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Samedi 19 avril 2024, 09h07
Penny, une adolescente de quinze ans à peine, à l’épaisse chevelure blonde, ne fut pas difficile à trouver. À l’écart de l’affrontement, dans un endroit assez renfoncé pour que seuls les soldats du Phoenix puissent la trouver, elle fut plutôt facile à approcher.
Vasco n’avait que très rarement discuté avec la jeune fille, mais connaissait cependant son don, très utile lors d’affrontement de ce genre pour palier aux blessures les plus légères.
Il ne savait pas exactement ce qui s’était dit à son sujet depuis que Théo et Nathan l’avaient enfermé, et espérait que rien ne se soit trop ébruité, pour pouvoir y aller au bluff vis à vis de la jeune fille.
En arrivant aux abords de la cachette de Penny, il remarqua une flopée de soldats en train d’attendre, plus ou moins amochés. Certain il le voyait bien, ne pourraient être sauvés par Penny et son don de guérisseuse. Les blessures étaient trop profondes, trop sanguinolentes.
Sans trop se poser de question, il contourna la queue principale, Eden devant lui, son sweat à capuche noir troquéé contre un uniforme de Phoenix trouvé sur un corps inerte au gré du champs de bataille. Visiblement très mal à l’aise dans l’uniforme volé au cadavre, le résistant se déplaçait d’un pas saccadé, les mains enfoncés dans les poches de son pantalon légèrement trop grand pour lui.
— Arrête de te dandiner comme ça, ils vont cramer que t’es pas avec nous sinon !
Eden se retourna brièvement vers lui, ouvrit la bouche avant de la refermer, et roula des yeux : sans carnet, impossible de transmettre ses paroles muettes à Vasco. Résigné, il reprit sa route, s’efforçant de paraître à l’aise dans l’ignoble uniforme des armées de Jelena.
Ils ne tardèrent pas à distinguer Penny, assise sur un rebord de barrière, les yeux luminescent, les mains éclairées d’une lumière bleutée assez agréable à regarder. Vasco accéléra le pas pour se retrouver à la hauteur de Eden, malgré la douleur qui se diluait en lui à chaque nouvelle enjambée.
— Je parle, et tu me suis, ok ?
À nouveau, Eden se contenta de secouer la tête après lui avoir jeté un regard en biais : avait-il seulement le choix ?
Il ne croyait pas vraiment dans le plan suicide de Vasco mais, que pouvait-il faire d’autre ? Jon était hors de contrôle, Jelena était introuvable, Nathan était inutile, et Théo…
Il chassa l’image de Théo de son esprit embrumé par l’adrénaline, et se concentra à nouveau sur Penny qui d’un drôle d’air, les regardait approcher.
— Vasco, sourit-elle après un court moment d’hésitation. Qu’est-ce qui tes arrivé ?
D’un signe, elle indiqua aux soldats qui attendaient qu’elle devait en priorité s’occuper des nouveaux arrivants, avant de les rejoindre en quelques enjambées légères et aériennes.
Sidéré, Eden la regarda faire, songea au fait qu’elle semblait bien ingénue pour se trouver ainsi au milieu de soldats blessés lors d’un affrontement d’une telle envergure. Menue dans son uniforme, elle s’arrêta devant eux avant de les balayer d’un air concentré, s’attarda sur les mains de Vasco, qu’elle désigna d’un doigt tremblant :
— C’est quoi ça ?
— Un connard de résistant qui m’a attaqué par derrière. Il m’a brisé les mains.
— Et le ciment ?
— Il m’a brisé les mains en me faisant traverser un mur. J’ai essayé de me retenir comme j’ai pu, mais ça pas été super probant.
Penny dandelina de la tête, avant d’attraper les mains du soldat au creux des siennes. Intrigué, Eden observa la façon dont les yeux de la jeune fille se mirent à briller de la même lueur bleutée qui baignait ses mains, avant de se concentrer sur les mains de Vasco. Sous ses yeux écarquillés, les teintes bleutées, noirâtres des hématomes qui courraient le long de sa peau mate disparurent une à une, le gonflement se réduisit, les rougeurs disparurent. C’était tout à fait incroyable de regarder un corps se rétablir aussi vite. En à peine une trentaine de secondes, Penny avait relâché les mains de Vasco qui d’un air entendu, agitait à nouveau ses doigts avec délectation. Penny le regarda faire, un petit sourire en coin, avant de l’attraper par l’avant-bras pour le rapprocher d’elle. Ses lèvres toutes proches de son oreille, elle attendit quelques secondes avant de susurrer :
— Et la vraie version ? Tes mains étaient bien trop abîmées pour avoir été brisés à l’instant. De plus, ça fait dix jours que tu as disparu, alors : tu étais où ?
Vasco sentit son souffle se bloquer dans sa gorge. Il avait été stupide de penser la jeune fille assez bête pour avaler son bobard. Avec précaution, il vérifia que personne mis à part Eden ne se trouvait à sa portée pour répondre, un étonnant sentiment de confiance vis à vis de Penny brûlant au creux de son torse :
— Théo m’a fait enfermer pour un crime que j’ai pas commis. Ça fait dix jours que je pourrissais dans une cellule de l’ancien centre de confinement d’île de France.
D’une expression à mi-chemin entre le choc et l’évidence, la jeune fille accusa ses mots, avant de se redresser, pour désigner Eden d’un geste de la main :
— Et lui ?
— Il est avec moi, c’est tout ce que tu as besoin de savoir.
Eden qui s’était rapproché, adressa un pouce en l’air à la jeune fille, tout en désignant les mains de Vasco d’un air entendu. Assez étonné, Vasco observa un sourire en coin étirer les lèvres du résistant, alors que Penny balayait son remerciement d’une main gênée.
— J’ai encore des gens à soigner, lança t-elle finalement.
— Penny attend, l’interrompit Vasco en l’attrapant par la manche. Tu crois que tu pourrais essayer…
Il jeta un bref regard à Eden, qui lui-même le regardait procéder d’un air suspicieux, un sourcil haussé. De la main, Vasco l’attrapa pour le rapprocher de la jeune fille, le fit se baisser pour se retrouver à sa hauteur, et désigna sa gorge d’un doigt équivoque :
— Il a été blessé à cet endroit il y a un petit moment. Un souci avec les cordes vocales. Tu penses que tu pourrais faire quelque chose ?
Penny se mordit pensivement la lèvre, avant de passer une main aux doigts délicats autour de la gorge de Eden, et de faire usage de son don, plus concentré qu’elle ne l’avait été pour s’occuper de Vasco.
Au bout de quelques dizaines de secondes, ses yeux cessèrent de briller, et elle relâcha la pression, un air désolé au visage :
— C’est une vieille blessure non ? J’ai l’impression qu’elle est déjà cicatrisée depuis un moment. Je peux rien faire sur les blessures cicatrisées. Je suis désolée.
Même si un léger éclat de déception traversa son regard, Eden se contenta de hausser les épaules après avoir adressé un sourire réconfortant à Penny. Il voyait bien à l’air mortifié de l’adolescent qu’elle n’était pas habitué au fait de ne pouvoir soigner les gens, et que sa situation l’embêtait.
— Tu auras tenté, la rassura Vasco. Allez, retournes-y. On a encore du boulot nous aussi.
— Ok… Soyez prudents.
Vasco hocha la tête, fit signe à Eden de lui emboîter le pas, et après un dernier remerciement à Penny, ils quittèrent le petit renfoncement.
— Désolé que ça ait pas marché, lança t-il alors que d’un pas décidé, ils se rapprochaient des zones d’affrontement.
Pas de réponse. Il s’y attendait ceci dit.
Leurs pas étaient presque synchronisés, sur une cadence aussi soutenu que farouche. Si les circonstances avaient été autres, il aurait sans doute rigolé du tableau : un ancien soldat du Phoenix viré résistant, un résistant pure sang affublé de l’uniforme des soldats du Phoenix, main dans la main en direction du champs de bataille, c’était surréaliste.
En passant près d’un énième corps étendu dans la terre battue, Vasco fit une embardée pour attraper un fusil dont il vérifia la charge, avant de le tendre à Eden :
— Tu sais te servir de ça ?
Comme simple réponse, le résistant attrapa l’arme, visa et tira dans les jambes d’un soldat qui accourait vers eux, l’air mauvais. Assez impressionné, Vasco lui donna une tape dans le dos.
— Tu gères mais, oublies pas que tu portes notre uniforme. T’es censé être du côté de Jelena, et donc pas censé tirer sur ses soldats.
D’un haussement de sourcils, le jeune homme lui fit part de son indifférence, avant de subitement s’arrêter et de tendre un bras dans sa direction, afin de le bloquer dans sa progression.
Vasco s’arrêta immédiatement, et suivit le regard du résistant pour tomber sur Jelena, à une dizaine de mètres d’eux, titubante. De gauche à droite, elle semblait slalomer entre les cadavres, la tête entre les mains. De là où ils se trouvaient, ils auraient pu la prendre pour une ivrogne, pour une personne dont les repaires auraient disparues et qui cherchait son chemin dans le noir.
— Elle était bizarre la dernière fois qu’elle est venue me voir, confia Vasco. Mais là…
La jeune femme avançait toujours, ses mains agrippés à une arme de poing qu’elle gardait avec précaution à hauteur d’yeux, prête à viser.
Immobiles, ils la regardèrent avancer, avant de tressaillir lorsque les yeux gris de la cheffe d’Etat se relevèrent vers eux dans un mouvement aussi soudain que glaçant :
— Toi ! aboya t-elle avec rage.
Sa démarche titubante remplacée par une course maladroite, elle atteignit les deux jeunes hommes avant qu’ils n’aient eu le temps de bouger. Sans accorder la moindre attention à Eden, elle sauta presque sur Vasco pour le renverser, et le plaquer sur le sol boueux d’une prise puissante et déterminée. Loin d’être serein, Vasco ne semblait pourtant pas paniqué : Jelena était certes dangereuses, mais dans l’état où elle se trouvait, elle ne paraissait pas en capacité d’utiliser ses flammes.
— Maintenant que tu es libre, dis-lui de se taire ! hurla t-elle en le secouant de toutes ses forces.
— … quoi ?
— Amali, siffla Jelena. Amali, dis-lui d’arrêter de me bassiner avec toi, qu’elle se taise et qu’elle me lâche !
Sidéré, Vasco pencha la tête en arrière pour tenter de capter le regard de Eden qui quelque peu déstabilisé, laissait son regard sauter de la jeune femme aux affrontements tout autour d’eux. La configuration dans laquelle venait de s’inscrire Jelena détonnait du reste du paysage : la folie rencontrait la violence et la guerre, ce qui pouvait aller de pair mais qui dans l’instant T, était plus effrayant que naturel.
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