Chapitre 5
10 mai 2027
La chute avait été brusque et vertigineuse, comme un rêve cauchemardesque se mêlant à la réalité. Elle avait fermé les yeux, l'air sifflant à ses oreilles, la gravité attirant irrémédiablement son corps vers l'inévitable. Sa chute avait ressemblé à celle des étoiles filantes, un plongeon étourdissant dans l'insondable. Entre ciel et abysses, elle avait embrassé cette liberté tant convoitée, se fondant dans un espace où le temps semblait suspendu. Sa respiration s'était faite sifflante, chaque poumon empli d'un air devenu précieux. Sa vie avait défilé devant ses yeux, comme un film que l'on visionne pour la dernière fois – des souvenirs amers, des moments de joie volés, des combats sans relâche et puis… le vide.
L'impact avec l'eau froide l'avait ébranlée violemment, la précipitant dans un autre univers, opaque et silencieux. L'eau, douce, mais impitoyable, avait accueilli ses sanglots muets, emprisonnant ses cris de désespoir dans un tourbillon d'ondes infinies. Tout autour d'elle, l'obscurité s'était étendue comme un drap funèbre, tandis que de maigres éclats de lumière scintillaient encore au-dessus de l'eau, tels des gardiens silencieux veillant sur sa destinée. La pression était devenue insoutenable. Chaque seconde qui passait apparaissait comme une éternité. Chaque bulle d'oxygène qui lui échappait devenait le symbole de sa lutte acharnée pour la survie. Elle avait essayé d'émerger, de reprendre son souffle dans un sursaut d'espoir, mais l'eau l'invitait à descendre encore, toujours plus profondément.
Son corps s'était agité en désordre, faisant appel à des forces qu'elle ne savait plus posséder. Hailey, la femme au cœur de lion, voyait ses limites humaines s'imposer, sévères et impitoyables. Elle avait lutté, avec toute l'énergie qui lui restait : dansant une valse avec la mort dans une mer silencieuse. À travers la réverbération incertaine des eaux, elle n'avait discerné que le reflet du ciel, si loin au-dessus d'elle. Ciel radieux, ce miroir azuré contrastait tant avec l'obscurité oppressive dans laquelle elle se débattait. Et pourtant, même dans cette lutte désespérée, elle n'avait pas renoncé. Dans une ultime résistance, Hailey, cette âme rebelle, avait poussé vers la claire surface, aspirant à la liberté qu'elle invoquait avec un désir brulant.
Figé sur le bord de la falaise, il avait contemplé avec incrédulité la scène qui se déroulait sous ses yeux. Il ne s'attendait pas à un tel dénouement. Ses yeux s'étaient écarquillés alors qu'il voyait Hailey disparaitre au-delà du rebord de la falaise. Elle n'aurait pas osé, se disait-il. Mais elle l'avait fait. Son jeu, ses règles, sa domination – tout avait été réduit à néant par cet acte ultime de défiance. Le souffle coupé, il avait mis quelques instants avant de rassembler ses esprits.
La forêt, témoin muet de cette tragédie en cours, semblait retenir son souffle. Les feuilles bruissaient, le vent suspendu au murmure de la nature. Abasourdi par l'audace d’Hailey, il n'avait pas réagi immédiatement. Puis, un flot d'émotions contradictoires l'avait submergé. La surprise avait cédé la place à la frustration et la frustration à la rage. Un rugissement primal s'était échappé de sa gorge, déchirant le calme relatif de la nature environnante. Il était impuissant, dépassé par les évènements.
— Non ! avait-il hurlé, impuissant, en voyant la silhouette de la jeune femme disparaitre dans les profondeurs de l'eau.
Il s'était approché du rebord, scrutant la surface agitée de la rivière. Une onde de choc avait traversé son visage alors qu'il réalisait l'ampleur de ce qui venait de se produire. La certitude de sa domination s'était évaporée avec le plongeon audacieux d’Hailey. Il était désarmé, confronté à la réalité inattendue de sa propre défaite. Les secondes s'écoulaient comme des heures. Le cours d’eau gardait son secret, ne livrant aucun indice sur le destin de la jeune femme. Il se sentait pris au piège entre l'incompréhension et la frustration, ne pouvant concevoir que sa proie lui ait échappé de cette manière. Puis un calcul glacial avait repris le dessus. Il devait agir vite. La première chose qu'il avait faite était de vérifier avec prudence les alentours. L'écho de sa victoire sur la solitude résonnait avec une pointe d'amertume. Il avait reculé lentement, conservant une apparence de calme, tout en tissant un scénario dans son esprit retors. Sachant qu'il n'avait plus d'issue, il se rendait, avec la prétention qu'un homme tel que lui devait contrôler même sa chute. Il essayait d'énoncer ses conditions, de maintenir une certaine dignité dans la défaite, mais la vérité restait implacable : il avait perdu, et sa fin serait dictée par d'autres que lui.
Le bourdonnement implacable des pneus creusant leur chemin sur l’asphalte écorché avait capté l’entièreté de l’attention de l'homme. Chaque vibration était un prodige macabre amplifiant la pression qui oppressait sa poitrine. Cet homme, étreint par la quintessence du désespoir, demeurait à l’affut du moindre panneau de signalisation – chaque virage, chaque changement de lumière marquait l’évolution de son angoisse intrinsèque en une sensation indiscernable de malaise. Lueur faible dans son regard aiguisé, l’homme était en proie à un débat interne où les notions de rédemption et de damnation fusionnaient, floues et intangibles. Sa voiture, destrier d’acier fidèle et réconfortant dans sa familiarité, lui permettait une escapade temporaire face au flot implacable du temps. Chaque mouvement de levier, chaque ajustement de trajectoire, n'était que des sursauts de survie dans la tragicomédie de sa quête d’un pardon improbable.
Lorsqu'il avait dirigé le véhicule sur l'accès menant au parking désolé du poste de police, une vague glaciale l'avait submergé dans les profondeurs de son cœur : il comprenait l’acte de bravoure – ou de folie – qu’il s’apprêtait à commettre. La solitude du parking sonnait telle l'ouverture de son opéra de confession, son moteur gisant dans un dernier soupir mécanique, la fin de son lugubre périple annoncée. Sous le ciel indifférent, un ballet des étoiles au-delà de son atteinte, l’homme qui avait semé la terreur dans l'univers d’Hailey se tenait prêt à exhiber sa vérité cachée. Plus qu’un persécuteur, il avait été le tisseur d’une morne toile de vies avortées par ses propres mains.
Le fardeau écrasant de ses révélations le paralysait, chaque assassinat ressurgissant avec l'acuité implacable d'instants éternisés. Le visage de sa dernière cible, figé dans un appel à la clémence, hantait sa conscience – un chœur chaotique de remords silencieux. Sa sortie du véhicule marquait l'accélération de l'angoisse, le conduisant en une marche solennelle vers l'épreuve ultime. Il avait choisi Eliott, la seule ancre de réalité dans le tourbillon de son esprit, pour recevoir son confessionnal. Pourtant, planning et destin s’affrontaient souvent en adversaires farouches, et rien ne se déroulerait comme prévu. Chaque pas le portait plus profondément dans le corridor atrabilaire du commissariat. Le visage d'Eliott brillait par son absence, un feutré juron mordant l'intérieur de sa joue, tandis que la perspective d'une confession à Sami s'imposait, inévitable. Approchant le bureau de réception, il se sentait se déliter, son espoir s'amenuisant pour rejoindre le néant de ses illusions perdues. Lui qui n'était plus qu'une ombre, désormais hanté par ses propres actes, avait imploré dans un murmure brisé :
— Je dois… Je dois parler à quelqu'un. C’est une question de vie ou de… En fin de compte, la mort est toujours proche, n’est-ce pas ? Hailey Bennett, c’est très urgent, a-t-il insisté, exhalant une urgence qui imprégnait chaque pore de son corps.
Chaque syllabe pesait de tout le poids d'une conscience endeuillée, portant le stigmate d'actions irréparables. Il avait fait face à l'incrédulité de la réceptionniste, ses yeux trahissant la gravité de celui qui flirte avec l'abime.
Sa voix avait sonné comme celle d’un homme usé par les combats internes, cherchant une planche à laquelle se raccrocher dans une mer tumultueuse. Les yeux de Sami avaient suivi l'homme à travers l'espace confiné du poste de police dès son entrée tumultueuse. Leur dernière interaction ne lui avait laissé qu'une impression fugace de politesse nécessaire entre de simples connaissances. Mais à cet instant, alors que l’atmosphère brumeuse de cette aurore maussade filtrait par les fenêtres étroites, Sami avait senti la première goutte de sueur froide perler sur son front. Il y avait quelque chose dans l'aura de l'individu qui ne correspondait pas à l'image d'un homme venu régler un simple désagrément routinier.
L'échange s’était rapidement engagé entre lui et la réceptionniste, chargé d'une tension palpable. Sa voix brisée portait plus de souffrance que l'officier n’aurait pu imaginer, évoquant de sombres abimes secrets qui poussaient Sami à reconsidérer son jugement initial. Les mots avaient émergé entremêlés de détresse et d'urgence, tels des fils désespérément tirés d'un tissu autrement bien ordonné.
La salle d'interrogatoire, avec ses murs nus et sa table métallique froide, invoquait habituellement une impartialité difficile à ébranler. Mais lorsqu'il avait fermé la porte derrière lui, Sami ne pouvait nier le trouble croissant qui prenait racine en lui. Il avait pris place en face de cet homme transformé, un ouragan d'émotions voilé juste sous la surface de son teint pâle. La neutralité de Sami, autrefois un bouclier contre la marée des confessions tragiques qu'il avait entendues dans cette même salle, vacillait sous l'impact de cette rencontre imprévue. La salle d'interrogatoire austère, dénuée de tout hormis la vérité qu’elle cherchait à révéler, était devenue le théâtre où Sami affrontait ses révélations. Les murs témoins, l'acier résonnant des vérités exprimées, Sami se préparait à conjuguer empathie et jugement, son regard se raffermissant à la mesure du récit écaillé de cet homme.
D'un bond, sa colère avait éclaté, tranche de haine à peine contenue devant l'homme qui dévoilait peu à peu sa véritable nature.
— Où est Hailey ? avait-il exigé, les poings prêts à écrire leur propre justice.
La suspicion initiale qui nimbait ses pensées commençait à chauffer comme de l'eau sur le point de bouillir. Les déclarations, son comportement erratique et sa nervosité quasi palpable provoquaient chez Sami une réaction chimique intérieure, suscitant une méfiance qui montait en crescendo. La possibilité que Soren fût impliqué dans quelque chose de véritablement grave avait amené Sami à réajuster sa posture, son regard s'affutant malgré lui.
Assis en face d'un homme qui semblait aussi dangereux qu'un animal blessé et imprévisible, Sami se préparait à affronter la vérité qui les avait amenés à ce moment d'incertitude. Désormais, plus rien ne serait pareil entre ces deux hommes ; l'un basculant dans les profondeurs de la loi et l'autre, témoin et architecte simultané de justice, était prêt à cuisiner lentement la vérité dissimulée, jusqu'à ce qu'elle se révélât dans toute son amère saveur.
Son récit était ponctué de tension et d'angoisse, chaque détail pouvant être la clé ou le verrou de sa survie. Il parlait d'Hailey, de cet amour torturé, d'une fugue dramatique, de l'ombre d'un ravisseur implacable. Sami écoutait, prenant des notes méticuleuses, ses yeux ne cachant pas un soupçon grandissant de dégout face à l'homme qui se présentait comme victime alors qu'il était probablement plus.
Soudain, un sentiment de haine sourd avait envahi Sami. Il percevait entre les lignes l'adrénaline sombre de la culpabilité. Instinctivement, il comprit qu'il n'était pas seulement un informateur, mais un pivot de l'histoire qu'il déroulait. L'homme en lui ne pouvait séjourner dans la passivité face à un tel crime. Il s'était levé brusquement, la colère transfigurant ses traits.
— Où est-elle maintenant ! avait-il craché, les poings serrés.
À peine avait-il fait un pas vers lui, que la porte s’était ouverte avec fracas. Eliott avait fait irruption dans la pièce, alerté par les regards inquiets des collègues ayant aperçu la montée en tension. Son expérience lui avait appris à jauger l'atmosphère d'une pièce en un seul coup d'œil : Sami, en proie à une colère viscérale, le coupable, pétrifié par les conséquences de ses propres révélations.
— Sami, recule ! avait ordonné Eliott, empoignant son collègue par le bras pour le retenir.
La sécurité personnelle d’Eliott n’était pas son seul souci. Il savait qu’il devait protéger l’intégrité de l’enquête, même dans l’urgence. Un passage à l’acte irréfléchi pourrait tout compromettre. Le regard de l’officier aguerri croisa celui d’Eliott, appelant à la raison.
Sami, le souffle court, mais l’âme encore enflammée, avait été tiré en arrière par Eliott. Son regard noir ne se détachant pas du sujet de son ire.
C’était lui dès le début, c’était lui, avait-il prononcé d’un ton résolu, en serrant les dents et en regardant Eliott, toujours empreint de colère légitime.
Eliott avait hoché la tête en silence, résolu sur la marche à suivre. La loi ne se faisait pas par les poings, même si leur cœur disait autrement. Sami fixait l’humain, se repassant chaque détail de l’histoire, cherchant les failles dans un décor qui, il en était sûr, cachait l’impensable.
La pièce semblait s’être muée en un échiquier dans lequel chaque joueur devinait le coup suivant de l’adversaire. Le criminel savait qu’il devait continuer, dévoilant ses cartes avec prudence. Sa fin, il la percevait proche, dicté par les hommes devant lui. Son regard avait dévié vers l’extérieur, où l’indifférence du ciel contrastait violemment avec le drame humanisé contenu dans les murs de ce poste de police.
Dès son apparition soudaine dans l’encadrement de la porte, Eliott interrompit la tension en scrutant attentivement la scène. Sa poigne ferme sur Sami fut le répit nécessaire pour préserver l’intégrité de l’enquête sacrée.
— Pas ici, pas ainsi, avait insisté Eliott, ramenant Sami à une prudence calculée.
Les yeux rivés l’un sur l’autre, ils s’engagèrent tacitement à assurer la justice. Une détermination inflexible anima leurs cœurs, scellant leur serment de préserver l’ordre. Sami, toujours sous tension, analysait les révélations partielles de l’individu, le casse-tête sordide prenant progressivement forme dans son esprit.
Dans cet espace, devenu arène silencieuse de luttes intérieures, chaque vérité déterrée rapprochait le monstre de sa fin imminente. Ses yeux, dernières fenêtres ouvertes sur un extérieur inconscient du drame intérieur déchiffré dans les couloirs du commissariat, réfléchissaient l’ultime reflet de son destin façonné par les mains de la loi.
Après l’intervention d’Eliott pour calmer la situation tendue, il s’était tourné vers lui avec un mélange de détermination et de perspicacité froide. Il n’avait pas construit sa carrière en cédant à la précipitation ou aux jugements hâtifs. Ses yeux perçants, masque d’un esprit aiguisé, avaient été entrainés à distinguer le vrai du faux, à lire entre les lignes de chaque situation chaotique qu’il avait rencontrée au fil des ans.
Eliott était le genre d’enquêteur qui connaissait la noirceur des profondeurs humaines, mais qui choisissait de maintenir une lueur d’humanité dans son approche. Son esprit, comme un lac profond et tranquille, avait l’habitude de refléter les facettes les plus troubles qu’il rencontrait, tout en gardant la clarté nécessaire pour ne pas s’y perdre.
Dans sa tête, les rouages de la logique et de l’intuition se combinaient pour former un alliage inébranlable. Il était un homme de peu de mots, mais chacun était choisi avec une précision chirurgicale, pesés pour maximiser leur impact sans jamais déborder sur le domaine de l’émotion. Eliott savait que chaque suspect cachait une histoire. C’était cette histoire qu’il cherchait à découvrir avec patience, avec tactique, et avec une compréhension profonde du comportement humain.
Il restait impassible, incarnant le calme au milieu du tumulte qui agitait l’assemblée. Son visage affichait une tranquillité presque frustrante pour ceux qui étaient habitués à des réactions instantanées,
Eliott avait reconnu dans cet homme les signaux d’un individu piégé dans sa propre toile d’actions et de mensonges. Un frisson de compréhension lui avait parcouru l’échine alors qu’il décelait la sensation glacée de la vérité émergeant peu à peu des abysses. Son esprit s’était mis à lancer des hypothèses, les testant, les affinant, à la recherche de la pièce pivot qui ferait basculer le destin de Soren et révèlerait l’entière vérité derrière son récit.
Face à Sami qui, bien que retenu, ne pouvait dissimuler le brasier de colère le consumant, Eliott avait incarné l’ancre. Dans la salle d’interrogatoire, il avait orchestré les interactions avec la maitrise d’un chef d’orchestre dont le battement de baguette décidait des éclats et des silences. Eliott était une force tranquille, une présence rassurante pour ses collègues, une menace sourde pour ceux qui se tenaient du mauvais côté de son jugement.
Et tandis que le criminel découvrait peu à peu les cartes de sa main, Eliott s'était préparé à jouer la sienne. Car pour lui, chaque jeu avec lequel la justice était en balance n'était pas seulement une affaire de preuves et d'aveux, mais une question d'âme – et il était déterminé à voir clair dans celle de celui-ci.
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