48 Parc Maillol - Deux Bières
Il fait froid.
Mila sort, passe la porte Giono du parc.
Le vent, le froid.
Ce soir, veille de week-end, peu de joggers. Un bandeau en polaire noire dans les cheveux, elle sait où elle va : vers la grande pelouse et la porte Saint-Gatien.
Il bruine, elle aime bien. Là-bas, de toute façon, elle ne sait pas où Edmond habite. Cela fait vingt minutes qu’elle court, inutile de rester. Elle rentre par le nord du parc, s’arrête devant la porte Gambetta près du club.
Edmond est là quelque part.
Elle voudrait le voir, lui parler, qu’il se moque d’elle à nouveau. Qu’il rit. Sa bouche, son sourire merveilleux. Elle voudrait voir ses yeux, les voir quand ils s’assombrissent soudain, entendre sa voix, chaude, posée, celle de quand il lui dit qu’elle est belle. Elle voudrait le revoir marcher. Revoir ce pantalon se tendre au niveau de ses cuisses quand son corps prend appui au sol, quant à ses bras, ses mains, elle les imagine insolentes, arrogantes, grossières...
Elle s’arrête au bord du lac pour respirer. Un bon coup. Et faire des étirements.
Elle ferme les yeux. Essaie de calmer ce muscle de l’esprit si prompt à s’emballer sur des images à la con. Les intercostaux, les quadriceps, les ischio-jambiers, les adducteurs. Penchée en avant, les jambes tendues et écartées, elle tire, souffre un peu, souffle fort.
— J’ai déjà vu ce petit cul quelque part… ! Mila Magnan !
Mila bascule, les mains en avant dans l’herbe.
Elle se retourne, se nettoie sommairement sur les cuisses et saisit la main tendue d’Edmond. Un Edmond hilare, en tenue de jogger également, les cheveux trempés de sueur, une barbe de plusieurs jours sur le visage.
La voix de Mila est fébrile, mal assurée :
— Bonsoir Bert !
— Vous connaissez donc Mary Poppins… !
Le regard de Mila, chancelant, brillant, s’attarde sur ses prunelles claires, sur sa bouche. Edmond est surpris.
Mila :
— Oui. Sauf que dans la version originale, je ne suis pas sûre qu’il soit mention de « petit cul ». Je crois même me rappeler qu’il s’agit de plutôt de « silhouette » !
— C’est vrai, mais c’est quand même grâce à lui, et à cette position typique chez vous, que je vous ai reconnue !
La voix de Edmond est calme, ses yeux sincères et curieux.
Mila le toise, poussée par une audace inattendue. Elle dit :
— Eh bien il est possible que, bien que j’y fasse attention, de temps en temps, j’ai les fesses en l’air.
Edmond croise ses bras sur sa poitrine et la regarde, moqueur.
— Ah, vous y faites attention ? Ah ! Ben, c’est déjà ça !
— D’un autre côté, quand je suis sur un chantier, les maçons et les autres ne sont plus censés être là.
Edmond fronce les sourcils.
— Sur le chantier des Niel, les jardiniers seront là en même temps que les autres corps de métier. J’espère que vous aurez l’affaire mais que ce ne sera pas vous qui travaillerez là-bas.
— Et pourquoi ?
Edmond de plus en plus surpris par son attitude frondeuse, soupire.
— Comme Pepito, je pense que ce n’est pas votre place.
— Vous êtes tous bien sûrs de savoir ce que doit être ma place ! J’aime être dehors, j’en ai besoin !
— Vous portez très mal les pantalons de charpentier et les sweats pour homme !
Il regarde chaque partie de son corps de femme comme si elle portait à nouveau cette tenue de chantier.
— Vos sweats sont trop grands. Ils vous font des plis au-dessus de la poitrine pas spécialement élégants...
Il indique du menton la position du pli au-dessus du sein de Mila.
— Votre pantalon est trop bas, il vous serre les cuisses et vous laisse le bas du dos tout nu. Quand il ne s’agit que du dos et pas du haut de votre culotte ! Heureusement que vous ne portez jamais de strings ! Et à chaque fois que vous vous penchez, tous les gars ont les yeux et la langue rivés sur votre entrejambe...
Il hausse une épaule et la regarde méchamment.
Mila ne s’est jamais posée toutes ces questions. Elle n’a jamais pensé à quoi elle ressemblait sur un chantier.
Et le coup des culottes et des strings. Putain mais qu’est-ce qu’il en sait qu’elle ne met jamais de string ? Et il y avait qui, sur ce putain de chantier ?
En même temps elle n’en a rien à cirer de ce que pensent les autres.
Ni maintenant, ni jamais.
Edmond :
— Je trouve que vous valez mieux que ce genre de regards sur vous.
— Mais ça ne vous regarde en rien ! Et peu importe ce que pensent les autres, j’en ai rien à foutre !
Les prunelles d’Edmond crépitent.
— Eh bien ce n’est pas mon cas ! C’est pour cela que, comme Pepito,… ça m’arrangerait si vous ne faisiez plus de chantiers… !
Mila le défie.
— Mais putain, je ne comprends pas en quoi ça vous regarde… !
— Ça me regarde que j’aimerais bien être le seul à détailler votre beau p’tit cul !
Il porte une main à son front.
— Merde, Magnan mais vous sortez d’où ? Il vous faut quoi ? Un panneau de quatre mètres sur trois !
Il est furieux.
— Faut vous l’dire comment ! J’adore votre cul ! Je fantasme sur vos seins, sur votre peau…! Voilà… ! Vous êtes contente ! Ça y est, vous avez du réseau ?
La machinerie de Mila se déphase. Le froid se disperse dans son corps, en étoile, l’adrénaline passe à l’action. Se recentrer. Ne rien laisser paraître, enfermer tout cela.
Edmond :
— Ça fait combien de fois que je vous le dis ! Mais vous avez dix ans d’âge mental ! Même pas dix ans… ! Et moi, je sais me tenir ! Mais quand vous vous pointez avec les fesses en l’air et les jambes écartées au milieu du sentier où y’a que des hommes qui courent, c’est quand même pas ce qu’il y a de plus facile… !
Mila entend le bruit des jacassements d’Edmond, elle est debout face à la falaise, étendue contre l’air puissant qui la repousse vers l’intérieur des terres.
Edmond :
— Vous êtes insupportable et vous avez vraiment le chic pour me faire péter les plombs !
Les yeux de Mila s’éparpillent.
— Et maintenant vous allez rester là, sans rien me dire, et me laisser baigner dans ma soupe !
Elle pose les deux mains sur sa bouche, puis sur ses yeux.
Elle entend alors les mots d’Edmond.
Et ces mots explosent en elle si profondément qu’à nouveau elle le voit nu, ce corps extraordinaire, chaud, sa peau épaisse, ces odeurs de cuir, de musc, sa bouche aventureuse, ses mains barbares.
Edmond :
— Au moins j’imagine que je dois m’estimer heureux si vous restez !
Edmond observe Mila face à lui. Son visage n’est pas souriant, il est tout exposé, troublé. Ses lèvres s’entrouvrent laissant percevoir sa langue sur leur commissure, puis se mordent. Ses yeux se sont considérablement obscurcis. Sa poitrine et ses épaules se soulèvent sous sa respiration chaotique. Elle le regarde avec insolence, avec désir.
Edmond la regarde subir les assauts de son corps mutin, désarçonné par son impudeur.
Edmond :
— Et ce soir, vous n’êtes pas chez vous, à la maison ?
— Non… enfin je n’y suis pas restée.
Leurs corps fumants, leurs bras ballants et leurs souffles créent un halo brumeux autour d’eux. Edmond essaie de se détendre face à une Mila flamboyante au regard droit, il la voit totalement désorientée, mais elle est là et elle parle.
Edmond :
— J’ai été retenu tard sur les chantiers cette semaine.
Sa voix se fait plus grave, plus basse.
— Vous m’avez manqué.
Mila détaille son visage, perpétuellement surprise, encore. Elle articule :
— Vous m’avez manqué aussi.
Il pleut fort maintenant.
Edmond :
— Et je n’aime toujours pas la pluie… !
Mila rit et relâche sa tête.
Edmond :
— Acceptez-vous de venir boire un verre avec moi ?
Mila peine à respirer.
Edmond :
— On peut aller au club, il y aura du monde dans le même état que nous, c’est-à-dire trempé. Et vous avez raison de vous méfier, je suis effectivement un homme !
— … d’accord…
Ils avancent rapidement sous la pluie. Passent le portail nord du parc, traversent les voies et Edmond ouvre la porte vitrée sur Mila. Il appelle l’ascenseur, elle esquive son regard. Il appuie sur le dernier numéro, les portes se ferment et il tourne son visage vers elle. Sa main trouve la sienne, du bout des doigts, les paupières de Mila papillonnent, hésitent à se fermer complètement, et elle se laisse emmener.
Les portes s’ouvrent sur un palier tout éteint. Les larges baies vitrées laissent entrer les lumières de la rue et permettent de distinguer à droite la salle du bar avec les tables hautes contre les baies vitrées, à gauche, la salle de sport.
Un homme surgit de nulle part.
— Edmond ? Je suis désolé, je ferme.
— Bonsoir Lucio. Qu’est-ce qui se passe ?
— Je ne t’ai pas vu cette semaine. Demain j’ai mariage. Lisa se marie, ma fille.
Lucio regarde Edmond de la tête au pied, les cheveux plaqués par la pluie et la transpiration.
— OK… tiens ! Les clés des douches et du bar.
Il lui lance un jeu de clés avec un gros nounours.
— Tu les remettras dans la boîte aux lettres. Ne faites pas de cochonneries sous mon toit, les enfants ! À plus tard Edmond…
Et les portes de l’ascenseur se referment sur lui.
Edmond, un peu étourdi, regarde Mila en haussant les sourcils.
— Je suis désolé. Je ne m’attendais pas à ça…
Mila s’est approchée de la grande baie vitrée. Elle est sonnée.
Il n’y a aucun autre endroit où elle voudrait être. Ici, et seulement ici. Et avec lui. Tout le reste n’existe pas. D’ailleurs ce reste est flou, comme ce qu’elle voit à travers la vitre. La pluie brouille les contours, les formes, les arbres. Le lac n’est qu’une boule à facettes toute piquée des ombres et lumières autour de lui.
— C’est beau ! chuchote-t-elle.
Edmond la regarde faire. Il disparaît une minute puis monte sur l’estrade derrière le comptoir.
— Qu’est-ce que je vous propose ? Coca, bière... ?
— Bière. S’il vous plaît.
Il sort deux bouteilles, les décapsule.
— Sans verre, ça vous va ?
— Oui.
Il rejoint Mila, lui tend une bouteille et approche la sienne pour la cogner.
Ping.
Edmond pose sa bière sur une table haute contre la vitre et rapproche deux chaises de comptoir. Ils s’assoient.
Edmond :
— Donc vous courrez dans le parc.
— Oui.
Il glousse.
— Vous me l’aviez déjà dit.
— Oui.
Mila :
— Vous courrez donc aussi.
— Je ne cours jamais, mais ce soir j’avais envie de ça.
Il avale une gorgée. Mila lève les sourcils, elle soupire.
Ben oui, parfois des étoiles et des lignes…
Edmond fait tourner la bouteille entre ses doigts. Il regarde Mila et sourit, elle frissonne.
Un silence de plomb monte autour d’eux, épais comme le désir.
Edmond :
— Je ne voulais pas vous blesser.
— Je ne suis pas blessée. Je… je ne comprends pas.
Edmond pouffe et spontané, il lui dit :
— Vous cherchez toujours à tout comprendre ?
— Ben… oui… ! dit-elle avec évidence.
Le visage d’Edmond se crispe, il baisse les yeux et porte à nouveau la bouteille à sa bouche.
Mila le sent, elle sent son agacement monter, son corps se fermer. Sa voix est un aveu.
— Je suis désolée, je ne pense pas être quelqu’un pour vous.
— Ça c’est sûr !! Ni pour moi, ni pour aucun autre mec… !!
Mila a froncé ses sourcils. Elle ouvre la bouche, mais Edmond, exaspéré, la devance.
— Vous avez vu comment vous vous comportez, Magnan ? Vous avez le cerveau d’Ariane 5 et le corps d’une Bugatti Atlantic [1]!
Et Mila comprend encore moins.
— Vous savez à quoi ressemble cette Bugatti ?
— … oui.
— Alors débranchez les calculateurs d’Ariane et écoutez ronronner la Bugatti ! Juste une fois… !
Il souffle, furieux. Il reprend une gorgée de bière et essaie de se calmer.
Cette bouteille à sa bouche. Sa colère, sa brutalité. Cette énergie dissipée à lui parler. Le pouls de Mila s’accélère, ses mamelons se fripent, son corps prend le pouvoir, il s’embrase et elle est d’accord.
Edmond pose sa bière et approche une troisième chaise entre eux, en retrait.
Il défait la fermeture éclair de son imper, bombe le torse et le retire avec colère. Il le jette sur la chaise à côté de lui, se rassoit, porte la bouteille à ses lèvres, et à nouveau le liquide froid coule dans le conduit de sa gorge cambrée. Il souffle.
Les yeux de Mila vagabondent sur ses cheveux luisant de pluie, de sueur. Elle perçoit ses bras immenses, sa puissance quand il déplace les chaises. Le voir bouger, comme ça, est un supplice.
Elle retire le bandeau noir de ses cheveux, se lève, debout face au parc et le met dans la poche de son vêtement de pluie. Elle descend lentement la fermeture éclair, ouvre ses épaules et tire sur les poignets.
L’un.
L’autre.
Elle retire la veste, la plie, s’approche d’Edmond, tout près, et la pose lentement sur la sienne.
Son cœur bat la chamade. Edmond, lui, ne la regarde pas, mine de rien, il boit.
Mila se rassoit, reprend sa bouteille, la porte à ses lèvres, et la bière froide se vaporise dans sa gorge.
Edmond baisse alors ses paupières, baisse sa tête et sa main quitte le verre. Il se déplie, se déploie, se dresse à nouveau et se tourne complètement face à Mila. Il lève ses grands bras, saisit son sweat par l’arrière du col et le retire en le passant par-dessus sa tête. Son t-shirt se relève, découvrant une bande de peau nue et une section de la rivière de poils ras qui descend de son nombril vers l’intérieur de son pantalon de survêtement.
Il plie le vêtement en deux, s’approche, arrogant, et le pose lentement sur la chaise.
Puis il se rassoit.
Le bas du corps presque face à elle. Les cuisses écartées. Un pied sur un barreau de sa chaise et l’autre glissé sous celle de Mila. Comme ça, tranquille. Il pose une main sur sa cuisse, se frotte un peu, le coude écarté, les doigts tout ouverts, et de l’autre, il saisit la bouteille et la porte à ses lèvres. À nouveau.
Mila le hume, le lèche des yeux. Le déploiement de son corps, le galbe de son cou lorsqu’il penche la tête en arrière pour mouiller le goulot de sa langue, la bosse de sa pomme d’Adam qui remonte quand il déglutit. Elle imagine la pulpe de ses doigts au contact de la bouteille glacée et celle de ceux au contact de sa cuisse chaude, sur l’intérieur. Sa bouche s’entrouvre, une chaleur humide s’immisce entre ses jambes, une tension dure aussi.
Le temps se resserre, chacun de leurs gestes est lourd, investi. Il fait sombre. Les contours de leurs corps ne se détachent plus tout à fait, les lumières de la rue balayent la salle avec violence.
Mila pose la petite bouteille sur la table. Ses pulsations se sont égarées de nouveau, le vertige et la nausée sont tout près.
Elle se lève face à la vitre, attrape le bas de son sweat et entame une danse des hanches pour le passer par les épaules.
Respirer, souffler, ventiler.
Pffffff.
Respirer.
Son t-shirt est remonté jusque sous sa poitrine. Son ventre, sa peau duvetée toute piquée de grains de beauté se devinent sous les lueurs qui coulent sur son corps.
Edmond, la bière dans la main, regarde devant lui, dans le miroir. Les vortex qui ont enlacé la transe de Mila ne lui ont pas échappé, sa peau dénudée, souple et claire non plus.
Mila retire le sweat de ses bras, secoue ses cheveux, et s’approche d’Edmond.
Un pas.
Deux pas.
Elle pose lentement le vêtement sur la chaise, elle se redresse, et reste là, debout, fixant le parc au dehors, dans les lueurs pâles qui glissent, entre les jambes d’Edmond qu’elle ne regarde pas.
Il perçoit le frémissement de sa peau, les mouvements de sa poitrine sous sa respiration chaotique, la pointe dure de ses seins sous les plis de son t-shirt mouillé. Il porte la bouteille à ses lèvres une dernière fois, avale une dernière gorgée. Il baisse les paupières, baisse la tête, pose la bouteille sur la table, et du bout des doigts, il la repousse. Loin.
Ses épaules se relâchent dans une expiration profonde, ses pieds se posent au sol, il frotte ses mains sur ses cuisses et se tourne complètement vers Mila.
Debout, elle est plus haute que lui, assis, sur le bord de la chaise, ses jambes et le haut de son corps l’entourent comme une impasse, un berceau.
Il cherche à lire l’expression de son visage mais l’obscurité les drape tous les deux. Il devine ses paupières fermées, ses mâchoires crispées, elle tremble, sa poitrine se soulève par à-coups, sa tête dodeline de panique, sa lèvre est mordue.
Lentement alors, il saisit sa main et amène son corps contre le sien. Il glisse ses doigts dans son autre main et la fait tourner face à lui.
Leurs nez se touchent, leurs lèvres se frôlent.
Il sent son souffle chaud, son haleine de bière.
Il ne l’a pas forcée, elle est venue toute seule et elle est restée.
Les lèvres de Mila s’allient et pudiques, se déposent sur celles d’Edmond. Des centaines de fourmis se débandent sur sa peau.
Il pose son front contre le sien, ses mains glissent sur sa taille nue et il l’enlace de ses bras fantastiques.
Mila se pulvérise alors tout à fait. Devient tambour, caisse de résonnance, immobile et vibrante, délestée d’espace et de temps. Transcendée.
Et la Bugatti se met à vrombir en silence.
Les lèvres de Mila s’ouvrent et Edmond prend son visage dans ses mains directives. Les épaules relevées, les pouces sur les bords de sa bouche, il l’embrasse, caresse ses lèvres d’une guirlande de baisers délicats. Ses mains dessinent sa peau, elles errent dans ses cheveux.
Alors Mila décroche.
Elle le bouscule, se cramponne à lui, sans retenue, les sourcils froncés, le visage totalement voué aux caresses d’Edmond et à ses baisers.
En chute libre, en piqué, besoin de le toucher. De le toucher.
Et tous deux se mettent à onduler.
Edmond l’attire contre le mur. Il cherche ses yeux un instant avant qu’elle ne les enferme à nouveau. Ses yeux châtaigne, deux éclipses noires de désir. Il trace sa joue, dessine le contour de sa bouche et ses cheveux doux cajolent l’entre de ses doigts. Il l’embrasse. Encore. Lentement. Le long de sa mâchoire.
Monumental, c’est ce qu’il est, face à elle, qui tremble, exposée toute à sa puissance.
Il explore sa peau. Son étoffe chaude. Fiévreuse et frissonnante. Et ses mains descendent. Nomades.
Elles sont partout, franchissent tous les obstacles. La brassière sur sa poitrine résistent alors elles se déploient sur la soie douce de ses fesses. Il insinue son visage dans son cou, frotte sa joue de ses cils, baise sa gorge de ses lèvres, de l’intérieur humide de ses lèvres. Et ses doigts glissent entre ses jambes.
Mila se dérobe. Mais Edmond veut voir son visage, sonder son excitation, s’électriser encore de sa fièvre. Il la regarde emmurer ses plaintes, le souffle bouleversé, résistante aux yeux fermés. Il la regarde, émerveillé, ses doigts ne faisant qu’effleurer ses muqueuses humides.
Elle est trempée.
Elle lutte. Sa tête lutte. Cherche une issue contre ce mur. Il l’écoute gémir, chercher sa bouche qu’il lui refuse. Le chercher encore, le pétrir encore, fouiller la peau qu’il a risqué à approcher.
Puis soudain, en une injonction fauve, Mila fond sur lui, l’empoigne, et le presse fort.
Edmond sourit et la repousse de nouveau. Et de nouveau il l’embrasse, et pose la main sur son ventre.
Doigts vers le sud.
Vers son pubis, dans la prairie de ses poils. Il l’embrasse, abuse de ses lèvres, hante sa bouche, et assiège sa bille de chair.
Mais il est pris par l’embrasement, celui de Mila, et le sien.
Et le cyclone l’arrache lui aussi.
Leurs expirations ne sont plus que plaintes et souffles de bêtes.
Mila attrape le pantalon d’Edmond, et défait hystérique la ganse de sa ceinture. Elle s’emploie à le déshabiller vite, de façon urgente et désordonnée, elle l’attrape à pleines mains.
Doucement, et patiemment, alors, à son tour, elle le caresse.
Comme un métronome.
Edmond prend tout et son corps se met à osciller.
— Attends !
Il sort un carré rigide de sa poche, le déchire avec les dents et pose le préservatif. Il embrasse Mila, la caresse, brusque et doux à la fois, elle qui chancelle, sa tête appuyée contre son torse, ses jambes ne la portant plus.
Ils déshabillent Mila, et Edmond la soulève et la pose sur la table devant la fenêtre.
Les bouteilles titubent.
Nez contre nez, leurs souffles tièdes et mêlés, leurs lèvres mordues et enflées, leurs poitrines lâchées comme des mustangs en plaine, leurs mains posées fébriles sur le corps de l’autre, le corps d’Edmond pénètre le sien.
Mais tous les deux savent que c’est déjà trop tard, que tout va aller très vite. Les spasmes sont déjà là en embuscade, à l’affût depuis des jours.
Mila serre Edmond entre ses jambes, et Edmond échappe un « Tonnerre de Dieu ». Comme dans ses rêves, Mila sent le corps d’Edmond glisser en elle, s’y installer, l’occuper toute entière.
Il avance, présent, imposant. Se retire doucement pour l’envahir de nouveau. Ils ondulent tous les deux dans un mélange de douceur et d’urgence, tandis que le plaisir fond sur eux.
Le corps de Mila se fait étau, son souffle n’est plus qu’un filet torturé.
Edmond chuchote :
— Viens, Mila, viens !
Ces mots, cet homme, cette sensation.
Mila offre son ventre aux assauts d’Edmond et ses hanches viennent à sa rencontre.
Ensuite elle se cache dans son cou, elle crie et ne respire plus.
Alors Edmond gémit à son tour. Et à son tour, ne respire plus.
Il s’enfonce encore, elle le serre encore. Des contractions puissantes et brûlantes encore.
Puis elle se fige, complètement crispée dans ses bras.
Des lumières courent plus bas dans la rue.
La respiration de Mila reprend.
Puis c’est le tour d’Edmond de respirer de nouveau et amplement.
Ils se tiennent encore l’un l’autre dans leurs bras.
Le corps d’Edmond s’avachit doucement, il desserre un peu ses bras, et Mila décroche ses jambes de ses hanches.
Elle est irradiée.
Il sait qu’ils vont se séparer. Qu’elle va partir.
Il sait qu’elle ne dira pas grand-chose.
Il sait qu’elle a vibré dans ses bras. Ça, il le sait !
Il ne sait pas s’il y aura une autre fois.
Parce que Mila ne le sait pas.
Alors avant que tout cela ne soit là, il l’enlace, embrasse ses lèvres d’un collier de baisers mouillés.
Il fait nuit noire.
Edmond repose Mila au sol.
Elle l’entend se rhabiller et ranger les chaises.
Elle récupère son pantalon supposant la culotte encore à l’intérieur, se rhabille.
Edmond l’attend devant la porte de l’ascenseur.
Mila s’avance, il lui tend son sweat, sa veste.
— Je te raccompagne ? demande-t-il doucement.
— Non… merci ! chuchote-t-elle.
Mila s’en va par l’escalier.
Elle court.
Cinq étages.
Le creux entre ses jambes palpite encore. Sa langue porte encore le goût de sa salive. Ses joues érodées par sa barbe la brûlent. Elle sait sa culotte trempée. Son cœur ne s’est pas encore calmé. Aucune chance qu’il le soit de sitôt.
[1] La Bugatti Type 57SC Atlantic commercialisée entre mars 1934 à mai 1940, est une automobile toute en rondeurs. https://ninerouve.wordpress.com/la-maison/le-monde/les-elements/#bugatti
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