85 Cité Fondée - Edmond's Dreams

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De : Edmond VALLONE

Objet : Ce soir

Date : Lundi 27 Novembre 15 :32

À : Blanche MAGNAN

 

Salut Mila,

J’essaie de rentrer tôt ce soir. Je te tiens au courant.

Ed.

 


De : Edmond VALLONE

Objet : Re : Ce soir

Date : Lundi 27 Novembre 18 :29

À : Blanche MAGNAN

 

Non peux pas te rappelle.

 


19 h 48, Edmond n’a toujours pas appelé.

Mila appuie sur le contact à la fin de son répertoire à V pour VALLONE. Elle se dit qu’il faudrait qu’elle le remonte dans la liste, avec les « A » par exemple. Elle pouffe. Ce ne serait pas difficile de lui trouver une place dans les A. Il y a même plusieurs possibilités.

— Vallone !

— Edmond, c’est Mila, est-ce que je te dérange ?

— Non. Mila, je suis désolé. Je suis encore au boulot.

— Ce n’est pas grave. Tu en as encore pour longtemps ?

— Non, je ne suis plus bon à rien, je vais rentrer. D’ici une demi-heure je pense. Je t’appelle quand je pars.

— Edmond ?

Mila respire profondément.

— Est-ce que ça t’intéresse de venir chez moi, ce soir. J’ai préparé à manger.

Elle rit.

— Tu pourras mettre les pieds sous la table ! T’auras pas de vêtements de rechange, mais je peux te filer une brosse à dent et du dentifrice.

— Pourquoi tu fais ça ?

Elle rit et bafouille.

— Ariane n’en sait rien. Elle a posé ses mains sur ses hanches et me regarde d’un air plutôt agressif. Quant à Bugatti, elle a la même attitude mais m’explique que ce n’est pas trop tôt. Alors pendant qu’elles débattent, moi je m’essaie à des choses que je ne connais pas.

— Je passe prendre des fringues. À tout à l’heure.

 

Tout est prêt.

Mila s’est poussée, elle a fait de la place dans la salle de bains.

En fait de place, elle a caché toutes ses affaires. Et de fait, il y a de la place sur le plan vasque, sur le valet de douche et sur le porte-serviette.

Dans la chambre, elle a fait pareil. Elle a isolé une chaise, la seule qu’il soit possible de mettre dans la pièce, et optimisé le rangement du placard pour pouvoir faire coulisser les portes.

Dans le séjour, elle s’est posée beaucoup de questions sur comment faire pour que l’endroit soit aussi accueillant que chez Edmond. La pièce, comme l’appartement est bien plus petite et les meubles sont de nettement moins bonne qualité. Mais partagée entre faire quelque chose qui ressemble à son chez lui et quelque chose qui reste son chez elle, elle a tranché pour un endroit qui lui corresponde à elle en lui faisant de la place pour lui tout seul, à côté.

20 h 39. L’interphone sonne.

— Oui !

— C’est moi !

— Dernier étage.

Mila appuie sur l’interphone, elle sourit et ouvre la porte sur le palier.

Quelques minutes plus tard, Edmond pousse la porte et entre dans l’appartement, les yeux ahuris.

— T’as même pas d’ascenseur !

— Tu es un grand sportif, non ! Entre, je t’en prie.

Quand elle referme derrière lui, Edmond a déjà posé sa petite valise sur la table de la cuisine et défait son manteau. Mila le lui prend des mains et le met sur un cintre dans le placard du couloir.

Edmond parcourt la pièce sans aucune discrétion. Il dit :

— C’est tout petit chez toi !

Mila sourit et hausse une épaule.

Edmond s’avance et l’embrasse.

Puis il traverse la pièce jusqu’à l’unique fenêtre qui donne sur le parc, côté lac avec les grands arbres.

— Ah ouais, c’est joli d’ici aussi.

Il revient vers Mila.

— Tu me fais visiter ?

Mila sourit et le précède dans le couloir.

Mila :

— C’est comme chez toi mais en plus petit. Ici la salle de bains, les toilettes, un débarras, et la chambre.

— Moi j’ai deux chambres.

— Tu ne m’as jamais fait visiter.

— T’as jamais demandé.

Ils reviennent dans le séjour.

Edmond :

— Pourquoi t’as pas répondu à mes mails ?

Mila écarquille les yeux.

— Parce que je n’étais pas au bureau et que je n’avais pas mon PC sous les yeux, et que mon téléphone ne fait pas les mails !

— Tu n’as pas répondu tout de suite à mon appel, non plus.

— Monsieur Vallone, aujourd’hui j’étais en déplacement et pas disponible. Regarde un peu tes mails, ceux que tu m’envoies et imagine deux minutes que c’est moi qui te les ai écrits. Tu me diras ce que tu en penses ! Sinon à part ça, bienvenue chez moi !

Mila tourne les talons, elle attrape sa valise et la mène dans la chambre sur la chaise. Elle revient. Edmond, un sourire en coin, n’a pas bougé.

Edmond :

— Est-ce que je peux prendre une douche ?

Mila ne lève pas les yeux vers lui, elle sourit tout à fait.

— Y’a une serviette pour toi sur la chaise.

Il va et vient entre la chambre et la salle de bains et Mila entend finalement l’eau couler.

Il ressort un paquet de minutes plus tard, torse nu et son bas de pyjama descendu bas sur les hanches.

Mila sourit, rougit, secoue la tête.

— Un coq de basse-cour !

— Je ne te plais pas comme ça !

— Monsieur Vallone, est-ce que tu te rends compte que tu fais exactement ce que tu reproches à tes amis ?

Edmond lève un sourcil, inquiet, sentant l’orage approcher mais ne sachant pas de quelle couleur sera l’eau qu’il va lui tomber sur la tête.

Mila :

— Tu décortiques mon chez moi et surtout tu m’en fais bien profiter. J’ai cru comprendre que ça t’exaspérait un peu de la part de tes amis.

— Ce n’est pas très fair-play de t’en prendre à un homme sans défense.

Il ouvre ses bras pour exposer son torse nu. Mila ne retient pas un sourire, elle baisse la tête.

Edmond s’approche.

— Et ouais. Et tu sais quoi ? Je ne suis pas parfait !

— Oui, tu n’es pas parfait. Et même physiquement, contrairement à ce que tu crois, tu n’es pas parfait.

— Ho.

— Tu as des tas de poils assez longs sur le milieu du dos. C’est pas très chic.

Edmond s’avance pour la faire taire d’un baiser.

— Je croyais que tu adorais mes poils.

— Pas ceux-là. Et ceux qui poussent dans tes oreilles ne sont pas très sexy non plus.

— Hein !

Edmond file dans la salle de bains, Mila rigole.

Il reparaît tout habillé. La table est mise, chaque couvert a sa serviette avec son nœud.

Edmond joueur :

— Tu m’as humilié !

— Oh ! Tant que ça ?

— Qu’est-ce que je peux faire ?

— T’assoir et manger !

Mila se lève, ouvre le four et sort un plat avec deux morceaux de saumon, un bol de sauce, une poêle de fondue de poireaux.

— Eh ! Tu me mets au régime ?

— Quoi ?

— Poisson poireaux ! Je suis un travailleur, moi, j’ai besoin de calories.

— Et moi non ? Des pâtes et du riz, c’est ça que je vais te faire toutes les fois où tu mangeras ici.

— Avec des frites ! Ce sont les frites que je préfère. Allez, sers-moi, femme !

— Putain… ! 

— C’est quoi la sauce ?

— Échalotes et crème fraîche. Quoi ? Tu n’aimes pas les échalotes non plus ?

Mila sort un petit saladier de riz.

Edmond :

— Ah !

— Tu me gonfles, la prochaine fois, je te ferai une boîte de conserve intelligente et hop au micro-ondes.

— T’as pas de micro-ondes !

— Ouais, t’iras manger chez la voisine ! Elle a quatre-vingts ans, tu pourras lui raconter tout ce que tu voudras, elle sera folle de toi… !

 

Ils mangent en se chamaillant.

Aucun des deux ne prend de dessert. Edmond fait la vaisselle tandis que Mila range.

Edmond :

— Et maintenant on s’allonge dans ton clic-clac d’étudiante en regardant la télé à tube cathodique comme on contemple une pièce de musée. Au moins, ça me donne un aperçu de ce que c’est la vie d’étudiant ingénieur. Une soirée chez toi c’est du « vis ma vie » d’étudiante. Je crois que je ne regrette pas de ne pas avoir fait d’études.

Mila fronce le nez et lui tire la langue. Elle désigne le petit canapé convertible et lui dit :

— Assieds-toi !

Edmond ne bouge pas alors elle ajoute : s’il te plaît !

Il s’assoit au bout, Mila le rejoint.

— J’étais au siège social des Niel cet après-midi. J’avais rendez-vous avec Émilie.  Elle a... en fait, elle a validé mes dessins et nous avons signé un contrat.

Edmond sourit généreusement. Mila poursuit.

— Je voudrais te remercier. Donc merci.

— T’aurais quand même pu sortir une bonne bouteille pour l’occasion !

Mila écarquille les yeux.

— Putain, je n’y ai même pas pensé… !

— Tu vas pouvoir t’acheter une bagnole et un canapé !

— Je vais surtout pouvoir payer mes dettes… !

Mila se lève, s’occupe. Elle dit :

— Tu veux un café, un déca ?

— Non merci. Mila ?

— Hum.

— Est-ce que tu t’attends à ce que je reparte en pleine nuit comme tu fais toi ?

— Non.

Et elle reste là, debout, le temps qu’il renonce à en savoir davantage. Mais peut-être qu’Edmond n’a pas besoin d’en savoir davantage.

Elle revient sur le canapé avec un paquet de biscuits au chocolat. Elle allume la télé, met Castle. Edmond a déjà arrangé un coussin sous son bras, un autre sur la table basse où il a posé ses pieds croisés l’un sur l’autre.

Assise sur le bord, elle le regarde s’installer. Elle sourit, hausse les sourcils et ne sait plus comment se comporter.

Quand elle est chez elle toute seule, elle se met à la place qu’il a prise, lui, là, à droite du canapé, et ensuite elle replie ses jambes sous ses fesses. Là, sur l’autre côté, elle doit pouvoir faire pareil. Elle a dû le fixer un peu trop parce qu’Edmond la dévisage, suspicieux.

— Quoi ?

— Rien ! Rien du tout.

Elle attrape un biscuit et se love près de lui.

Ils regardent la fin de l’épisode, puis Edmond réfléchit. Sa tête tourne vers la fenêtre, vers Mila. Finalement il dit :

— J’ai bien compris que tu voulais payer tes dettes. Mais, imagine que tu en gagnes beaucoup de l’argent, qu’est-ce que tu en ferais ?

Mila prend les deux torchons repliés, les ramène dans la cuisine et les secoue dans l’évier. Elle les pose ensuite bien à plat sur les plaques de cuisson.

— Je n’en ai aucune idée.

Après un temps.

— Je crois que je finirais la maison.

Edmond voit qu’elle rêve, elle regarde au plafond vaguement.

— Je voudrais un système pour mettre de la musique dans la grande pièce. Je m’achèterais un lit aussi, sommier plus matelas, grand comme tu as toi. Il faudra que je rachète tout avec, des draps, la couette… Et puis je voudrais une grande baignoire ! Ah ! Et j’achèterais des radiateurs, des radiants !

— Tu veux la mettre où ta baignoire ?

— Sous la fenêtre ! C’est prévu comme ça. Je voudrais une grande télé aussi ! Et du vin. Je m’achèterais des caisses en primeur tous les ans.

— Tu ne veux pas voyager, voir un peu autre chose ?

— Non. Je crois que surtout, et d’abord…  je crois que je ferais la formation. Pour avoir un diplôme. Et je m’achèterais de belles reproductions de peinture, comme tu as toi.

Edmond croise alors son regard, elle est craintive, se cache un peu.

— Tu trouves que je suis ridicule, que mes rêves sont tous petits ?

— Non. Ils sont euh… matériels.

— Ben, comment veux-tu qu’ils ne soient pas matériels s’il s’agit de les acheter avec de l’argent !

Edmond pouffe. Mila ne connaît pas la notion de plaisirs futiles dont il ne reste rien après, si ce n’est le plaisir d’avoir pris du plaisir.

Edmond :

— Moi, par exemple, j’ai envie de me payer des vacances sur une île paradisiaque. De me faire des parties de billard avec les plus grands joueurs du monde. Aussi de survoler l’île de la Réunion en hélicoptère, de faire le tour de Corse en voilier, de faire une tournée des plus beaux golfs d’Écosse et de coucher le soir dans des châteaux hantés. Je voudrais aller visiter la pyramide de Gizeh, m’approcher tout près des chutes du Niagara. Me faire un safari en Tanzanie, faire de la plongée en Mer Rouge, faire le carnaval de Rio, aller faire du pédalo autour des rochers du lac de Chew Lan en Thaïlande. Me faire des concerts fabuleux dans des stades magnifiques, goûter des vins de vingt ans d’âge, des supers whiskys aussi, aller au resto tous les soirs. Faire des cadeaux à mes amis, à mes parents. J’ai aussi envie de me payer de belles bagnoles et plein de belles chemises même si j’en ai déjà plein, et puis une montre qui me donne toutes mes perfs au CrossFit. Ouais, j’ai envie de le dépenser et d’en profiter.

Edmond a fini de lister les plaisirs auxquels il pense, là, tout de suite. Il remarque alors le regard de Mila sur lui, ses yeux ronds lunaires. Il réfléchit alors à ce qu’il vient de lui dire. S’il y avait dans le lot quelque chose qu’elle pourrait ne pas avoir compris, des souhaits qui seraient extravagants ou que personne n’aurait jamais eus. Mais non, aucun n’est insolite. Elle doit être surprise, simplement, mais il ne sait pas pourquoi et du coup, plus rien n’est simple.

Edmond :

— Bon, en parlant de plaisir… tu as fini de manger ?

 

Ensuite, Kate et Castle auront fait ce qu’ils auront bien voulu. Ils se seront retrouvés dans le lit trop court et trop étroit.

Dans la nuit, Mila aura enfilé ses chaussettes et allumé la petite lampe du séjour. Elle se sera calée contre le mur avec son oreiller pour laisser le plus de place à Edmond, tout nu et au milieu du lit.

 

Et le lendemain matin, ils auront dû s’arranger pour passer chacun sous la douche et être prêts pour leur journée chacun de leur côté.

Edmond aura pris son baise-en-ville avec ses vêtements sales, son parfum. La cuisine aura gardé sa serviette de table. La salle de bains sa serviette de toilette, sa mousse à raser, son rasoir, sa brosse à dent. La chaise de la chambre aura gardé son pyjama. Pour le reste : savon, shampoing, Edmond aura utilisé ceux de Mila.

Et sur le pas de la porte, il lui aura demandé s’il pouvait revenir mercredi soir.

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