De : Edmond VALLONE

Objet : Rollers

Date : 19 Octobre 17 :43

À : Blanche MAGNAN

 

Blanche,

Il y a ce soir un rassemblement de rollers dans l’allée extérieure du parc.

Ils commencent à 19 h 30. Il paraît que c’est bien. J’y serai.

Je prendrai le tram vers 19 h au parc auto et je vous attendrai à la station Le Parc.

 

Edmond VALLONE.

Conducteur de Bœufs

Ent. Générale ROBERT

 

De : Blanche MAGNAN

Objet : Re : Rollers

Date : 19 Octobre 17 :51

À : Edmond VALLONE

 

19 h au parc auto, j’y serai.

BM.

Eleveuse de Marguerites.

 

Dans le tram.

Edmond :

— Où on se met ? De quoi vous avez envie ?

Mais Mila ne dit rien.

— Allez-y, lâchez-le ! Si je vous demande, c’est que je suis d’accord avec ce que vous direz !

— Ben, j’aimerais bien être dans l’angle du parc, près de votre club. Le mieux c’est qu’on sorte à Giono, ce sera plus rapide que d’y aller à pied.

 

Ils ne sont pas les seuls à avoir eu la même idée, le tram est plein. À la station Giono, ils sortent et passent la porte. Ils doivent jouer des coudes avec ceux qui ont trouvé leur place et ne veulent en aucun cas en être délogés et ceux qui cherchent, hésitent.

Edmond est devant, mais ne sait pas où aller, en fait. La pression monte. Il arrive encore à se maîtriser, mais c’est délicat. Les gens sont nombreux mais ne bougent pas. Alors Mila passe devant, elle bouscule les gens, opportuniste, et elle leur fraie un chemin dans la foule.

Puis constatant qu’en face, le long de l’enceinte, il n’y a en fait pas grand monde, elle se tourne vers Edmond et lui indique qu’elle veut traverser la route et se mettre de l’autre côté. Mais il y a trop de bruit, le speaker, la musique alternative étouffent sa voix. Elle s’approche du visage d’Edmond et dans son oreille crie : « En face. On traverse ! » Des yeux, il lui dit « OK » et ils passent entre les grilles de sécurité.

Postés le long de la clôture en fer forgé du parc, ils sont effectivement bien moins nombreux. Edmond commence à se détendre. Appuyés sur la grille de sécurité, ils attendent le départ.

Mila s’approche d’Edmond.

— Est-ce que ça va ? demande-t-elle.

— Oui !

Il sourit, d’un sourire forcé, ne comprenant pas ce qu’elle sous-entend mais Mila ne précise pas.

Puis la ronde commence. Les sportifs, les danseurs, les couples, les groupes, tout un tas de gens différents, roulettes aux pieds, bougent leurs corps en rythme et dans le même sens, quoique certains soient en marche arrière.

C’est très festif. Il y a beaucoup de bruit, de musiques, de lumière aussi. Certains sont littéralement enguirlandés d’éclairages de Noël, d’autres ont collé des pastilles fluorescentes sur leurs rollers.

Ils regardent ce show tous les deux tranquilles, l’un à côté de l’autre, se montrant mutuellement des choses intéressantes, drôles ou simplement belles.

Puis c’est le dernier passage.

Les badauds s’éparpillent et les barrières sont enlevées. Ils marchent tranquillement, rejoignant le portail nord vers le club de sport. Mila est enthousiaste, elle dit :

— C’était chouette, j’ai beaucoup aimé. Comment vous avez trouvé ?

— Très sympa ! Faudra qu’on s’y mette.

— Ah, ben, ça va être beau ! Je ne suis pas très douée pour les sports de glisse.

— En sport de glisse, moi, j’ai fait beaucoup de kayak, mais je ne sais pas si ça pourra m’aider !

Edmond fait une moue sceptique.

— Ah oui, du kayak ?

— Oui, canoë-kayak slalom, j’avais même un bon niveau. J’ai fait du billard aussi. Mais même si ça roule, ça ne va quand même pas m’aider à faire du roller.

Mila rit. Comme elle est joyeuse et prête à discuter, Edmond continue, il aime cet échange léger où elle se dévoile un peu.

Le portail est déjà juste là. Ils passent devant un banc, Edmond s’assoit.

Edmond :

— J’ai fait aussi de la plongée. Vous avez essayé la plongée ?

— Oui, un baptême. Mila fait une moue. Je flotte très bien !

Soudain, il se dit qu’il aimerait bien se faire un week-end plongée avec elle. Ouais. Le matériel, le bateau, le sel, les vagues, les poissons du fond, les bonnes bouffes entre copains après, son visage dans le masque, ses cheveux dans l’eau, ne se parler qu’avec les yeux et les mains. Oui, c’est sûr, il aimerait bien.

— Je vous emmènerai. Je m’accrocherai à vous et vous coulerez, je le jure !

Un temps. Il dit :

— Et vous, je suis sûr que vous faites du sport. Qu’est-ce que vous faites comme sport ?

— Depuis quelque temps, je cours à nouveau. Je courais beaucoup avant et je m’y suis remise. Et par le passé, j’ai fait pas mal de golf.

Edmond est très surpris mais ravi.

— Sans blague ? Moi aussi, et j’en fais toujours d’ailleurs. Combien vous êtes ?

— Non, non. C’était il y a longtemps, je ne dois plus avoir d’index officiel maintenant. Mais j’aimais bien. Et vous, combien êtes-vous ?

— Moi je suis 15, dit-il fièrement.

— Vous n’avez aucun mérite, vu les bras de levier que vous avez !

Il écarte les bras, comme s’il était vexé, et il dit :

— Qu’est-ce que vous leur reprochez à mes bras de levier.

Il lui jette un regard intense et Mila devant ses bras immenses déployés comme un albatros, bafouille :

— Rien, rien du tout… ! Et à la salle, qu’est-ce que vous faites ?

— Du CrossFit !

— Du CrossFit ? Qu’est-ce que c’est ?

— Vous avez vu le film 300 ?

— Euh… non.

— C’est une méthode américaine de préparation physique. Les militaires s’en servent pour s’entraîner. Ce sont des exercices qu’on enchaîne, à fond la caisse et sans s’arrêter !

— C’est quoi ? Du fitness, de la musculation ?

— Oui, un mélange de tout cela. C’est de la muscu’ avec le poids du corps ou avec des poids ajoutés et du cardio : footing, rameur, corde à sauter.

Il se caresse le torse et lève le menton.

— Vu comment sont les mecs du club, il y a peu de chances que je reste mince ! Je vais devenir une bête ! La vieille dame de la pâtisserie va en tomber raide !

Mila éclate de rire, elle dit :

— Vous n’avez pas fait du rugby ?

— Non. Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?

— Rien.

Edmond attend une réponse. La voir engluée est un délice. Il en raffole.

— Vous ne m’aiderez pas ? Hein ! demande-t-elle.

— Non ! En effet.

Elle lève les paupières, rassemblant son courage.

— Vous êtes très tactile, vous n’avez pas peur de toucher. Et vous avez le nez de travers et les oreilles esquintées !

Mila éclate de rire. Edmond grimace, il dit :

— Et vous, vous avez fait de la danse classique !

Elle est très surprise.

— Oui. Comment le savez-vous ?

— Vos chevilles font un angle…

 Il lève un genou et fait bouger son pied.

— Et puis de temps en temps, quand vous êtes debout et que vous attendez quelque chose, vos pieds se mettent…

Il se lève et la refait, un pied derrière l’autre, très ouverts vers l’extérieur.

— Quand une nana en pantalon de charpentier tout dégueulasse fait ça sur un chantier, ça jure un peu !

Mila le regarde gênée et flattée, un peu aussi. Edmond se rassoit. Avec des yeux brillants et la regardant très fort, il dit :

— Vous aviez les cheveux longs ?

— Oui. En classique les cheveux sont longs. Pas de frange. Pas de dégradé. Pas de coupe quoi. On est toutes pareilles.

— Vous deviez être magnifique en cheveux longs. Le court vous va bien aussi ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire ! Et puis il y a votre port de tête…

Il se lève à nouveau et la mime.

— Vous avez un port de tête très hautain, fier. C’est très élégant, mystérieux. Moi j’aime bien, je trouve que ça vous va bien, ça fait très class’.

Mila est un peu chamboulée par leur discussion. Edmond n’a pas de pudeur à parler de son corps. Il est bien dedans, il s’assume. Il est fier, orgueilleux. C’est une force que d’être en aussi bonne compagnie avec soi-même. Elle l’envie.

Mais ses sautes d’humeur - quoi ? équivoques ? - la mettent mal à l’aise.

— Vous avez entendu ce que je viens de dire ? demande-t-il.

— Euh… oui. Je vous ai entendu !

— Est-ce que vous me croyez ?

— Oui, oui !

— Non. Vous ne me croyez pas. Un seul suffirait !

— De quoi ?

— De « oui ».