9 Palais - De Jolis Choux

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Mardi, jour de réunion de chantier.

C’est moins marrant désormais.

Les gars sont surtout des décorateurs et des « professionnels de l’Évènementiel » comme ils se nomment eux-mêmes. En fait de réunion de chantier, c’est davantage une préparation de mariage. Enfin ce qu’en imagine Edmond. Les petits fours, les annonces au micro, le spectacle, le champagne, il n’est plus trop dans son élément.

 

Un homme âgé et les yeux transparents, s’approche de lui.

Lui tendant la main, il se présente : Philippe Dubois, pépiniériste.

— Edmond Vallone, j’ai pris la suite de Monsieur Piacenza sur ce chantier.

Le visage de l’homme est chaleureux.

— Bonjour Monsieur Vallone. Je viens aux nouvelles concernant ma partie. Savoir comment cela s’est passé, de votre point de vue, j’entends.

— Eh bien, Monsieur Piacenza pourrait vous faire le début, je vous ferai les derniers jours avant que Mademoiselle Magnan ne termine.

Son ellipse fait sourire Pepito qui enchaîne alors avec pudeur :

— Oui, j’ai rencontré Monsieur Piacenza. Il m’a expliqué que Blanche avait fait du bon boulot, et que certains de ses gars l’avaient aidée. Il m’a dit aussi qu’elle se prenait le bec fréquemment avec certains et qu’il devait intervenir pour faire reprendre le boulot à chacun.

Le volume de sa voix a baissé. Fixant Edmond, il ajoute :

— Je voulais savoir si c’est ce à quoi vous avez assisté également.

— Monsieur Dubois, Mademoiselle Magnan est un professionnel particulièrement impliqué dans ce qu’elle fait. Elle met un investissement certain dans son travail et il a pu arriver que cela heurte la nonchalance de certains personnels de chantier.

Les deux hommes se dévisagent, Edmond ne saisissant pas bien ce que cherche Dubois.

— Monsieur Vallone, Je savais que vous étiez un bon gars et je suis ravi que vous le confirmiez ainsi. Mais, poursuit-il, vous vous méprenez sur mes intentions. Et je vois, à la façon dont vous raisonnez, que je vous dois quelques explications. Mila, elle s’appelle Blanche mais ses amis l’appellent Mila, Mila travaille pour moi depuis un peu plus d’un an, de son propre chef, vous pourrez le lui demander, elle est instruite, et pour des raisons qui lui sont personnelles, elle a… euh… rompu avec un certain nombre d’attaches...

Il élude la fin de sa phrase par un mouvement du poignet, et son regard se fait menaçant.

— Vous vous êtes sans doute rendu compte qu’elle ne se lie pas facilement, ni ne demande d’aide à quiconque sur quoi que ce soit, il est donc important pour moi de faire mon possible pour, à distance, veiller sur elle.

Son regard se fait inquisiteur. Il attend la réaction d’Edmond à cet aveu.

— Ceci explique tout un tas de choses.

— En effet.

— Eh bien je pense qu’elle a été très isolée. Elle mangeait seule, dans sa voiture. Je l’ai vue partir quelques fois vers l’hôtel en face. Je suppose qu’elle se ressourçait un peu là-bas. Je crois qu’elle a agressé tous les gars, ayant toujours un truc à leur reprocher. Au début je pensais qu’elle en avait après les gens du bâtiment, maintenant, il me semble que c’est après les hommes en général qu’elle en avait. Seul Bruno et un gars de l’équipe de décoration ont échangé des propos apaisés avec elle.

Il marque un temps et soudain il dit :

— Monsieur Dubois, elle m’a dit que c’est elle qui dessinait chez vous. Pourquoi ne rendez-vous pas cette information publique ? Elle a le droit de vivre de son travail !

Le visage de monsieur Dubois s’illumine :

— Elle vous a dit que c’était elle, que c’étaient ses dessins… ?

— … oui…

Monsieur Dubois attrape le bras d’Edmond, les yeux brillants.

— C’est bien. C’est bien. Oui… euh... Mila n’a aucun diplôme. Enfin Blanche. Enfin, en botanique, en jardinage, j’entends. Elle refuse pour l’instant de faire une formation. Elle est arrivée chez moi parce qu’elle plantait des choux et qu’elle voulait des jolis choux ! C’est fou, hein, vous ne trouvez pas… ? Comme la vie est bizarre, parfois ! Elle m’a montré quelques dessins et maintenant je veux qu’elle les fasse tous. Mais elle refuse de les signer. Elle tient à ce que je les valide. Évidemment, je trouve des choses à modifier, parce qu’elle n’est pas encore au top pour les variétés, les faciles, les pas faciles… Tout ça. Mais pour créer des atmosphères, elle a des années d’avance sur moi. Elle écoute les clients et hop, ça s’allume dans sa tête. Elle sait comment les gens fonctionnent et elle leur propose des trucs top personnalisés.

Le brave homme est tout chamboulé. Il a totalement perdu son charisme, on dirait un enfant venant d’apercevoir le père-noël.

— Mais si elle a reconnu qu’elle dessinait, ça c’est formidable !

Son visage soudain s’assombrit, et fixant Edmond de son regard de source, il dit :

— Mais pourquoi elle vous l’a dit à vous ? Hein ? Quels sont vos rapports avec elle ? Attention Vallone, ne la touchez pas, ne lui faites pas de mal ou je saurais vous retrouver… !

Le vieux est devenu fou.

Edmond prend le ton le plus autoritaire qu’il peut :

— Monsieur Dubois, calmez-vous. Je n’ai aucunement l’intention de toucher à Magnan. D’ailleurs, excusez-moi, mais je pense qu’elle préfère les dames.

— Monsieur Vallone, Mila est hétérosexuelle si vous me permettez d’être précis. Elle ne demande qu’à aimer et à être aimée. Et c’est tout ce que je lui souhaite !

Leurs téléphones n’arrêtaient pas de sonner, tantôt l’un tantôt l’autre, tantôt les deux en même temps. Monsieur Dubois reprend :

— Monsieur Vallone, vous viendrez à l’inauguration ?

— Euh… non, je ne pense pas. Je n’aurais pas beaucoup de copains avec qui trinquer !

— Monsieur Vallone, intime-t-il du front, les yeux grands ouverts et menaçants. Il faut que vous veniez à l’inauguration !

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