dû se résoudre à s’uriner dessus, et à subir l’odeur qui en résultait. Mais, maintenant que Erwan était là - et il n’était sûrement pas seul - il avait honte de se retrouver ainsi, vulnérable et brisé, empestant l’urine et d’une propreté inexistante.
Il ravala sa honte et tenta à nouveau d’ouvrir les yeux, se força à s’acclimater à la luminosité pour finalement tomber nez à nez avec Eden, agenouillé près de lui et Erwan, horrifié, debout près de l’encadrement où s’était trouvé sa porte de cellule quelques minutes plus tôt.
Eden sembla signer quelque chose auquel Erwan acquiesça vivement, se défit du sac à dos qu’il portait jusqu’alors pour en sortir une bouteille d’au qu’il tendit rapidement au plus âgé.
Sans lui laisser le choix, Eden l’attrapa par les épaules pour le redresser du mieux qu’il le pouvait, cala sa tête sur ses genoux et lui désigna la bouteille d’une main.
— Ils ont fait ça, répétait Erwan, sans cesse. Ils ont fait ç!a ! Un des leurs ! Ils sont complètement tarés, j’en reviens pas ! Ils ont fait ça !
Vasco manqua soupirer de soulagement lorsque l’eau coula dans sa gorge. Il but à petite gorgées tout d’abord, avant d’avaler de grandes gerbes. La sensation était si grisante qu’il souhaita quelques instants, qu’elle ne s’arrête jamais. Lorsque Eden écarta la bouteille pour le considérer, il put lire sur son visage toute l’inquiétude qu’il devait ressentir à le trouver ici, à moitié mort, étendu sur le sol poussiéreux de la cellule.
À nouveau il se tourna vers Erwan, signa mais cette fois-ci, l’adolescent blêmit et secoua la tête, les yeux écarquillés.
— Non non, je peux pas faire ça. Si ce qu’a dit Nathan est vrai, ses mains sont encore cassées et… non, je peux pas Eden vraiment. Ça va lui faire un mal de chien.
— Faire quoi ? articula Vasco, difficilement.
Les deux nouveaux arrivants braquèrent leur attention sur lui, le dévisagèrent quelques longues secondes avant que Eden lui fasse signe de parler, de dire quelque chose, n’importe quoi.
— Comment vous m’avez trouvé ? murmura t-il d’une voix aussi rauque que sèche.
— Oh mon Dieu Vasco ! Depuis quand tu es là ? Est-ce que ça va ?
Erwan marqua une pause, se couvrit la bouche d’une main, avant de se rapprocher, aussi agité qu’affolé.
— Question stupide, forcément que c’est pas la forme… ! Désolé.
—Vous avez pas répondu à ma question.
D’un geste pressant, Eden attrapa Erwan par le bas de sa veste pour le rapprocher, le fit s’accroupir et extirpa de son sac à dos un carnet et un crayon qu’il ouvrit avant de se mettre à griffonner quelque chose.
— « Nathan nous a dit où tu te trouvais. Ton âge et ton lieux de naissance ? »
Étonné, Vasco secoua lentement la tête tout en haussant un sourcil :
— Dix-neuf et Vannes. Mais tu le sais ça, pourquoi tu me demandes ?
— « Pour vérifier que tout aille bien là-haut. On va te faire sortir de là »
Le monde se mit légèrement à tourner lorsqu’avec toute les peines du monde, Eden tenta de l’aider à s’asseoir sans faire bouger ses bras toujours solidement retenus dans le bloc de ciment.
Erwan avait disparut de son champs de vision après que Eden ne lui ait signé quelque chose. À moitié assis, en appui contre l’épaule de Eden qui s’était rassis près de lui, il tentait de faire le point, de comprendre ce qui venait de se passer exactement. Un instant, il s’imaginait mourir dans un roman où il serait le héros et l’instant d’après, Erwan et Eden, tel deux soupers-héros, débarquaient dans sa cellule pour le secourir.
C’était inespéré, surtout venant de ses anciens ennemis.
— J’ai quand même un bon karma pour que ce soit toi qui vienne me sauver le cul, encore une fois, tenta t-il de sourire.
Eden laissa la moitié d’un sourire étirer ses lèvres, avant de répondre :
— « Y prend pas goût s’te plaît »
— Jon est pas avec vous ? C’est bizarre de te voir sans ton chien de garde surhumain.
Eden s’apprêtait à répondre lorsque Erwan réapparut, armé d’une longue barre de fer qu’il brandit devant eux comme un trophée
— J’ai trouvé que ça, ça fera jamais l’affaire contre du ciment !
— Attend, tu comptes faire quoi avec ça ? hoqueta Vasco.
Le bruit de la mine du crayon sur les feuilles du carnet se réppropria son attention.
— « On va exploser le bloc, pour que tu puisses bouger »
— Non, souffla t-il. Non, ça va me dégommer les mains, c’est déjà insupportable comme ça alors…
— « Il va falloir que tu sois fort, encore un peu. Si on fait pas ça, on pourra pas te faire sortir »
— Bah c’est pas grave ! Laissez-moi là. Non vraiment, je veux pas avoir à subir ça, j’en peux vraiment plus là c’est trop.
Il ne s’était même pas rendu compte que les larmes étaient revenues. Plus dûs à la luminosité, c’était plutôt l’appréhension d’une nouvelle douleur qui l’étranglait et le faisait trembler de tous ses membres. La main de Eden empauma son visage, le força à le regarder, avant d’articuler, sans son :
— Ça va aller.
— Non ! Ça va pas aller ! explosa t-il. J’ai pas envie de m’infliger ça encore ! S’il vous plaît… !
Sans lui laisser le choix, Eden l’attira dans une étreinte qu’il espérait sans doute réconfortante mais qui était en réalité plus douloureuse qu’autre chose. Le nez niché dans le cou du résistant, il ne voyait plus Erwan, mais entendait très clairement ses pas se diriger vers l’endroit où se trouvait le bloc de ciment. Son cœur s’accéléra, battit plus fort dans sa cage thoracique jusque-là ce que le premier coup de barre ne parte, assez fort pour fracturer le ciment une première fois.
La douleur se répandit en lui comme un poison, lui arracha un hurlement étouffé contre la peau de Eden qui le tenait toujours fermement contre lui.
— Je suis vraiment désolé, souffla Erwan, horrifié.
Les coups de barre à mine se succédèrent, déchirant toujours un peu plus ses mains meurtries, lui arrachant larmes et hurlements. À chaque nouvel impact, il lui semblait que ses mains allaient finalement se détacher de ses bras. Les chocs de la barre se répercutaient dans ses os comme un écho macabre.
— Arrêtez s’il vous plaît, sanglotait-il dans le cou du résistant.
L’étreinte se fit encore un peu plus forte et au bout de quelques minutes d’acharnement sur le bloc, finalement, ses mains furent libérées. Ne plus sentir le bloc de ciment au bout de ses bras ne fut qu’un maigre apaisement comparé à la douleur qui, insidieuse, continuait de pulser au bout de ses doigts comme si son sang était prêt à en jaillir. Quelques minutes de plus, le temps de retirer les plus gros morceaux qui s’accrochaient encore ferment à sa chair et, enfin, Erwan recula.
— C’est vraiment pas beau du tout du tout, souligna l’adolescent, la voix saturé d’émotions.
Enfin Eden le libéra, le laissa se reculer pour avoir un visuel sur ses mains ou plutôt, ce qu’il en restait. Il les devinait rouge et enflées sous les résiduels de ciment qui maculaient toujours sa peau. Un mélange de bleu et de noir s’étendait par endroit, lui rappelait la façon presque anecdotique qu’avait eu Jon de briser ses os d’un simple mouvement. Il aurait donné cher pour avoir une radio de ses mains là, tout de suite.
— « Tu as été courageux »
— Vous m’avez pas laissé le choix, renifla t-il.
— « On a de la morphine dans le sac à dos. Tu vas en prendre et on va se tirer d’ici »
Erwan acquiesça, sortit de leur sac un tube de médicament duquel il extirpa deux gélules d’un bleu turquoise qui aurait pu être joli s’il ne cachait pas la poudre qui soulageaient les maux.
Sans attendre, Eden lui en colla deux entre les lèvres et le fit boire à grandes eaux.
— Et on fait quoi maintenant ? s’enquit Erwan.
— « On se casse. Je vais tenter une dernière fois de raisonner Jon, mais si j’y parviens pas, on s’en va. Ras le bol d’essayer de sauver des pourritures pareilles »
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