50 Parc Maillol - Bing

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Mardi 7 Novembre. 

Abigaëlle ouvre sur Mila.

— Salut ! Entre ! Les petits pioncent, on va être pénard.

Mila entre dans le grand appartement tiré du catalogue Alinéa. Elles s’installent face à la télé qui diffuse le jeu télévisé du soir. Le son est coupé.

— Tu veux boire quelque chose ?

— Offou ! Non merci.

— Un thé, une verveine ?

— Allez oui, une verveine.

La pièce est chaleureuse. Parquet chêne, murs blancs, lumière d’une lampe sur pied orange avec un abat-jour jaune soleil.

Abigaëlle verse l’eau fumante, avec ce bruit si serein de l’eau chaude qui coule. Elle s’assoit sur le canapé à côté de Mila, saisit un mug et se love contre le dossier.

— Allez, raconte… !

Mila s’approche du bord du canapé. Les coudes sur les genoux, elle pose ses mains sur son visage, cachant ses yeux, sa bouche. Elle souffle, se redresse, et face à la télé, elle raconte :

— Vendredi soir je suis allée courir et je suis tombée sur Edmond…

— Ah !…

— On s’est retrouvés à son club de sport…

— Mmmh mmmh !

Mila, sur la pointe des pieds, a glissé ses mains entre ses cuisses.

— Quoi ? Raconte !

Mila se met à se basculer doucement d’avant en arrière, la tête basse, écarlate.

Abigaëlle glousse.

— Oh… !

Mila porte la main à son front sur ses sourcils et ses doigts descendent sur ses paupières closes.

— Putain… !

Abigaëlle rigole.

— Comment c’était ?

Mila se cache derrière ses doigts.

— Non !

Abigaëlle :

— C’est quoi le problème ?

— Putain, Abi ! Le problème c’est que ça va trop vite. Les choses m’échappent. Je n’arrive plus à garder la main sur ce que je fais.

— Je ne trouve pas que ça aille trop vite, moi. Ça fait deux mois que tu l’as rencontré, un mois que vous vous voyez régulièrement.

— Je ne sais plus ce que je fais. J’ai paumé des chaussettes dans l’appart’. J’ai mis trois jours à les retrouver dans le frigo. Trois jours ! Trois jours que j’ouvrais ce putain de frigo et que je ne voyais pas ces putains de chaussettes. En plus, je t’écoute et je fais tout ce que tu me dis.

Elle se tourne face à Abigaëlle.

— C’est du délire !

Mila se redresse, ouvre sa poitrine, respire.

— Vendredi je t’appelle, tu me dis d’aller le chercher et ni une ni deux, hop, qu’est-ce-que je fais ? Le tour du parc. Au club. Et bing, je tombe sur lui…

Abigaëlle ricane :

— Eh ! Je ne t’ai pas dit de le violer ! Je t’ai dit que si c’était important pour toi d’être avec lui, il fallait que tu t’en donnes les moyens. C’est différent !

Abigaëlle rit.

— Je ne t’ai jamais dit de te faire baiser dans une salle de sport. C’était où ? Par terre ? Pas trop froid ?

— Abi ! Non !… Ce n’était pas par terre !

— Debout alors ?

— Putain… !

Abigaëlle éclate de rire.

— J’imagine l’urgence !

Mila se cache derrière ses mains, les jambes serrées, le bout des fesses sur le canapé.

— Putain j’ai honte ! Tu ne peux pas savoir combien j’ai honte !

— Eh c’est vrai que si tu commences à m’écouter et à faire tout ce que je te dis, c’est que vraiment, t’es pas bien !

Mila est toujours prostrée. Abigaëlle se radoucit.

— Tu as honte de quoi, Mila ?

— Putain, si tu savais ce que j’ai fait… Comment je l’ai allumé... Putain de bordel de merde…

— Mila…

Mila crie, la voix éraillée :

— Je ne me vois pas avec lui. Il est beau, agréable, sociable… Il m’a reconnue parce que j’avais le cul en l’air... J’ai honte de moi. Il me dit des trucs… je suis sûre qu’il ne se rend pas compte.

— Tu es différente avec lui ?

— Non. Enfin… au début non, sur le chantier je veux dire. Mais après, vu comment il me parle, je deviens nunuche. Tu vois ?

— Non. Pas bien.

— Ben, je suis calme, je parle correctement, je suis euh… douce.

Elle fait une moue, la bouche en biais.

— C’est toi aussi. Une partie de toi. Cachée, engloutie. Mais tu es comme ça. Tu l’es avec moi, avec les enfants, avec Pepito. Tu peux l’être aussi avec lui sans avoir l’impression de te renier.

— Il m’a dit un truc dans le genre. Ou alors il est sous l’influence de quelque chose. Ou il rentre juste et il est en manque et moi je suis là, au milieu. Faut juste qu’il se réveille et que tout redevienne normal.

— Mila, tu m’énerves ! Tu te dévalues toujours, c’est pas possible ! Tu es une belle fille. Belle ! Regarde-toi, bon sang !

— J’ai passé la semaine à être réveillée par des rêves de cul. J’en pourris tous mes pyjamas !

— Il n’y a rien de sale, Mila.

— Ah si ! Ça pue. Je pue !

— Je pue pareil !

— Toi aussi ?

— Toutes les femmes ont leurs sécrétions qui sentent quelque chose. Personne ne te l’a jamais dit ?

Mila hausse les épaules.

— Avec Sébastien, Vincent, c’était pareil, non ?

— Vincent, je ne vivais pas avec lui. On n’a jamais passé plus d’une heure ensemble. Habillés comme déshabillés. Et Sébastien, il puait tellement la cigarette et l’alcool que je ne me suis jamais posé la question.

— Dans tes nuits, Mila, c’est Edmond que tu vois ?

— Ben oui…

Abigaëlle, la voix chargée :

— Moi aussi, je fais des rêves chauds.

Elle baisse les yeux, pleins de larmes, elle poursuit à voix basse :

— Mais c’est Guillaume que je vois.

Mila lui met la main sur la cuisse.

— Je me tape tout un tas de mecs et c’est celui qui m’a larguée sur lequel je fantasme. C’est quand même pas de bol… !

Elle pleure.

— Eloi m’a dit qu’il avait une nouvelle « dame ». Qu’elle ressemblait à sa maîtresse. Elle doit avoir quoi ? Vingt ans. Putain, Mila, j’en crève.

Abigaëlle se ressaisit.

— Excuse-moi. On parlait de toi. C’est ta soirée !

— Je ne t’ai jamais demandé comment tu allais.

— Je vais bien. Ne t’inquiète pas. Faut juste que je tourne la page. Enfin… ! Allez ! Arrêtons-ça.

Abigaëlle porte le mug à sa bouche.

— Sinon, debout, c’était comment ?

— Abi… Putain… !

Mila se remet sur le bord du canapé, recroquevillée, le visage dans les mains.

— Est-ce que c’était bien ?

Abigaëlle rit.

— Allez, ose le dire !

— Putain, Abi ! J’ai honte. Qu’est-ce que j’ai honte… !

— Tant mieux ! Tu sais Mila, ce n’est pas rien. Prendre son pied avec un type, crois-moi, ça marche pas à tous les coups !

— Et maintenant, qu’est-ce que je dois faire ?

— Recommencer !

— ABI !!!

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