Chapitre 2
Il put presque prévoir la réaction de Lùca. Son prévisible étonnement et sa panique tombèrent pile dans ses attentes. Sans un mot, Lùca quitta l’appartement, claquant la porte derrière lui. Il se rua sur son appli de navigation pour entrer les coordonnées et découvrit qu’elles orientaient vers le parc. Jetant un œil à sa montre, Lùca s’alluma un joint. Il était 9 h 20. Il prit conscience du peu de temps qui lui restait, se mit à courir, esquivant de justesse les passants. Malgré la morsure du froid matinal, l’adrénaline atténua la moindre sensation. Ses baskets frappèrent férocement le bitume. Le criminel, voulant être aux premières loges, peina à suivre son allure frénétique tandis que Lùca traversait, ignorant les voitures qui klaxonnaient et tentaient de freiner pour l’éviter.
De +663878….
Pour continuer, envoie « DOULEUR » au +664478….
À +663878….
DOULEUR
De +663878….
Demande-lui sur quoi portait leur dernière conversation.
Lùca, à bout de nerfs et de patience, lança un violent coup de pied dans une poubelle du parc, gagnant un regard réprobateur d’un couple assis à proximité. Il se souvint de Charlie, la dernière personne qui l’avait vue. Elle gardait le silence sur leur dernière conversation.
À +663878….
DOULEUR DOULEUR DOULEUR DOULEUR DOULEUR DOULEUR
De +663878….
SPAM ! ERREUR 406
— Putain !
Il décida donc d’aider un peu plus Lùca.
De +663878….
Eliott
Sans plus réfléchir, Lùca se précipita vers le poste de police. À son arrivée, un homme à l’allure pour le moins excentrique s’était présenté à Eliott, le policier derrière le comptoir. L’homme, pas si grand, mais plutôt rondouillard, avait l’air d’une figure plus amusante que séduisante. Derrière son regard coquin se cachait une expression de douleur. Malgré sa maladresse évidente, il arborait des vêtements impeccablement propres.
— J’aurais besoin d’une ordonnance restrictive, articula-t-il d’une voix confuse.
Eliott, en service derrière le guichet ce jour-là, ne cacha pas son étonnement.
— Contre qui pourrait-elle être cette ordonnance, monsieur ?
— Mon chat, répondit-il sans hésitation.
Eliott, retenant son rire, se renseigna davantage. L’homme lui raconta une série d’anecdotes plutôt improbables et hilarantes à propos de son chat, qui démontraient que son chat gouvernait sa maison avec une main de fer. Finalement, Eliott ne put retenir son rire.
— Contre votre chat, vous dites ?
— Oui, mon chat.
— Eh bien, monsieur, je suis vraiment désolé, mais nos services sont principalement dédiés aux affaires impliquant des êtres humains.
— Ne désirez-vous pas être au courant de ce qu’il a perpétré ?
— Je ne préfèrerais pas, réellement. L’invitant à abandonner le lieu : passez une excellente journée.
Eliott décida malgré tout de rentrer dans son jeu, intrigué par le personnage qu’il avait en face de lui.
— Pourquoi voulez-vous une ordonnance restrictive contre votre chat, monsieur ?
— Il est astucieux, cet animal. Parfois, je pense qu’il est le vrai patron de la maison, expliqua le rondelet avec une mine sérieuse semblable à celle d’un général décrivant ses ennemis.
C’est alors qu’il relata une série d’anecdotes, aussi absurdes que divertissantes.
— Vous voyez, hier soir, tout le monde dormait, et il a décidé que c’était le moment idéal pour frapper à la porte du voisin avec sa griffe. Il grimpe sur le couloir d’entrée, puis il tape et entend le chien aboyer, par la suite — bang ! — Il saute d’une fenêtre du premier étage.
— Votre chat tape à la porte de votre voisin jusqu’à ce que leur chien aboie ? Eliott demande en retenant un rire.
— Absolument, et ce n’est pas tout. Ensuite, il rentre par la fenêtre et se couche sur mon visage. Je me réveille suffocant, pensant être victime d’une SEEP (Syndrome d’Effort Éveillé par le Prix des croquettes pour chat)…, explique le rondelet, radicalement sérieux.
Eliott, à ce stade, ne pouvait plus contenir son hilarité.
— Et puis, il y a aussi ses crises nocturnes. On dirait qu’il joue à cachecache avec des fantômes dans la maison. Je pense qu’il est accro à la caféine, poursuis le rondelet.
— Il boit du café ? Eliott se penche légèrement en avant, emporté par la situation hilarante.
— Eh, bien Clara — ma femme — aime aussi son café avec une goutte de lait. Alors voilà, le chat a appris à boire dans sa tasse, mais seulement lorsque vient le tour de Clara. Vous voyez, il ne me fait pas ça à moi !
Eliott éclate de rire, « Votre chat a vraiment l’air d’être un sacré filou, monsieur ! »
— C’est bien ce que je dis, alors vous voyez pourquoi je voulais une ordonnance restrictive ? Conclus l’homme rondouillard en haussant ses épaules.
— Je comprends votre situation, monsieur, et je suis désolé si vous avez des difficultés avec votre chat, fit Eliott. Cependant, comme je l’ai mentionné, un mandat d’interdiction ne peut être délivré qu’à l’encontre d’un humain. En revanche, vous devriez peut-être envisager de contacter un dresseur d’animaux ou une clinique vétérinaire.
— Vous pensez ?
L’homme rondelet parut alors réconforté. Eliott continua en lui expliquant que le comportement de son chat pourrait être le résultat d’un problème de santé ou de stress, pour lequel un professionnel pourrait apporter une solution. Une lueur d’espoir étincela dans les yeux de l’homme tandis qu’il prenait note des recommandations d’Eliott, et il le remercia chaleureusement avant de quitter le bureau.
À peine la porte se referma derrière lui, Eliott fut interrompu par un bruit soudain. Il se retourna vivement pour voir Lùca qui venait d’entrer dans son bureau, posant une photo mystérieuse sur son bureau. Eliott fronça les sourcils en voyant les visages familiers sur la photo. Il commença à se demander où Lùca avait pu l’obtenir lorsque ce dernier l’interrompit :
— On arrête les mensonges, Eliott. Il est temps que tu me dises ce que tu sais.
Face à Lùca, l’attitude enjouée d’Eliott se dissipa brusquement. Il inspira profondément, conscient des conséquences que sa révélation pourrait engendrer.
— Lùca, je… Je ne peux pas… Commença Eliott, clairement mal à l’aise.
Lùca, ignorant les règles, insista :
— Hailey était ma petite amie, Eliott. Je veux savoir.
Lùca persista, lui demandant si Hailey avait mentionné quelque chose avant de disparaitre. Eliott, malgré son hésitation initiale, lui dit finalement qu’ils avaient discuté de Charlie. Ce fut dans les moments incisifs que les vérités les plus dures tombèrent, là où les plaies s’ouvrirent aux forts mal-aimés qui nous entourent : ces êtres que nous croyons connaitre mieux que nous-mêmes, engendrant ainsi les blessures les plus profondes. Une fois obtenu ce qu’il voulut, Lùca quitta le poste de police, Eliott le regarda partir. Le cœur de l’agent de police battit doucement dans sa poitrine, car, en lui, un sentiment de culpabilité s’enracina. Il avait trébuché sur la ligne étroite entre ses obligations professionnelles et sa loyauté envers son ami. Lùca fit de son mieux pour digérer l’information qu’Eliott venait de lui fournir. Charlie. Bien sûr. Le frisson du doute traversa sa colonne vertébrale. Dès le début, il y avait eu quelque chose d’étrange à propos de Charlie, quelque chose sur quoi il n’arrivait pas à mettre le doigt. Un sentiment d’incommodité qui n’avait fait que grandir au fil des jours. Son regard, son sourire ressemblant plus à une grimace. Et tant de questions qu’elle posait, des questions qui n’avaient pas lieu d’être. Une sensation de froid et de malaise s’installa en lui alors qu’il se mit à marcher sans réelle destination. Les jours passés sans Hailey prirent un nouvel éclairage, remplis d’indices qu’il n’avait pas réussi à prendre en compte. Des pièces du puzzle commencèrent à s’imbriquer les unes aux autres, peignant un tableau qu’il préfèrerait ne pas voir. Charlie. Sa frange brune encadrant ses yeux sournois. Ses rires trop forts pour des blagues démodées. La manière dont elle avait insinué son chemin dans la vie de Lùca sous le couvert d’une amie attentionnée. Faire face à Charlie directement n’était pas une option. Pas encore. Trop de questions restaient sans réponse, tissant un filet de suspicion et de peur. Lùca décida de suivre les signes, de se dire qu’une piste mènerait à un indice, cet indice à une vérité et cette vérité à Hailey. Un mouvement désemparé gonfla son cœur à la pensée de toutes les possibilités. Il observa chaque visage dans la rue, chaque voiture, chaque ombre, chaque rire, chaque chuchotement. Pour la première fois, il ne se sentit pas perdu. Plutôt, c’était un sentiment de détermination qui l’envahit. La voix de Charlie résonnait dans son esprit et, malgré tout, il n’arriva pas à la haïr. Pas encore. En fin de compte, Lùca dut admettre une chose qu’il avait si longtemps niée ; il était la seule personne qui pût réellement sauver Hailey. Le monde de Lùca était en lambeaux, déchiré par les révélations d’Eliott. Toutes ces années de confiance en sa compagne s’effritèrent sous le poids du doute. Les avertissements qu’il avait négligés et qui avaient plané sur leur relation depuis si longtemps résonnèrent maintenant comme des oracles sinistres. Les mises en garde qui lui avaient été lancées à plusieurs reprises se matérialisèrent en ombres menaçantes. Il ne put se résoudre à admettre que Charlie, son amie la plus chère, pût être impliquée dans une telle énigme, une énigme qui avait balayé sa vie comme une tempête dévastatrice. Les souvenirs d’elles ensemble, des années d’amitié et de complicité, vinrent heurter la réalité de manière brutale. Il eut désespérément besoin de partager ce fardeau écrasant qui pesait sur son cœur, mais il était perdu, ne sachant pas vers qui se tourner.
Eliott, malgré toutes ses bonnes intentions, ne put rien faire de plus pour lui, même avec les informations fraichement révélées. Le dossier Bennet, comme ils l’avaient baptisé, semblait fermé, mais Lùca n’était pas prêt à l’accepter. La lettre d’Hailey, soigneusement examinée par des experts, ne laissa que des conclusions amères : elle avait simplement disparu, effaçant son existence sous une nouvelle identité, une identité forgée dans l’obscurité des circonstances mystérieuses. Il ne restait plus que Sami, son ami de longue date, celui avec qui il avait rompu tout lien. Leurs retrouvailles s’annoncèrent difficiles, car il savait qu’il avait franchi des limites, blessé son ami. Cependant, il n’avait plus le luxe de la fierté. Il dut présenter ses excuses, un geste qui lui couta, même s’il reconnaissait ses erreurs. Lùca se sentit comme un funambule sur un fil tendu, oscillant entre espoir et désespoir, peur et détermination. L’échange de messages avec Sami, le cliché de la photo d’Hailey envoyé en désespoir de cause, résonna comme un cri silencieux de son âme tourmentée.
À +33644293541 :
[Envoi d’une photo]
La réponse ne se fit pas attendre longtemps.
De +33644293541 :
Il faut qu’on parle !
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