Prologue (corrigé)
« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; [...] Mais, il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : « J'ai souffert, souvent, je me suis trompé, quelquefois, mais j'ai aimé. [Alfred de Musset] »
10 mai 2027
Sous un ciel radieux, deux esprits meurtris, portant en elles des fardeaux invisibles, se jouent dans une danse de faux-semblants. Leur complicité était à ce point évidente qu’ils pouvaient aisément être confondus avec un couple, surtout vu de loin. Elle était une jeune femme aux mèches de cheveux dorés, dissimulant derrière des sourires de circonstance une douleur qui lui lacérait le cœur. Lui, un individu d’une allure magnétique, camouflait sous des airs détachés une vérité sombre qui assombrissait son âme. Le jeune homme rompit le silence en se remémorant un souvenir commun, un sourire ambigu marquant ses lèvres.
— Tu te souviens de la première fois où l’on a fait des crêpes ensemble, Hailey ? Le ton de sa voix trahissait la tension qui s’instillait entre eux.
— C’était un désastre total, répondit-elle, sa voix évoquant une mélodie de nostalgie. On a dû jeter les trois premières crêpes.
Il émit un rire qui sonnait faux, et elle, comprenant l’artifice de sa gaité, ajouta :
— C’était un désastre, en effet. On a failli renoncer à cette mascarade culinaire, mais, finalement, tu m’as encouragée à continuer.
La jeune femme regarde autour d’elle, se souvenant de sa situation, le regard triste :
— C’est drôle, je me dis que notre histoire ressemble un peu à cette pâte à crêpes : mélangée, chaotique…
Il l’interrompt doucement, ses yeux brillants d’une lueur d’amusement et d’une tendresse dissimulée :
Finalement, elle était savoureuse. Il reprend, s’approche d’elle et pose sa main sur la sienne. En revanche, c’est aussi ce qui nous donne un sentiment de liberté, même si c’est éphémère.
Les mots, lourds de non-dits, flottaient entre eux comme une brume épaisse et impénétrable. Hailey, perdue dans la contemplation douloureuse du reflet renvoyée par leur histoire commune, poursuivait silencieusement sa tâche, chaque geste empreint d’une mélancolie subtile. La poêle, chauffée à blanc par le feu du souvenir, chantait une symphonie douce-amère, la pâte à crêpes crépitants d’une danse désordonnée, mais familière. Cette mélodie entêtante, bien qu’elle s’avère banale, symbolisait parfaitement leur relation, qui oscillait entre le chaos et le réconfort.
Les volutes de vapeur s’élevaient lentement, comme les espoirs fragiles qui les avaient autrefois portés, alors qu’Hailey versait la pâte dorée avec la précision d’un artiste peignant sur une toile blanche. Les bulles s’épanouissaient sous la chaleur intense, éclatant telles des promesses murmurées au creux de la nuit et évaporées à la lueur du jour. Et, dans ce murmure feutré de cuisson, chaque crépitement semblait renfermer une histoire infinie, chargée de souvenirs et d’émotions indicibles.
À mesure que la chaleur saisissait la pâte, transformant doucement ses contours, Hailey pouvait presque saisir l’essence de leur lien. Un mélange inextricable, aussi savoureux qu’incertain, où les douceurs se mélangeaient aux amertumes. En regardant la transformation magique opérer sous ses yeux, elle comprit que, comme cette pâte, leur relation constituait une création. Pour lui.
Après de longues minutes d’échange, il dévoila son trésor. L’instrument de sa mère, une guitare aux courbes vieillies par le temps, témoin silencieux des joies et des peines. Ils s'installèrent côte à côte sur un banc du jardin, un coin de paradis à l'ombre des majestueux arbres. Les cordes de la vieille guitare grinçaient doucement lorsqu'elles étaient accordées, puis la mélodie prit vie. Un jeune homme, un sourire éclatant illuminant son visage, se mit à chanter tendrement la mélodie de son cœur : « Falling in Love » d’Elvis Presley. Ses doigts dansaient sur les cordes de la guitare. Chaque corde pincée semblait transmettre une part de l'âme du musicien, emplissant l'atmosphère d'une intensité presque tangible.
Les notes, tantôt douces comme un souffle d'été, tantôt puissantes comme une marée déchainée, s'échappent de ses doigts agiles, tandis que son regard, teinté d'admiration, se fixe sur la jeune fille. Elle, en retour, lui offre un sourire, mais, en réalité, son esprit vagabonde bien au-delà de ce ciel azuré et du cadre enchanteur du jardin. Les arômes floraux du jardin imprégnaient l'air, mélangeant les parfums sucrés du jasmin avec la fraicheur terreuse de l'herbe fraichement coupée. Les arbres, comme des sentinelles silencieuses, encerclent cet espace, créant une atmosphère quasiment féérique.
— Wise men say only fools rush in… Sa voix se révèle être un murmure empreint de douceur et de gravité, alors que ses doigts dansent sur les cordes, captivants.
— Cette mélodie est tout simplement sublime et remplie d’une force incroyable ! s’exclama-t-elle, les yeux brillants d’une émotion qu’elle avait du mal à maitriser.
— Oui, elle a ce pouvoir de nous faire oublier, ne serait-ce qu’un instant, les tracas du monde, acquiesça-t-il.
— But I can't help falling in love with you… La jeune femme aux cheveux blonds entame un duo avec lui.
Hailey ferma les yeux, se laissant emporter par la mélodie. Elle sentit le bois sous ses doigts, lisses et familiers, qui vibraient en harmonie avec la musique. Les notes se répandaient en elle, évoquant des images de souvenirs lointains et de rêves futurs. La musique ressemblait à un pont entre le passé et le présent, une échappatoire vers un monde de beauté et d'émotions. Cependant, cette beauté apparente dissimule une tragédie profonde. Elle se sentait coincée, entourée d’arbres qui formaient une cage autour d’elle. Elle était retenue, tout comme lui, par un destin inévitable, les arbres jouant le rôle de barreaux invisibles dans leur geôle émotionnelle. Bien qu’elle soit physiquement libre de ses mouvements, elle était mentalement entravée.
Elle se sait perdue au cœur de cette forêt dense, où chaque échappée semble vouée à l'échec. Pourtant, une infime lueur d’espoir brille en elle, la poussant à persévérer, car, même si elle a résigné à son sort, cette démarche représente sa dernière chance. Réussir ou échouer, peu importe, elle peut seulement penser à la maxime : « Rien ne sert de courir, partir à point est essentiel. » Elle s'accroche à cet espoir, une bouée de sauvetage dans un océan d'incertitude.
Elle avait vécu cinq années interminables sous le joug de la captivité. Pendant ces cinq ans, elle avait lutté sans relâche, mais sans succès, pour recouvrer sa liberté. Pourtant, la détermination de la jeune fille ne faiblissait pas. Il avait essayé de la dompter, de la façonner à son image, mais, malgré tous ses efforts, elle restait insaisissable. Elle avait rapidement compris les règles de son jeu pervers, bien plus vite qu’il ne l’avait imaginé. Bien qu’il fît preuve d’une grande intelligence, ses tentatives pour mettre en place des stratégies échouaient systématiquement. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi. Même en divulguant les sombres secrets de son histoire familiale, il n’arrivait pas à toucher Hailey.
— « Tel père, tel fils », avait-elle sagement conclu après avoir écouté son récit.
Hailey était une jeune femme remarquable, captivante de personnalité, c’est pourquoi il l’avait choisie. D’une beauté saisissante, elle détenait en elle une force intérieure indéniable. Le concept du temps s’était estompé dans cet endroit, quasi irréel. Les journées semblaient s’étirer à l’infini, tandis que les nuits se réduisaient à de simples éclairs furtifs. Les échanges fluides du passé se transformaient en souvenirs lointains, chassées par le silence devenu omniprésent. L'air était chargé d'un potentiel changement, quasiment imperceptible. Il l’a laissé sortir aujourd’hui, peut-être pour cette raison.
C’était seulement la deuxième fois depuis leur arrivée ici. L’atmosphère était teintée d’un sentiment funeste, presque macabre. Malgré tout, l’espoir, même ténu, représentait sa seule chance de survie, le seul facteur qui animait encore son cœur. Après avoir échoué maintes et maintes fois, elle avait perdu espoir, mais cette fois-ci, quelque chose de différent se profilait à l’horizon. Elle jouait un jeu périlleux, une ultime tentative de liberté. Le cœur d'Hailey, c'est ainsi qu'on l'appelait, se gonflait d'espoir à l'idée de l'évasion prochaine.
À l'aube, la lumière du jour garantissait une issue. Elle savait que ce matin marquerait l’occasion. Elle se préparait face au miroir de la salle de bain, une pièce maudite où ses secrets se cachaient. Ses courbes étaient devenues une arme, sculptées par la résolution. Dans ses yeux, l'éclat de la jeune fille qu'elle avait été luttait pour ne pas s'éteindre complètement. Elle savait que la tâche à accomplir était risquée, et que chaque détail comptait. Alors qu'elle planifiait sa tentative d'évasion, chaque bruit dans la maison se transformait en un signal d'alarme strident dans son esprit. Les grincements du plancher, le murmure du vent à travers les fenêtres, tout semblait être le souffle menaçant de l'homme qui la retenait prisonnière. Ses propres battements de cœur résonnaient dans ses oreilles, rythmant le compte à rebours de sa tentative risquée.
Elle savait que ses mouvements étaient constamment surveillés, que des yeux invisibles suivaient chacun de ses pas vers la porte verrouillée. Lorsqu'elle s'approcha de la porte, la poignée froide sous ses doigts, l'ombre du harceleur pèse sur elle, comme un prédateur attendant patiemment sa proie. La tension planait, l’atmosphère chargée d’anticipation. Chaque seconde qui s'écoulait rendait la possibilité d'une évasion plus dangereuse, mais Hailey était déterminée à risquer le tout pour échapper à cet enfer. Elle devait être plus astucieuse et plus déterminée que jamais pour réussir.
Hailey s'élança hors de la maison lugubre, courant à travers la forêt dense comme une biche traquée. Les arbres se referment sur elle, créant un labyrinthe de feuilles et de branches. Ses pieds martelant le sol inégal. Chaque pas représentait une course désespérée pour la liberté, le son de ses propres battements de cœur résonnant dans ses oreilles. Chaque fois qu'elle jetait un regard par-dessus son épaule, elle pouvait voir le ravisseur se rapprocher, ses pas rapides résonants dans le silence oppressant de la forêt. La tension était à son comble, la forêt ajoutant un élément d'horreur à sa fuite.
Alors qu'elle émergea d'une clairière, elle fut confrontée au bord d’une falaise escarpée. L'abime s'étendait devant elle, un gouffre vertigineux ayant, pour sol, de l’eau. Elle fit une pause, la peur et la détermination se battant en elle. Elle comprenait que ses options se réduisaient à néant. La falaise se dressait devant elle comme une barrière insurmontable. Hailey était prise au piège, une proie acculée. Son cœur battait la chamade, et l'angoisse la submergeait. Le piège se refermait, et il devenait évident qu'elle ne pourrait pas lui échapper en reculant.
Hailey savait qu'elle n'avait plus nulle part où aller, que le précipice était le seul choix qui lui restât. La jeune femme tourna son regard vers l'homme qui l'avait retenue prisonnière pendant si longtemps. Le dialogue tendu qui s'ensuivit était une danse de paroles acérées, chacun luttant pour prendre l’ascendant. La tension s’avérait presque insupportable, car la décision qu’elle devait prendre se dessinait explicitement. Le kidnappeur s’approcha lentement, un sourire malsain sur les lèvres.
— Tu ne peux pas m'échapper, Hailey, cracha-t-il. Tu m’appartiens, pour toujours.
La détermination d’Hailey, déjà mise à rude épreuve pendant cinq ans de captivité, atteignait son paroxysme. Elle se tenait au bord de la falaise, le vent fouettant son visage, et savait qu’elle était arrivée au point de non-retour. Le regard de défi dans ses yeux rencontra celui, glacial, de son ravisseur.
— Peut-être, murmura-t-elle, la voix tremblante. Je ne te serai jamais acquise, quelles que soient tes actions.
Puis, sans regarder derrière elle, elle sauta dans le vide.
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