De : Edmond VALLONE

Objet : Re : paysagiste

Date : 24 Octobre 06 :58

À : Henri NIEL

 

Bonjour M. Niel,

Je peux vous conseiller Mlle Blanche Magnan, elle fait la conception chez les pépinières Dubois. Elle a conçu et réalisé tous les extérieurs du Palais des Congrès.

Elle a une approche particulière qui, peut-être, pourra vous intéresser.

 

Cordialement,

 

Edmond VALLONE.

Conducteur de travaux

Ent. Générale ROBERT

 

Edmond est dans le tram. Mila n’est pas là.

Les portes se ferment. Elle arrive en courant. Le chauffeur lui ouvre et elle le remercie d’un signe de tête. Et tout sourire, elle s’assoit à côté d’Edmond, calme, le coude posé sur le bord de la vitre.

Il fait chaud à l’intérieur, elle défait l’écharpe qu’elle a autour du cou et, empêchée par ses gants, en met un dans la bouche pour défaire les boutons du haut de son manteau.

— Blanche !

— Bonsoir Edmond !

— Vous êtes à la bourre ! Même avec une heure de rab !

— Ah, vous savez, des petits changements dans mes petites habitudes et je suis perdue !

Edmond regarde dehors.

Le tram démarre, il n’a pas bronché.

— Blanche, je n’ai pas encore répondu à monsieur Niel au sujet de son projet. Avez-vous l’intention de vous présenter en tant que Blanche Magnan ou en tant que salariée de l’entreprise Dubois ?

Mila ne comprend pas trop la question.

— Je ne sais pas ce que les clients vont vouloir, mais ce chantier va nécessiter des moyens matériels certainement importants. Seule l’entreprise Dubois pourra y pourvoir.

— Pour la réalisation du chantier d’accord, mais pour sa conception, face à monsieur Niel, serez-vous Blanche, celle qui signe les idées et les plans, ou le salarié qui fait avaliser son travail par son patron ?

Mila voit désormais assez bien où Edmond veut en venir.

— Sans monsieur Dubois, je ne suis rien. Je n’ai aucun diplôme, aucune référence. Je suis incapable de faire établir un contrat à mon nom.

Dans un souffle :

— Je crois que je n’en ai pas envie.

— Vous faites donc le choix de rester assujettie à cet homme.

Et comme elle ne réagit pas, il reformule :

— Vous choisissez donc de dépendre de Dubois !

Cinglante, elle fait :

— Je sais ce qu’assujettir signifie !

Elle baisse la tête, croise ses bras.

Un moment s’écoule. Edmond ne dit rien, il regarde dehors par la vitre.

Mila soupire, elle dit :

— Il veut que je fasse une formation, la formation à l'École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles !

Elle ajoute à voix basse :

— Rien que ça !

Elle souffle fort, et après un moment, elle dit :

— Certainement qu’il faut que je fasse cette formation, si je veux continuer à travailler dans ce que j’aime et de la façon que j’aime. Mais ne prenez pas cela à votre charge, je contacterai monsieur Niel et je me présenterai moi-même.

— Je n’ai pas l’intention de le faire. C’était juste par curiosité, je voulais savoir comment vous vous voyiez.

Et il regarde à nouveau à l’extérieur.

Mila :

— La vitre, elle doit en avoir marre de s’taper votre gueule !

Edmond ricane.

— Ouais ! Ma partenaire de causerie est un peu chagrine ce soir et elle a l’art de détourner les conversations.

— C’est moi qui suis chagrine ?

— Oui ! Vous êtes chagrine !

— Vous êtes gonflé !

Un temps.

Mila :

— Vos chantiers, vos affaires se passent bien ?

Edmond se tourne vers elle, il fait un effort pour sourire.

— Oui. Mes chantiers ne sont que des chantiers faciles, même si, même si... Mes affaires, celle de monsieur Niel en particulier est intéressante et le client est correct. C’est cool de travailler pour lui.

Il respire et dit :

— En fait, c’est… ce sont les projets, ceux pour après, qui me prennent un peu, ces temps-ci.

Les sourcils froncés, les mâchoires serrées, il est soucieux. Sa voix est douce, envoûtante, l’attitude tout en retenue qu’il adopte ce soir amplifie encore la sensualité que le corps de cet homme dégage.

— C’est plus délicat que lorsque je suis parti pour Amsterdam !

Il se tait, et regarde à nouveau dehors. Mila essaie d’être, euh… douce. Elle ne sait pas si le mot convient.

Mila :

— Peut-être, est-ce un peu comme quand on va dans un bon restaurant pour la première fois. On est comme un enfant. On ne connaît pas. On ne demande qu’à être émerveillé. Et on l’est effectivement ! Alors que pour la seconde, on a tellement la première fois en référence que, peut-être, on a peur d’être déçu. Peur d’avoir mal préparé les choses. Peut-être même, d’avoir fait un mauvais choix.

Mila hausse les épaules, proposant cette vision des choses sans ambition.

Edmond se tourne vers elle, la regarde un peu, et retourne contre la vitre.

— Humm.

Mila se détend, essaie de se faire oublier.

Edmond :

— Je ne peux pas tout vérifier, contrôler que tout est comme on me le vend sur la brochure. En plus, cette fois, je sais ce que je perds. Lorsque je suis parti à Amsterdam, je n’avais pas l’impression de laisser des choses derrière moi. J’étais même convaincu que je mènerais ma vie d’ici plus une là-bas. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Ce n’a pas été un problème parce que je m’attendais à un truc génial et que c’est ce que j’ai eu. Sauf que maintenant, je sais tout ça. Le projet aussi était très opérationnel. J’ai eu un bol monstre. Et là, dans les deux cas, cela ne se passe pas pareil. Les choses sont beaucoup plus formelles, contractuelles. Les dates aussi. L’un est plus lointain, sur le milieu d’année prochaine et l’autre est pressant, sur cette fin d’année. Je ne pensais pas que cela se passerait comme ça.

— Vous allez trouver une solution. Vous trouvez toujours une solution !

— Vous me voyez comme ça ?

— Mmh !

— Ouais, il vaut mieux que je m’excite un peu. Il est hors de question que les copains me mettent la pâtée ce soir !

— Ce soir, vous êtes avec vos amis ? demande-t-elle.

— Oui, ce soir, j’ai appelé les copains.

— Vous voulez qu’on tire en tram jusqu’au club ?

— Ça ne vous dérange pas ? Pas de pain ? Pas de gâteaux ce soir ?

— Oui. Pas de pain, pas de goûter.

— Ma mère fait des macarons délicieux. Remarquez, je ne sais pas s’ils sont délicieux, vu que j’ai interdiction d’en manger ailleurs ! La prochaine fois qu’elle m’en donne, je vous en file la moitié. Soit une brouette !

Il se tourne vers elle, plantant son regard dans le sien.

— Vous me direz s’ils sont bons. Je suis sûr que vous serez sincère.