37 Parc Maillol - Gérôme
Lundi 23 Octobre.
Edmond et Mila marchent sur le trottoir.
— Un bout de baguette ?
Edmond détache le quignon, Mila prend un bout aussi et tous les deux croquant leur pain, dépassent la fausse adresse de Mila, la vraie, et arrivent dans l’angle nord-est du parc. Mila s’arrête alors brutalement.
— Ça va ? demande-t-il.
— … Edmond ! Regardez !
Edmond s’approche à un mètre et regarde dans la direction qu’elle indique.
— Euh… ? Quoi donc ?
Mila tend le bras, elle dit :
— Il y a une très belle image, là. Ici. Dans cette direction !
Edmond ne voit pas grand-chose. Le parc, les arbres, l’enceinte du parc ? Il pince les lèvres et ouvre grand les yeux. Mila attrape son poignet et derrière lui, lui indique la direction en guidant son bras.
Mais il est trop grand et derrière lui, elle ne voit plus rien. Alors Edmond se tourne et se met dans son dos. Elle lève le bras et désigne les éléments qu’elle raconte. Il baisse sa tête près de son visage à elle, encore un peu et il pourrait respirer dans ses cheveux. Ses bras ballants hésitent à trouver son manteau et à se poser sur ses hanches. Il sent sa chaleur ; elle a une odeur de bébé. C’est quoi cette odeur ? Il connaît cette odeur.
Mila :
— Au premier plan on voit cet arbre rouge aux feuilles grosses, très découpées. C'est un chêne d’Amérique.
Edmond voit alors le parc comme une scène de cinéma, l’image se dessine, le flou se dissipe à mesure que Mila la raconte.
— Derrière lui, on a des verts sombres aux contours un peu flous. Et regardez, là, derrière encore, on voit les cyprès de l’Arizona. Ils sont bleu assez clair. Il y a d’autres arbres aux feuillages foncés, pourpre violacé, vous voyez ?
Mila est nourrie.
Elle sait Edmond avec elle. Elle sent qu’il voit lui aussi ce qu’elle explique. Elle arrive à lui faire partager cet éclat de bonheur, comme on découvre un Gérôme [1] pour la première fois. Elle sent sa chaleur dans son cou. Le froid ne s’y glisse plus, au contraire c’est le souffle d’Edmond qui la caresse.
Mila :
— Au milieu, serpentant en lignes courbes et étroites, on a un chemin. Il fait petit vu d’ici.
Mila se tourne vers Edmond, ses cheveux effleurent sa joue, son menton. Il la regarde, le visage impassible. Ses yeux, ses lèvres.
Mila :
— En fait c’est une illusion d’optique, le chemin est assez large dans la réalité. Vous ne trouvez pas comment ça donne une très grande profondeur au parc ? C’est beau, hein ? Et dire que c’est l’homme qui a construit tout cela !
Edmond, tout en sensation bizarre et contenue pour cette fille, qui pourtant n’est pas son style du tout, dit à voix basse :
— C’est beau, en effet.
Ils pourraient rester comme cela, longtemps. Elle, comblée ; lui, surpris.
Mais Mila veut être vraiment sûre qu’Edmond a vu aussi. Lui pourrait peut-être, c’est la personne qui pourrait le plus. Alors elle s’écarte de lui, et à voix basse, elle lui demande :
— Edmond, est-ce que vous avez vu ?
Edmond sourit, opine du chef.
— Oui, j’ai vu, Blanche. J’ai vu ce que vous voyez.
Mila détourne la tête, ses yeux se remplissent. Elle est heureuse.
Non, elle n’est pas que tarée. Ou alors ils sont deux. Mais Edmond est quelqu’un de bien.
Pendant qu’ils marchent, Edmond dit :
— Blanche, vous avez reçu mon mail au sujet de monsieur Niel ?
— Oui.
— Alors, qu’est-ce que vous en dites ?
— C’est d’accord.
[1] Jean-Léon Gérôme (1824 -1904), est un peintre et sculpteur français qui fait figure de peintre officiel à la fin du XIXe siècle. Professeur à l’École des beaux-arts durant près de quarante années, sa violente hostilité envers les impressionnistes est légendaire. https://ninerouve.wordpress.com/la-maison/le-monde/peintures-et-sculptures/#gerome
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