57 Brocéliande - Wash Car

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Edmond met le contact, appuie sur tout un tas de boutons pour désembuer l’habitacle sans réchauffer l’atmosphère. Mila se frotte les mains, serre ses jambes. Ils attachent leurs ceintures et Edmond manœuvre pour mettre la voiture dans le sens du retour.

Mila aime cette proximité, ces odeurs presque familières désormais.

Toute cette histoire tourne autour de petites choses finalement. Petites et se répétant souvent. Est-ce cela, les briques dont parle Abigaëlle, les étapes de l’attachement ? Oui, ça doit être ça. Reprendre les mêmes choses, les changer un tout petit peu et les revivre inlassablement.

Maintenant il pleut et il fait presque nuit. Et surtout c’est la dernière fois. Il n’y aura pas d’autre occasion. L’émotion de l’après-midi revient avec une pointe plus chargée puisque dans une quinzaine de kilomètres, cette belle journée sera terminée.

À nouveau son parfum. Muscade ? Humm ! Sa main sur le pommeau de vitesse, la ceinture contre lui, la distance incroyable qu’il a mise entre lui et le volant.

Tout ça sera bientôt fini. En profiter. Stocker tout ça.

 

Edmond conduit bien, sécure. Mila est brimbalée dans la voiture. Elle se fait la réflexion qu’il est parfois des cas où il est pertinent de se laisser aller à se fier à un autre, ou tout au moins à le laisser faire. Là en l’occurrence, cela n’allait pas de soi parce que l’Express est robuste, mais la Range et ses quatre roues motrices est bien mieux adaptée. Un exemple, ou bien une anomalie, que parfois mettre son intouchable autonomie de côté peut donner de belles surprises. Elle se dit qu’il faudra qu’elle s’en souvienne.

Avec la nuit, la pluie entame plus encore la visibilité, les essuie-glaces courent à vive allure sur le pare-brise, éjectant des gerbes d’eau sur les côtés. La voie se découvre au dernier moment, la conduite d’Edmond est d’autant ralentie. Les ornières ont de petits torrents d’eau. Lorsque la voiture passe dedans, de grands jets barbouillent les vitres de boue.

Le son d’un téléphone raisonne dans l’habitacle, des noms s’affichent sur l’ordinateur de bord mais Edmond ne décroche pas et ne fait aucun commentaire. Ils rejoignent finalement la route plus clémente, quoique relativement, et piquent vers la Maison Forestière.

 

Mila éclate de rire soudain. Elle détache sa ceinture de sécurité et se ratatine contre le pare-brise. La voiture se met à émettre des bips désagréables et Edmond ralentit.

— Le siège chauffant chauffe un peu trop…!

En appui sur le tableau de bord et le dossier, le haut du corps tout contorsionné et le visage à l’envers, elle sourit. Edmond, mâchoires serrées, appuie sur des boutons.

— Merci…

Edmond en a marre d’être le dindon, celui qui brille parce qu’il fait des conneries. Le rôle du clown ne lui a jamais plu. Encore moins aujourd’hui. Mila ne culpabilise même pas. Elle n’a aucun remords. Bien installée dans sa journée, elle se laisse porter et distribue de-ci de-là des sourires, des mots gentils, des remarques agréables, comme on cueille des fleurs en se promenant. Celles-ci sont jolies, je les prends. Celles-ci ? Oh, non ! Laides ! Pouah, vilaines, je les laisse. Elle ne se sent redevable de rien vis-à-vis de lui. Il bout.

Le téléphone sonne à nouveau. Un nom s’affiche. Il décroche.

— Vallone !

— Salut Léo !

— Salut Fabrice, je suis en voiture. Je ne suis pas seul.

— D’accord. Dis, je ne peux pas venir ce soir au club, j’ai un souci.

— Hum.

— Tu es là ce week-end ?

— Oui.

— Ahh, j’aurais peut-être besoin de tes services…

— Tu peux compter sur moi.

— Salut Léo.

— Salut Fabrice.

Edmond raccroche.

— De quoi vous avez discuté avec Henri lorsque je travaillais avec sa femme.

Mila respire.

— J’ai été très touchée par la maison des Niel, celle que vous avez faite… et aussi par vos esquisses… La maison est impressionnante. Et celle des esquisses… il y a quelque chose... ça m’a beaucoup touchée.

Mila détourne sa tête vers la vitre de la portière.

— C’est tout ?

— Comment ça, c’est tout… ?

— Vous n’avez parlé que de mes plans ?

— Euh... pas que, en effet.

— Quoi d’autre ?

— Ça ne vous regarde pas !

— J’adore… !

— Rien qui vous concerne.

— Ça m’étonnerait… !

— Pourtant…

 

L’absence de marquage réfléchissant les limites extérieures de la route rend leur trajet plus inconfortable encore. Quelque chose d’un peu exotique et d’hors du temps, de très fatigant. Edmond commence à avoir les yeux qui le brûlent. La route se poursuit, de plus en plus accidentée ; la visibilité est très limitée. Mila aperçoit alors quelque chose.

— C’est quoi ces lumières ?

Devant eux, des lumières rouges et bleues, peut-être clignotantes, vacillantes dans tous les cas, et de gros véhicules sombres au milieu de la route. Edmond ralentit, avance au pas. La route brille de la rivière qui la couvre, les essuie-glaces dansent toujours, jetant leurs seaux. Une silhouette jaune fluo avec des bandes horizontales grises bouge et s’approche d’eux. Le téléphone sonne, Edmond ne décroche pas, ouvrant sa vitre, un homme en ciré à capuche apparaît.

Edmond :

— Bonsoir ?

— Bonsoir M’sieur, M’dame.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— La route est coupée. Vous devez vous garer par-là et continuer à pied pour que quelqu’un vous récupère de l’autre côté de la Maison Forestière.

Le téléphone de Mila sonne, elle décroche.

— Magnan.

— Bonsoir Henri…

— Non, on est tous les deux encore du côté de Marzal.

— Justement, on est dedans !

— Quelqu’un s’est approché de nous, Edmond est en train de lui parler.

— Oui, je vous rappelle après !

Edmond :

— On ne peut pas traverser ?

L’homme en ciré :

— Non, la route est complètement éventrée, même avec votre véhicule vous ne pouvez pas passer. Soit vous avancez à pied, soit vous pouvez coucher dans le camion de pompier qui est par là.

Il désigne un véhicule clignotant rouge plus loin sur le côté. On entend un cri.

L’homme en ciré :

— Je vous laisse !

Edmond referme la vitre. Ils ne voient plus rien du tout dehors, cela donne l’impression d’un nettoyage de voiture aux rouleaux.

Mila :

— C’était Henri, il voulait savoir si on avait pu passer. Il demande qu’on le rappelle.

Edmond saisit son téléphone, cherche le numéro de Henri, le compose. L’habitacle fait résonner la tonalité.

— Bonsoir Henri.

— Edmond, sacrée journée… !

— En effet… !

Edmond, poignet droit sur le pommeau de vitesse, le poignet gauche appuyé sur le haut du volant, regarde dehors par la vitre de sa portière.

Henri :

— Dites-moi ! Vous devez avoir de meilleures infos que moi.

— Eh bien, il semble que la route soit éventrée et qu’on ne puisse poursuivre qu’à pied.

— Hum, hum. Je savais que cela allait être un problème, leur foutu réseau ! J’en étais sûr… ! Bon !, souffle Henri, alors le problème c’est que je ne peux pas venir vous chercher, on est trop loin maintenant...

— On va demander à quelqu’un de venir nous chercher, je dois pouvoir demander à mes parents ou à des amis.

— Oui, bien sûr. Mais j’ai une proposition à vous faire. Plusieurs en fait. Dans tous les cas, c’est bien que vous ayez un 4x4 plutôt qu’une Porche Carrera… !

Henri rit, il dit :

— Une première possibilité est que vous couchiez dans votre voiture.

Edmond regarde Mila en écarquillant les yeux, il articule : je n’ai pas une seule couverture !

— La seconde, et Edmond, je vous prie de la considérer avec sérieux, c’est que vous pouvez revenir sur vos pas et atteindre la maison. Nous n’y sommes pas, elle est fermée. Mais vous la connaissez aussi bien que moi et surtout vous connaissez ses points faibles. Cassez un carreau et entrez ! Vous y seriez bien, et au chaud. Je vais prévenir la surveillance. Vu les routes et la météo, de toute façon même le GIGN ne pourrait pas venir vous y déloger… !

Henri rit. Edmond secoue la tête.

— La troisième possibilité, c’est que nous avons un chalet, auquel vous pouvez accéder de là où vous êtes. Il y a tout le confort dedans. Cheminée, draps, eau chaude. Il faudra juste que vous sortiez tuer un cerf pour vous faire à manger. C’est une bonne solution s’il vous reste deux ou trois choses à manger du parcours de ce matin.

Mila baisse la tête, ses mains entre ses cuisses.

— La quatrième solution, c’est que si vous revenez vers la maison, il existe une route forestière qui coupe à travers les bois et vous amène pas trop loin de l’hôtel. Le problème c’est que, et je viens de le revérifier, il vous restera huit cents mètres à faire à pied. Mais vous serez chez moi, à l’hôtel. Et là vous serez comme des coqs en pâte. Je vous invite le temps que la route soit redevenue praticable et le temps que vous voudrez si vous travaillez pour moi… !

Il rit de nouveau.

— Il reste aussi la solution que vous envisagiez, d’appeler quelqu’un pour venir vous chercher. Mais il vous faudra revenir ensuite pour récupérer votre voiture et celle de Blanche. Moi, je voulais vous dire que cela me ferait plaisir de vous recevoir à l’hôtel. Je donnerais des consignes aux équipes pour qu’elles vous soignent !

Edmond adossé au fauteuil se tourne vers Mila, tous les deux très calmes.

— J’en discute avec Blanche, je vous rappelle.

— Bien sûr, à tout à l’heure.

Edmond raccroche.

— Bon…

Il souffle.

— Qu’est-ce que vous voulez faire ?

— Est-ce que vous avez à manger, du sucre dans la voiture ?

Il hoche la tête, il dit :

— Non ! C’est foutu pour le chalet. Dommage ! Je me serais bien vu, vous et moi, nus, sur une peau de bête devant un feu crépitant à nous nourrir d’amour et de l’eau du puits !

Mila tourne la tête vers la vitre de sa portière, Edmond fanfaronne, caustique.

— Ne soyez pas si déçue, on trouvera une solution pour la version couchée !

Plus calme, il dit :

— Il est hors de question d’aller chez les Niel.

— Je suis d’accord.

— Donc il nous reste : appeler quelqu’un ou aller à l’hôtel. Ceux qui peuvent me récupérer peuvent vous récupérer aussi. Si on appelle maintenant, pour peu qu’ils soient dispos, ils seront là dans une heure et demie. On peut faire les choses séparément aussi. Moi je vais à l’hôtel.

 

L’habitacle est sombre, la pluie brosse la carrosserie de la voiture. Edmond s’adosse à son siège devant les lumières bleues, rouges et les jaunes qui apparaissent de temps en temps et abandonne le volant, les mains posées à plat sur ses cuisses écartées, le visage regardant dehors.

Mila :

— D’accord. Ok pour l’hôtel...

Edmond est comme un ado à qui on vient de promettre un tour de karting. Il tourne le visage vers la vitre de la portière, cachant son expression et rappelle Henri.

— Oui, Edmond, je vous écoute.

— Est-ce que vous pouvez nous recevoir à l’hôtel ?

— Oui. Super. Très bonne décision, Blanche. Je suis sûr que c’est vous qui l’avez prise… ! Alors voilà comment ça va se passer…

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